10. Dans cet hôpital des âmes.

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La police était intervenue peu après que le film ait été désactivé. Alertée par les voisins qui se plaignaient du bruit et d'une activité qui leur semblait inhabituelle, elle avait défoncé la porte de la maison d'Estéban puis de sa salle spéciale, et, après avoir enjambé les corps, avait arrêté un Maxime qui ne s'était pas défendu.
Il avait été interrogé, et leur avait tout raconté. Presque tout.
Les inspecteurs de police avaient décidé de le faire interner, au moins provisoirement, dans un établissement spécialisé, et Max s'était retrouvé enfermé entre les quatre murs d'une chambre froide et sans âme, dans le fond d'un couloir du troisième étage d'un hôpital psychiatrique.
L'ironie du sort avait fait que son cas fascinait non seulement la presse mais également les médecins, qui s'étaient empressés de demander une dérogation afin de l'interroger une nouvelle fois. Une femme spécialiste dans l'étude des comportements humains psychopathes et dangereux avait obtenu ce droit.
Elle s'avança doucement dans la pièce où Maxime avait été installé, vêtu d'une camisole de force dont les liens avaient été très bien serrés.
Dans cette pièce à l'ambiance pesante et dont l'éclairage était assuré par une simple ampoule basse consommation, une table en faux bois avait été disposée, et autour d'elle, deux chaises en métal qui étaient aussi inconfortables que moches.
Maxime était assis sur l'une d'elle, le torse en avant, son genou droit replié contre lui-même.
Il observa la femme blonde, sans doute une bonne trentaine d'années, tirer la chaise en face de lui vers elle et s'installer droite dessus en croisant les jambes.
De l'autre côté d'un miroir sans tain, trois médecins psychiatres observaient, attentifs, un carnet de notes à la main.
La doctoresse posa son Smartphone sur la table et démarra l'application d'enregistrement avant de prendre la parole.
-        Veuillez décliner votre identité., demanda-t-elle formellement.
-        Maxime Baumdarvy., répondit ce dernier en détachant bien chaque syllabe.
-        Votre âge ?
-        Dix-sept ans. 
La psychanalyste marqua une pause avant de poser la première question de la liste qu'elle s'était faite mentalement.
-        Aviez-vous prémédité votre acte ?
Les lèvres de Maxime s'étirèrent doucement dans un large sourire. Il secoua la tête en arrière pour dégager la mèche de ses cheveux blonds foncés qui dévoila ses yeux pétillants de malice.
-        Bien sûr., répondit-il sans opposer la moindre protestation.
La psy fit craquer sa nuque nerveusement en soupirant.
Elle avait déjà eu la version des policiers, elle tenait surtout à en apprendre plus sur les motivations profondes de son patient. L'interrogatoire effectué par les forces de l'ordre lui avait appris qu'il s'agissait d'un meurtre déguisé et déresponsabilisé, puisque Max n'avait pas agit directement pour tuer ses camarades, mais que des créatures s'en étaient chargé pour lui.
Cependant, quelques questions persistaient, et la police avait laissé passer, aux yeux du médecin, des éléments indispensables à la compréhension de cet acte.
-        Ambre faisait-elle partie du plan ?
Maxime se crispa en entendant le nom de Ambre. Son sourire s'effaça et il secoua lentement la tête de droite à gauche.
-        Elle ne devait pas mourir., expliqua-t-il. Elle s'est volontairement foutue en l'air elle-même.
-        Pourquoi ne pas avoir désactivé le film à ce moment là, alors ?
-        Parce que ça, ça ne faisait pas partie du plan.
À nouveau la femme marqua une pause et un bref silence s'installa entre eux. Seules leurs respirations pouvaient s'entendre très faiblement. De l'autre côté du miroir, les trois médecins étaient toujours autant attentifs.
Le silence fut brisé quand la psychiatre énonça sa troisième question.
-        Et Ashley ? Vous avez essayé de la sauver.
Maxime ne réagit pas. Son visage se ferma et il leva lentement le regard vers la psy avant de le perdre dans le vide, alors qu'il se remémorait la scène.
En effet, juste après avoir appuyé sur le bouton off de la télécommande, il s'était précipité sur Ashley et avait tenté de la réanimer, en vain : sa tête avait fracassé le sol avec une telle violence qu'elle était morte sur le coup. Après cela, la police était venue l'appréhender.
-        Vous l'aimiez, n'est-ce pas ?
La voix confiante de la psychiatre sortit Max de ses pensées. Il se contenta d'énoncer une réponse simple et concise.
-        Ashley ne devait pas mourir. C'est elle qui avait eu l'idée.
-        Racontez-moi., ordonna la psychiatre d'une voix encourageante.
Alors il raconta. Comment Ashley et lui s'étaient rencontrés au détour du terrain de sport du lycée, comment ils avaient observé la joyeuse bande de sportifs et de pom-pom girls rire et s'amuser, tout en les maudissant d'exister.
Ashley et Maxime étaient sur la même longueur d'ondes, ils avaient les mêmes idées, les mêmes attentes. Aucun des deux ne se sentait à sa place dans ce monde de lycéens surfaits, encore moins Ashley, alors qu'elle avait tenté de s'intégrer en faisant partie de l'équipe des pom-poms.
La jeune fille avait soumis son idée à Max en lui expliquant que tout ce qu'il avait à faire, c'était se débrouiller pour récupérer la télécommande une fois que le film serait lancé. Elle, elle s'était chargée de trafiquer le système afin que l'hologramme se retrouve bloqué et se retourne contre eux. Max n'y connaissait rien en informatique, mais Ashley était douée dans le domaine. Elle n'avait eu aucune difficulté à modifier quelques puces et quelques câbles sans que personne ne s'aperçoive de rien. Avant, elle avait pris soin de renseigner sur des témoignages de personnes ayant subi des bugs du même genre, dont les hologrammes avaient pris leur propre indépendance, mais jamais aucun de ces cas n'avait été grave au point de provoquer des morts. C'était l'occasion de prouver que cela pouvait être le cas, simplement en reproduisant ce bug pendant un film d'horreur.
Ensuite, elle avait soumis son idée de soirée intégration dans un film spécialement pour Halloween à Estéban, et ce dernier avait accepté sans broncher. Tout ce qu'elle s'était contentée de dire à Max, c'était que si l'un d'eux se retrouvait en danger de mort, il devait appuyer sur le bouton d'arrêt d'urgence. Seulement si l'un d'eux était menacé.
Maxime avait insisté pour qu'ils sauvent Ambre également. Le plan de départ voulait que ce soit ces trois là qui s'en sortent, mais les évènements ne s'étaient pas déroulés comme prévu.
Au moment où Ambre s'était jetée dans les bras de la Mort, Max avait voulu interrompre le film en appuyant sur ce foutu bouton, mais Ashley l'en avait empêché d'un geste et d'un regard qui voulaient dire « si tu désactives le film maintenant, notre couverture est foutue, et ne compte pas sur moi pour prendre ta défense. »
Alors Max s'était abstenu. Ambre avait choisi de mourir, après tout. Tout ça à cause d'Estéban...
Il cessa son discours et inspira un grand coup. Après un long silence qui sembla durer des heures, la psychiatre demanda :
-       Pourquoi avoir fait cela ?
Maxime ricana et se pencha vers elle en plongeant son regard dans le sien. Avant de parler, il étira une nouvelle fois ses lèvres dans un long sourire faussement aimable.
-        Est-ce que vous imaginez à quel point la technologie peut être dangereuse, madame ?, questionna-t-il. La moindre chose est contrôlée par l'électronique, désormais, que ce soit nos voitures, nos maisons, nos vies... Mais que se passera-t-il le jour où tout ceci arrêtera de fonctionner ? Que se passera-t-il quand les puces et les câbles auront pris le pas sur les capacités manuelles des êtres humains ? N'importe qui peut accéder à vos dossiers, pirater votre ordinateur, votre maison ou votre voiture. N'importe qui peut prendre le contrôle. Vous êtes tous surveillés sans arrêt sans même le savoir. Vous choisissez de l'être en acceptant de laisser entrer ces appareils dans votre quotidien. Mais quand tout cela se retourne contre vous, vous ne pouvez plus rien faire, et pourtant vous pensez avoir le contrôle, naïfs que vous êtes.
La psychiatre décroisa et recroisa ses jambes avant de s'enfoncer dans le dossier de sa chaise et de laisser les informations se trier et se répartir naturellement dans les différentes cases de son cerveau. Enfin, elle posa son ultime question, celle qui n'était pas prévue dans sa liste mentale de départ :
-        Était-il nécessaire pour autant de provoquer toutes ces morts ou y avez-vous pris du plaisir ?
Max failli exploser de rire.
Il se contenta de sourire doucement, de pencher sa tête sur le côté, et de dire la seule phrase qu'il estimait capable de pouvoir répondre à cette question :
-        Vous savez, tout le monde veut changer le monde et aller au Paradis, mais personne ne veut mourir.

L'Hôpital des Âmes [Hospital for Souls] {correction à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant