Midi moins cinq.
Harry venait juste de se garer près d'un sentier de randonnée en face du chemin que les élèves empruntaient pour aller au réfectoire. Les environs étaient désert. Il espérait que les élèves n'étaient pas déjà passés. Qu'était-il venu faire là au juste, il l'ignorait. Ou voulait l'ignorer. Pour le voir, le toucher ? Pour le voir lui ou pour satisfaire sa curiosité à le voir agir au milieu des autres ? Il ne l'avait jamais vu en présence de ses camarades. Dans une classe de quarante-deux chaises pour quarante-deux élèves il était aisé pour quelqu'un comme Tom de se fondre dans la masse devant un nouveau venu. Harry n'aurait pas su dire s'il était bien intégré ou non, si ses camarades l'admiraient, le craignaient, ou ne voyaient en lui qu'un être humain, un être comme les autres, sans distinction particulière. Il ne lui avait jamais demandé non plus pourquoi il ne l'avait pas vu à son deuxième comment il avait su où trouver sa voiture quand il était venu à l'improviste à l'orphelinat. Ce genre d'interrogations ne lui venaient que lorsqu'il était seul, lorsqu'il était en présence du jeune homme elles semblaient n'avoir jamais existé.
Midi moins deux.
Il avait vraiment l'air stupide assis là dans sa voiture. Peut-être même avait-il l'air suspect. Il se sentait mal à l'aise de se conduire ainsi mais il ne pouvait pas tourner la clé, mettre une vitesse et démarrer pour filer au loin en oubliant qu'il avait eu l'air un court instant de traquer Tom comme s'il était une femme mariée au désespoir. Comme s'il était Ginny.
Midi.
Aucun bruit humain, seulement les bruissements feutrés de la forêt qui lui faisaient tourner vivement la tête comme s'il avait soudainement peur d'être débusqué. Il était ridicule.
Midi passé.
Harry sortit de la voiture et partit d'un pas vif à l'opposé du chemin menant au réfectoire. Il ne pouvait plus rester assis dans cet habitacle à imaginer une vie à Tom. Si celui-ci passait effectivement par-là il reconnaîtrait la voiture et lui laisserait un mot ou l'attendrait. Mais pour le moment il lui fallait marcher. N'importe où, à n'importe quel rythme, mais il avait besoin de se défouler.
Il n'était pas du tout équipé pour la randonnée avec son jean de ville et ses chaussures en cuir souple, mais de toute façon il n'aurait pas su quoi mettre s'il avait soudainement décidé de faire une promenade dans les bois un dimanche. Il y avait bien une boîte dans laquelle il avait gardé de vieilles affaires datant de son enfance chez son oncle et sa tante et qui contenait entre autres souvenirs des baskets blanches très usées, cependant elles se trouvaient dans le garage de sa maison. De son ancienne maison. Harry soupira. Elles étaient sûrement trop petites dorénavant, tout comme lui avait été trop grand à ses dix-huit ans. Trop grand pour espérer rester dans une maison où on ne voulait plus de lui. «J'ai fait une promesse à ta mère, mais aujourd'hui tu es en âge de te débrouiller et... nous aurions besoin de l'ancienne chambre de Dudley pour installer leur futur bébé, Elsa accouche bientôt».
Elsa... Il était un peu amoureux d'elle quand il avait seize ans. La seule personne de son entourage qui était gentille avec lui, mais c'était la petite-amie de son cousin. Deux ans plus tard elle se mariait précipitamment à Dudley à cause de sa grossesse et lui l'avait oublié pour Ginny. Il aimait tellement être chez les Weasley à cette époque. Il venait tous les jours après les cours et parfois même le week-end. Pendant les vacances Ronald invitait tout le monde et Harry aimait être là lorsque les premiers invités arrivaient, comme s'il avait toujours était présent dans cette maison, comme s'il faisait partie de la famille, comme si après la fête il n'allait pas finir par rentrer au 4 Privet Drive. Un jour en effet il n'y était plus revenu, mais il avait alors eu l'impression de louer une chambre chez les Weasley plutôt que de faire partie de la famille. On n'adopte pas les gens lorsqu'ils ont dix-huit ans révolus, pensa-t-il avec une petite pensée pour Tom. Pour lui comme pour l'adolescent l'enfance avait passé sans que quiconque ne vienne les en sauver.
Le soleil dardait à travers les nuages. Il devait marcher depuis une bonne heure et c'était une chaude après-midi de printemps. Il avait retiré son pull et l'avait noué autour de sa taille. Au bout de quelques minutes encore il défit les premiers boutons de sa chemise pour tenter vainement d'avoir moins chaud. Il aurait volontiers jeté tous ses vêtements par terre et déambulé dans le plus simple appareil sur cet étroit sentier qui s'enfonçait dans l'ombre des arbres au fur et à mesure qu'il avançait. En regardant la voûte végétale, une phrase d'un écrivain français connu pour ses jeux de mots lui revint en tête : «un hêtre vous manque et tout est des peupliers»*. Il rit et se rendit alors compte qu'il avait la gorge sèche. Peut-être marchait-il depuis plus longtemps qu'il ne le croyait. Harassé, il s'assit sous un grand arbre et posa quelques instants sa tête contre le tronc.
Pourquoi ne s'était-il jamais mis au sport ? Il avait ardemment désiré apprendre à nager, savoir courir plus de quinze minutes sans être au bord de l'asphyxie, ou encore traverser Londres en roller comme le font les jeunes gens sur les ponts qui longent la Tamise lorsque le soleil de l'été jette tous les citadins hors de leur appartements. Il n'avait jamais eu l'occasion de pratiquer la moindre activité physique étant privé de beaucoup de choses durant son enfance, mais quand les Weasley l'avait accueilli chez eux pendant quatre ans, quand il avait rencontré un petit succès avec son premier livre et quand avait acheté une maison avec Ginny en prévision de leur vie à deux, pourquoi n'avait-il jamais trouvé le temps de remédier à ces défaillances ? Il ne désirait pas être parfait, mais il avait la vague idée que le sport pouvait être un moyen de parvenir à une amélioration de son existence. De la même manière il aurait aimé savoir peindre ou jouer d'un instrument de musique, mais il n'avait plus l'âge de s'y mettre depuis un moment. Il n'avait aucune envie de participer à un de ces ateliers fréquentés par des dames d'un certain âge peignant d'ignobles reproductions de Monet à l'aquarelle, ou d'apprendre la guitare dans une école où un élève de quinze ans jouerait déjà Highway to Hell pendant qu'il peinerait à bidouiller deux accords.
Résolu à s'acheter un short et des baskets dès le lendemain Harry rebroussa chemin pour retrouver sa voiture. Lorsqu'il y parvint enfin il avait l'estomac dans les talons, une belle ampoule au pied droit et des auréoles sous les bras. Il pria de toutes ses forces pour que Tom ne l'attende pas à ce moment précis près de sa Golf verte et fut exaucé. D'ailleurs il n'y avait pas la moindre trace indiquant que l'adolescent se soit trouvé là pendant son absence. Il mit le contact et décida qu'il avait mieux à faire que de tourner en rond autour de l'orphelinat comme une âme en peine. Pour commencer il pourrait par exemple sortir les meubles de sa voiture et employer son dimanche à meubler un peu plus dignement son appartement. Sans oublier qu'il n'avait toujours pas pris le temps ni d'enlever le graffiti de Ronald de sa porte, ni de signaler son changement d'adresse, et encore moins de délivrer la boîte aux lettres d'un buisson de ronces particulièrement foisonnant.
Ce ne fut que lorsqu'il regarda l'écran de son portable pour y lire l'heure qu'il vit le texto.
«Leeds Castle. 18h.»
* "Un seul hêtre vous manque et tout est des peupliers" jeu de mot de Jean-Paul Grousset à partir du plus célèbre vers de Lamartine.
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Les lèvres d'un garçon.
FanfictionLe monde d'Harry Potter et ses personnages sont propriété de JKR0. Et l'histoire à Valdemore. M- NC17 U.A Harry Potter est un jeune écrivain qui a des relations difficiles avec sa belle-famille. Alors que lui et sa femme font des démarches d'adoptio...