Devoir N*1: Lucie Bennet

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Je me penche sous la table, et esquisse une mine dégoûtée en y trouvant un sandwich. Enfin... Je présume que c'est un sandwich du fait qu'il y ait ce qui ressemble approximativement à de la salade, et probablement une tomate. Mais pour ce qui est du reste...
Je préfère ne pas imaginer.
Je prends une grande inspiration et entame la dangereuse tâche de le décoller. Je racle la moisissure avec ma spatule, provoquant à chaque coup de répugnants bruits de sucions.
Détournant la tête aux premières effluves de décomposition, je me sens verdir à vue d'œil.
Je crois que je vais vomir...
Mais qui est l'abruti qui a bien pu laisser ça là ?
Une fois délogé il s'effondre mollement sur le sol, me montrant ainsi toute la biodiversité qui y a proliféré.
Non, la vraie question à se poser est plutôt : depuis quand cet abruti a laissé ça là ?
Je m'aplatis sous la table et franchis la distance de sécurité que je m'étais fixée.
Je ne respire plus. Le moindre mouvement peut être fatal. J'attrape délicatement ma poche plastique triple épaisseur de haute protection, et me jette sur le sandwich mutant. Menace sous contrôle. Roger.
Je m'extirpe de sous la table - non sans mal - et lance le sac dans une des poubelles du restaurant. Il me tarde de rentrer à la maison ! Je passe un dernier coup de balai quand j'entends le sifflement distinctif du chef.
Mich entre dans la pièce, une énorme marmite de gumbo dans les bras. Je me précipite pour l'aider avant qu'il ne renverse tout. Abandonnant sur place mon balai. Bon, de toute façon il ne tombera pas plus bas. On dépose la tambouille sur une des tables, la catastrophe a été évitée ! Je m'affale sur un tabouret sans aucune retenue. Lui s'essuie le front avec son tablier et haletant.
Il faut dire que son cholestérol ne l'aide pas dans ses déplacements. Je suis triste de le voir comme ça, il m'a toujours aidé à trouver du travail, et n'hésitait pas à m'embaucher, même quand il avait trop de saisonniers. Il sait à quel point c'est important pour moi.
- Tu as bien avancé ! Il tourne autour de lui, Je me demanderai toujours comment tu arrives à faire partir toute cette crasse !
Je lui souris.
- Il faut juste un peu d'huile de coude.
- Ou un bon objectif...
Il me regarde d'un air sombre.
Je sais qu'il pense à mon frère. Et il a raison, savoir qu'à chaque dollar que je ramènerai à la maison sera un pas de plus vers sa guérison est mon seul but.
Une atmosphère de plomb est tombée dans la salle.
Il se relève d'un bond et se dirige vers la caisse.
Il a tout d'un père affectueux, la gentillesse, les bêtises, et cette petite bedaine qui vous donne envie de lui faire des câlins. Je suis sûre que ses enfants doivent être heureux, enfin, si il en a car je ne l'ai jamais entendu en parler...
Il me raconte souvent les discriminations qu'il a pu subir, ou qu'il subi encore. À cause de sa couleur de peau, ou de son âge, mais je me demande qui peut bien s'acharner sur un vieil homme aussi bon ?
Peut-être l'est-il trop ?
Il tient ce restaurant depuis ce qu'il me semble être des siècles, mais il faut avouer que, pour la première fois, je ne suis pas sûre qu'il rouvre ses portes l'année prochaine.
Cela m'attriste un peu. Pas parce que je vais perdre mon job précaire, mais parce que je ne sais pas comment Mich va bien pouvoir s'en sortir...
Il jure en donnant un coup dans la caisse, et la remercie quand celle-ci décide enfin de s'ouvrir. S'avançant vers moi, il me tend les 10$ de ma paye.
- Tiens ! Je fais sortir tous le monde plus tôt ce soir. Il ne me laisse pas poser ma question avant de répondre. Personne, y compris moi, ne veut rater la Sélection !
Je soupire.
- Merci.
Il me tape sur l'épaule et me presse vivement de me relever. Il n'a VRAIMENT pas envie de louper son émission.
Je me dirige vers la sortie et me retournant, je lui adresse un signe de la main.
- J'espère ne pas avoir à dire adieu... On se reverra, pas vrai ?
- Bien sûre gamine ! Il m'adresse un clin d'œil, et un sourire forcé. Tu n'auras qu'à crier mon nom dans la rue, et j'accourrai !
Je souris, non, on ne se reverra probablement pas. Et il le sait. Chacun continuera sa vie de son côté, se remémorant les bons instants passés ensemble. Mais aucun ne fera la démarche pour retrouver l'autre. C'est comme ça ici. On ne s'attache pas. Les employés sont des objets qui se ressemble tous.
Je suis triste. J'aimais bien Mich, et je crois qu'il m'aimait bien en retour. Comme un grand-père aimerait bien sa petite-fille, et vice-versa.
Je crois que j'essayerai tout de même de carder contact avec lui. Ou, au moins demanderai-je des nouvelles auprès de ses amis.
Je m'avance sur le pas de la porte, avant qu'il ne m'interpelle.
- Eh ! Petite !
Je retourne sur mes pas. Mich me tend 10$ de plus. Je le regarde sans trop comprendre.
- T'en auras plus besoin que moi.
Je refuse d'un geste de tête.
- Non, j-je ne peux pas accepter, je...
Il m'attrape la main et y dépose l'argent.
- On sait très bien que ce boui-boui ne va pas passer l'hiver. Autant que je me serve des dernières recettes pour aider des personnes qui le méritent.
- M-mais, et vous ?
- T'inquiètes pas pour moi gamine ! Ça fait déjà soixante-cinq printemps que je passe, j'm'en sortirai toujours !
Je le regarde un instant, incrédule, attristé, heureuse, ou bien les trois à la fois. Avant de me jeter dans ses bras.
- Merci Mich ! Merci pour tout !
Son rire rauque dans mes oreilles me redonne le sourire.
- Brave gamine, ah ah ! Aller, ouste ! Sinon tu vas louper la Sélection.
Je fourre l'argent dans ma poche avant de déposer un baiser sur sa joue. J'enfile mon manteau, mon bonnet, et sort le sourire jusqu'aux oreilles.
Je le reverrai, c'est certain !

RPG: La SélectionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant