L'Hôpital des Âmes [Hospital for Souls] {correction à venir}

1. Même l'enfer peut devenir confortable une fois que tu t'y es installé.

Le soir d'Halloween était sans doute le meilleur moment de l'année pour s'installer confortablement dans un canapé, se glisser sous des couvertures, et regarder des films d'horreur en dévorant des bonbons et des popcorns.
Ça, c'était avant.
Maintenant, il existait ce système de Blu-ray DVD 4D qui permettait à n'importe qui de pouvoir s'intégrer dans un film, une série, ou même un roman, et de le vivre de la manière la plus intense qui soit : avec les cinq sens.
Le système, jugé à l'époque de sa sortie et encore aujourd'hui parfois comme révolutionnaire, avait été commercialisé un petit peu moins d'un an auparavant. Il était certes très onéreux, et il fallait répondre à certaines conditions afin de l'installer chez soi, mais les parents d'Estéban avaient la chance de posséder à la fois beaucoup de place et beaucoup d'argent. L'acquisition de ce système 4D représentait pour eux une bagatelle, et ils avaient décidé de se l'offrir pour fêter leurs vingt-cinq ans de mariage, il y a de ça un mois.
Ils l'avaient testé à maintes reprises, et leur fils avait eu le loisir d'en profiter également. C'est pour cela que, à l'occasion d'Halloween, il avait décidé d'organiser une soirée où lui et ses amis s'intégreraient dans un film d'horreur sortit récemment en Blu-ray 4D.
Il avait convié sa petite amie, Ambre, une grande brune aux longs cheveux épais et ondulés qui était capitaine des pom-pom girls. Estéban étant lui-même capitaine de l'équipe de foot du lycée, il était normal qu'ils soient en couple tous les deux. C'était dans la logique des choses.
Il lui avait demandé d'inviter des amies à elles, en précisant bien sûr qu'il devait s'agir uniquement de pom-pom girls et uniquement de filles jolies. Lui, de son côté, avait demandé à certains gars de l'équipe de venir. L'un d'eux, Lenny, s'était pointé avec un certain Maxime, son meilleur ami.
Estéban trouvait que ce mec là faisait tache parmi tous les autres. Il n'avait rien d'un sportif : il était tout petit, tout chétif, et semblait manquer grandement de confiance en lui. Esté avait horreur de ce genre de personnes qui manquaient d'assurance et qui avaient l'air de s'excuser d'exister à chaque mouvement qu'ils faisaient.
La soirée devait officiellement commencer à vingt-deux heures tapantes. Le lieu de rendez-vous avait été donné directement chez Estéban, pour plus de facilités, et pour l'instant, seules cinq personnes étaient présentes : Estéban lui-même, bien entendu, Ambre, Lenny, Maxime, et Vania, l'une des pom-pom girls qui avaient été invitées.
Ils manquaient les trois autres, et l'organisateur de la soirée commençait à s'impatienter.
Ambre s'accrocha à son bras et, d'une voix légèrement suppliante, lui demanda :
- Tu es vraiment sûr de vouloir faire ça ? On ne pourrait pas plutôt regarder un film à l'ancienne, comme le font les gens normaux ?
Ambre était une trouillarde. Rien que l'idée de regarder un film d'horreur sur un écran plat ou au cinéma la terrifiait, alors s'intégrer dedans et en vivre chaque sensation... Elle n'osait même pas l'imaginer.
Quand Estéban lui avait proposé son projet de soirée, elle y avait été très réticente. Mais il avait insisté, et Ambre était une fille amoureuse, elle ferait n'importe quoi pour Esté.
Vraiment n'importe quoi.
Estéban passa difficilement une main dans ses cheveux bruns couverts de cire fixative et regarda sa copine du haut de ses un mètre quatre-vingt-cinq.
- Enfin babe., répondit-il avec un petit sourire moqueur. Nous ne sommes pas des gens normaux !
Ambre gloussa et il l'attira à lui pour l'embrasser.
Assis sur le canapé, pile en face d'eux et impuissant face à cette scène, Maxime les observa d'un air triste et dégoûté.
Lenny, qui avait remarqué l'état de son meilleur pote, s'approcha de lui et lui demanda doucement :
- Ça va mec ?
Maxime hocha la tête :
- Ouais, ouais. Mais je comprends pas pourquoi tu m'as invité chez ce gars, tu sais très bien que je le supporte pas. Si je suis là, c'est seulement à cause de toi.
- Je sais, mais je voulais pas y aller tout seul. Tu sais, je ne l'aime pas trop non plus. Et puis si ça se trouve, tu pourras te rapprocher de Ambre pendant le film...
Lenny lança un regard encourageant à Max.
Dans le fond, il n'y croyait pas. Il connaissait les sentiments de Maxime envers Ambre, mais il savait très bien que jamais elle ne s'intéresserait à lui. Non seulement parce qu'elle était raide dingue d'Estéban, mais aussi parce que Maxime, avec ses petits cinquante-cinq kilos pour un mètre soixante-douze, ses cheveux blonds foncés qui tombaient devant ses yeux verts tous timides et son air trop gentil, était loin d'être son genre de mec. Ambre préférait les gros durs, les sportifs, les gars musclés, et Max n'était rien de tout cela.
Lenny fut sortit de ses pensées quand la sonnette de la porte d'entrée retentit.
Immédiatement, Maxime se leva d'un bond du canapé, ravi d'échapper à la vision que lui offrait Ambre et cet abrutit d'Estéban.
- Je vais ouvrir !, clama-t-il comme s'il se justifiait. C'est sûrement les trois autres.
Il fit les quelques pas qui séparaient le salon de la porte d'entrée à une vitesse plus que raisonnable et déverrouilla la porte.
Elle s'ouvrit sur trois nouveaux visages.
Deux d'entre eux se ressemblait comme deux gouttes d'eau, sauf que l'un était féminin et l'autre masculin, mais à l'exception de cette infime différence dans les traits, Maxime distingua uniquement des ressemblances : la même peau métisse, les mêmes yeux noirs, les mêmes cheveux bruns ondulés. Ceux de la fille tombaient comme des vagues sur ses épaules, et ceux du garçon avaient été tirés en arrière et rassemblés dans une queue de cheval. Les ressemblances ne s'arrêtaient pas là : l'écartement de leurs yeux et la forme de leurs nez étaient identiques, même leur taille était la même. Quant à leurs vêtements, on aurait dit qu'ils les avaient choisis ensemble : un jean slim brut et une chemise blanche surmontée d'une veste en cuir épais de couleur noire.
Après avoir assimilé le choc, Maxime se dit qu'il devait s'agir des deux jumeaux, Craig et Hazel. Lui faisait partie de l'équipe et elle était pom-pom girl. Décidemment, Max n'était vraiment pas dans son élément.
À côté d'eux se tenait une fille plutôt petite, très pâle de peau, et dont les cheveux violine lui arrivaient à la taille. Maxime observa longuement ses yeux : ils étaient bleus foncés, une couleur intense et légèrement troublante, et il ne put s'empêcher de rougir et de baisser son regard au moment ou il leur dit d'entrer en se décalant pour les laisser passer.
Les trois amis franchirent le seuil de l'entrée, et un cri de joie se fit immédiatement entendre dans toute la maison.
Vania, qui s'était éclipsée dans la cuisine afin de préparer à boire et à manger pour après le film, débarqua en trombe. Maxime eut à peine le temps d'apercevoir une tête blonde lui passer devant que les deux corps de Vania et Hazel entraient déjà en collision.
Craig regarda sa sœur d'un air blasé.
- C'est bon, vous vous êtes vues il y a deux jours., leur fit-il remarquer avant de s'éloigner dans le salon pour saluer les autres.
Maxime se retrouva coincé entre le câlin des deux meilleures amies et la fille au regard troublant. Il tendit une main vers cette dernière et annonça :
- Je m'appelle Maxime, enchanté.
- Ashley., répondit froidement la jeune fille en toisant Max de haut en bas.
Mal à l'aise, Maxime replaça son bras le long de son corps comme si de rien n'était et ouvrit la bouche pour tenter de dire quelque chose. Ashley le devança :
- Je suis là parce que Ambre m'a invitée. Je voulais pas venir au départ. J'aime pas trop les films d'horreur, surtout le soir d'Halloween. C'est cliché.
Maxime expira un grand coup, soulagé de savoir que quelqu'un était dans la même situation que lui. Il commença à exprimer son ressenti à Ashley quand la voix d'Estéban s'éleva du salon :
- Eh alors les deux derniers, vous faites des bébés ou quoi ?
Des rires se firent entendre, Maxime rougit, gêné, en s'apercevant que tout le monde était désormais réuni dans le salon et qu'ils n'attendaient plus qu'eux. Il les rejoignit, suivit d'Ashley, et se plaça à côté de Lenny dans le rang qui avait été formé par les autres. Devant ce rang se tenait fièrement Estéban, brandissant une petite boite carrée dans sa main droite.
- Bon, les mecs ! Et les filles..., fit-il en adressant un clin d'œil subjectif à Ambre. J'ai l'honneur de vous annoncer que nous allons nous intégrer dans le film d'horreur le plus flippant de l'année : Hospital for Souls !
- Ça raconte quoi ?, demanda Craig qui n'avait jamais entendu parler de ce film jusqu'à maintenant.
- Justement, je vous lis le plot., annonça Esté en retournant la boîte du Blu-ray et en l'ajustant devant ses yeux.
Tiens, il sait lire., pensa Maxime en haussant légèrement les sourcils.
- Dans le compté du New Hampshire, aux Etats-Unis, se trouve un hôpital bien particulier... commença Estéban d'une voix dramatique. Situé en pleine nature, au milieu de nulle part, il regroupe les pires cas de folie et de déviances psychologiques jamais enregistrées. Des individus de tout âges, de tout sexe, venant de tout le pays et même du monde entier, y sont pensionnaires. Mais concentrer autant de démence dans un seul et même endroit ne peut être bénéfique pour personne, et les démons qu'ils ont apportés avec eux sont sur le point de se libérer.
Découvrez un monde ou les Hommes ont perdu toute humanité, où ils ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, où leurs monstres intérieurs ont pris le contrôle. Découvrez un monde où la terreur n'a aucune limite.
Découvrez ce monde où il vous faut survivre...
Ambre frissonna. Au fur et à mesure qu'Estéban avait lu le texte, son cœur s'était affolé, et cette fois, pas dans le bon sens du terme. Elle aurait été incapable d'expliquer pourquoi exactement, mais elle la sentait très mal, cette soirée.
- Ça n'a pas l'air si flippant que ça., lança Hazel en souriant. Mais d'un point de vue psychologique, il me semble très intéress...
- Tu nous fais de la psycho de comptoir ?, coupa son jumeau en rigolant.
Hazel foudroya Craig du regard avant de se taire. Il n'empêche qu'elle trouvait que si on analysait le fond du film, il soulevait des questions bien plus intéressantes qu'un banal « qui va survivre à quoi ? »
- Prêts à passer à l'étage ?, demanda Estéban à ses invités.
Tous répondirent oui à l'unisson.

Si l'acquisition du système de Blu-ray 4D nécessitait une certaine somme d'argent, elle requérait aussi une condition non négligeable : celle de posséder chez-soi un espace de minimum vingt-deux mètres carrés, sans meubles, de préférence non mansardé et sans fenêtres.
Les parents d'Estéban avaient donc fait aménager une pièce, au troisième étage de leur demeure, qui était entièrement consacrée au système.
Maxime, Lenny, Ashley et Hazel, qui n'avaient jamais vu cette pièce auparavant, écarquillèrent grand les yeux et la bouche quand ils pénétrèrent à l'intérieur.
Maxime failli même lâcher un « wahoo », mais il se retint en se disant que ça serait trop d'honneur que de montrer à cet abruti d'Estéban qu'il était impressionné par ses biens matériels.
La pièce devait faire dans les quarante-cinq mètres carrés, soit le double de la taille préconisée par l'inventeur du système, mais comme il était précisé également sur la notice, plus l'espace était grand, plus le confort de l'expérience d'intégration était apprécié, et dans la famille d'Estéban, on n'aimait pas faire les choses à moitié.
Elle était intégralement, du sol au plafond, peinte en vert, un vert très vif qui piquait les yeux aux premiers abords. C'était le même genre de coloris que l'on pouvait retrouver dans des studios d'enregistrement, et il rendait parfaite la qualité d'images du film qui était diffusé.
Mais avec cette invention, ce n'était pas seulement la vue qui était mise en avant : les cinq sens l'étaient.
L'ouïe, grâce aux enceintes et haut-parleurs intégrés dans les quatre murs, à des endroits bien précis pour apprécier chaque dialogue et chaque musique du film ; l'odorat, grâce à des diffuseurs olfactifs installés un petit peu partout dans la pièce, et qui faisaient aussi, dans certains cas, office de diffuseurs gustatifs ; et enfin le toucher.
Ce dernier sens était assuré par la présence de mannequins robotisés, eux aussi de couleur verte, de tailles et de corpulences très variées sur lesquels l'hologramme viendrait se déposer afin de donner vie aux acteurs et personnages du film. Même le chauffage et la ventilation étaient ajustés en fonction de la météo présente dans l'histoire. S'il pleuvait, des robinets fixés au plafond s'activaient et reproduisaient la sensation des gouttes de pluie, et s'il neigeait, de la fausse neige était diffusée par ces mêmes robinets. Rien n'avait été laissé au hasard.
Estéban avait tenté d'expliquer grossièrement ce fonctionnement aux autres, mais à vrai dire, les huit amis ne comprenaient pas très bien comment tout cela fonctionnait. Tout ce qu'ils savaient, c'était que la technologie était merveilleuse.
Du moins quand elle ne se retournait pas contre vous.
Pour finir, il expliqua une dernière chose :
- Une fois que le film sera lancé, il n'y aura plus moyen de faire machine arrière, alors si quelqu'un veut se désister, qu'il le fasse maintenant.
Personne ne bougea. Esté poursuivit :
- Le film s'arrêtera automatiquement une fois fini, mais si jamais il y a un quelconque problème – ce dont je doute – on pourra l'arrêter grâce à cette télécommande.
Il brandit un petit boiter noir, carré, surmonté d'un bouton rond et rouge.
- J'ai choisi de la confier à Vania., continua-t-il en lui tendant ladite télécommande.
Vania accepta l'offre, légèrement surprise.
- Mais... Pourquoi tu ne la gardes pas toi ?, demanda-t-elle.
- Les poches de mon jean sont trop petites.
Pas étonnant, à porter des trucs aussi moulants... pensa Max. Esté ajouta :
- Et puis, on est tous d'accord pour dire que tu es sans doute la moins peureuse d'entre nous. Aucun risque que tu appuies sur le bouton off avant la fin du film.
- Aucun., confirma Vania en souriant.
Elle rangea la télécommande dans la poche arrière de son pantalon tandis qu'Estéban, lui, lança enfin le film.