4. Des salles silencieuses et des visages sans nom.

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Après un bref instant où Hazel avait balayé les lieux du regard, en quête de son frère ou d'une quelconque créature tueuse, ses yeux se posèrent sur le sol.
C'est là qu'elle vit, gisant à quelques centimètres d'elle à peine, le corps de Craig, scindé en deux dans le sens de la largeur, baigné dans une flaque de sang brunâtre qui s'étendait de plus en plus à leurs pieds.
Quand cette marée d'hémoglobine atteignit les baskets d'Hazel, elle se recula par réflexe.
Les cinq autres comprirent et fixèrent le sol à leur tour.
Le regard implorant de pitié et la respiration haletante de Craig leur indiqua qu'il était toujours en vie. Avec le peu de forces qui lui restait, il tenta même d'attraper son bassin et de rassembler les deux parties de son corps entre elles, comme si elles allaient se souder à nouveau comme par magie.
Une fois le choc passé, abandonnant toute rationalité, Hazel se jeta dans la mare de sang pour l'aider à le faire. Sa chemise blanche se tacha de rouge, et son jean se retrouva trempé par le liquide visqueux.
Elle attrapa les hanches de son frère et tenta de glisser sa partie inférieure jusqu'au reste de son corps, mais ses jambes étaient trop lourdes et les forces l'avaient abandonnées.
À la limite de la mort, Craig essaya, dans un dernier effort, de dire quelque chose, mais seul du sang s'échappa de sa bouche.
Il leva faiblement son bras vers sa sœur jumelle et attrapa la main de cette dernière tout en plongeant ses prunelles noires dans les siennes.
Dans les yeux de son frère, Hazel pu lire le désespoir.
« Je vais mourir. » disaient-ils. « Je vais mourir ici, dans d'atroces souffrances. J'ai mal. C'est la fin. J'ai mal. Je... »
Et puis, plus rien.
Les yeux de Craig se révulsèrent dans leurs orbites, sa main lâcha doucement celle de sa sœur et vint s'écrouler au sol, éclaboussant encore un peu plus Hazel d'un sang qu'elle partageait.
Ses lèvres tremblèrent, sa respiration devint saccadée, et elle étouffa un cri quand les larmes coulèrent le long de ses joues.
Les sanglots coincés dans sa gorge l'avaient rendu inaudible.
Hazel senti alors une main se poser doucement sur son épaule. Elle sursauta et se releva d'un seul coup, prête à en découdre. Mais quand elle se retourna, elle s'aperçut qu'il s'agissait simplement de Lenny.
Il la regardait d'un air plein de pitié et de compassion, et ouvrait la bouche comme s'il voulait lui dire quelque chose de réconfortant. Mais que dire à une sœur qui venait de perdre son jumeau de l'une des façons les plus abruptes et les plus horribles qui soit ?
Un peu plus en retrait, derrière, le reste du groupe l'observait sans mot dire.
Des larmes de frustration et de colère avaient coulé le long du visage de Ambre, et elle donnait l'impression qu'elle allait faire une seconde crise d'angoisse.
Maxime l'étreignait et caressait doucement ses épais cheveux bruns pour la calmer et la rassurer.
L'ambiance changea du tout au tout lorsqu'ils entendirent un bruit sourd en provenance du fond du couloir. La tristesse laissa place à l'angoisse, les cœurs s'accélérèrent et les corps se mirent en alerte.
Ashley distingua une inquiétante silhouette qui fonçait vers eux.
- Courez !, ordonna-t-elle aux autres, et personne ne se le fit répéter deux fois.
Hazel prit tout de même le temps de clore les paupières de son frère avant de s'enfuir, mais elle réussit à rattraper le groupe sans problème.
Ils venaient à peine de tourner à l'angle du long couloir dans lequel ils étaient que Vania stoppa net. Ambre ne la vit pas et se heurta à elle. Son nez se fracassa contre le crâne de son amie avec violence.
- Ça va ?, s'empressa de lui demander Max.
Pour toute réponse, Ambre tendit la paume de main vers lui comme pour dire « tout va bien, laisse-moi », et s'éloigna de quelques pas en baissant la tête et en posant son autre main sur son nez meurtri pour l'empêcher de trop saigner.
-   Pourquoi tu as arrêté de..., commença Maxime, mais l'attitude corporelle de Vania parlait pour elle.
La jeune blonde était droite comme un piquet, statique, ses pieds ancrés dans le sol, et ses bras collés le long de son corps l'empêchaient, un peu, de trembler. Ses yeux clairs, apeurés, fixaient un point bien précis. Maxime tourna sa tête vers le point en question.
Il sursauta et recula d'un pas quand il aperçut la petite fille cannibale, toujours avec ce regard qui donnait l'impression qu'elle allait dévorer même votre âme.
Derrière elle se trouvait un mur fissuré et à la peinture craquelée. Impossible d'avancer, et en voulant faire demi tour, ils aperçurent que la maigre silhouette qui les poursuivait s'avançait de plus en plus.
Maxime pesta de ne pas avoir une quelconque arme sur lui pour pouvoir se défendre.
Le petit groupe d'amis était là, au milieu du couloir, coincé entre deux patients fous, et tous s'interrogèrent sur ce qui était le pire : se faire dévorer les entrailles, ou mourir d'une mort lente et douloureuse probablement provoquée par la décapitation de leurs corps ?
Ils étaient perdus, c'était la fin, il n'y avait plus d'espoir.
Hazel ferma les yeux et serra les dents, prête à accepter son sort. Mais Ambre n'était pas du même avis.
Comme captivée par quelque chose qui se trouvait sur le mur à leur gauche, elle s'avança, tendit un bras devant elle, et le plus simplement du monde, ouvrit une porte et pénétra dans une pièce inconnue.
Les cinq autres amis, qui n'avaient pas remarqué sa présence quand ils étaient arrivés là, se précipitèrent à l'intérieur en suivant Ambre.
Lenny referma la porte au moment où un cri aigu et strident se fit entendre et où la silhouette fonçait sur eux.

Ce qui frappa les six amis en premier, ce fut la luminosité et le calme de la pièce.
Bien loin de l'ambiance sombre et glauque qui se dégageait du couloir, il régnait dans celle-ci un calme presque apaisant.
Elle était entièrement blanche, du sol au plafond, et vide, à l'exception d'un cube en verre qui trônait en son centre.
Ambre s'en était approché.
Dans ce cube en verre se trouvait un homme, ou plutôt ce qu'il en restait.
Il était chauve, maigre au point qu'on l'aurait confondu avec un squelette, et la couleur de sa peau avait pris une teinte grise.
Il était debout, et ses bras étaient suspendus en l'air, retenus par deux chaines au niveau de ses poignets.
Lorsqu'il releva doucement la tête pour dévoiler son visage, les amis sursautèrent et reculèrent d'un pas, comprenant alors que l'individu était encore en vie.
Seule Ambre était restée immobile devant la créature humanoïde. Dans la douce lumière blanche qui envahissait la pièce, on pouvait distinguer le sang qui avait séché en dessous de son nez et autour de sa bouche. Il lui donnait l'air encore plus fragile que ce qu'elle n'était déjà.
Elle fixa le visage de l'homme et le détailla : les yeux de l'homme semblaient avoir été arrachés, et ses paupières avaient été recousues par-dessus ses orbites. On pouvait encore distinguer très nettement les points de suture et les fils qui avaient servi à cette opération.
Son nez avait disparu, à la place, il ne restait plus qu'un trou béant et noirci.
Pour finir, ses lèvres, fines et sèches, donnaient l'impression d'être collées entre elles.
Ambre était fascinée. On aurait dit qu'il n'avait plus de visage.
La pom-pom gril s'approcha davantage du cube en verre, comme pour regarder le prisonnier de plus près, et l'une de ses parois disparu alors. Ambre fit un pas en avant.
- Ambre... Qu'est-ce que tu fais ?, demanda Lenny d'une voix calme.
Maxime se retourna aussitôt et observa la scène.
- Ambre arrête s'il-te-plaît, à quoi tu joues ? Reviens vers nous !, implora-t-il.
Mais Ambre ne l'entendait déjà plus.
À quoi bon vivre ?, pensait-elle. La vie est fade, la vie est ennuyante. J'en peux plus de rester ici. On va tous mourir de toute façon.
Un murmure résonna à ses oreilles, et elle entra dans le cube de verre. Immédiatement après, la face de celui-ci se referma derrière elle. Elle était prise au piège.
Maxime se précipita contre la paroi et frappa de toutes ses forces pour tenter de la briser.
- Ambre !, hurla-t-il.
Des larmes de frustration emplirent ses yeux. Il ne pouvait rien faire pour la sauver.
Il s'attendait à ce que la créature la dévore, ou quelque chose du genre, mais au lieu de ça, des flammes se propagèrent à l'intérieur du cube et commencèrent à les brûler, elle et l'homme sans visage.
Max assista, impuissant, à ce macabre spectacle que la fumée rendit bientôt invisible. Il recula lorsque les parois en verre devinrent brûlantes et lui firent mal aux poings. Ses phalanges étaient endommagées à force d'avoir congé.
Il déglutit difficilement et s'éloigna, dépité.
Ambre était morte. Ce qu'il redoutait le plus était arrivé.
Le pire, c'était que sa mort avait été volontaire, c'était elle-même qui s'était jetée dans les bras de la Grande Faucheuse, et tout ça pour quoi ? Max avait une théorie à ce sujet : parce qu'elle ne supportait pas la mort d'Estéban. Ambre s'était tuée pour lui, par amour, alors qu'il n'avait jamais fait attention à elle comme Maxime le faisait. Si Estéban s'était intéressé à Ambre, c'était uniquement parce qu'elle était capitaine des pom-pom girls, et qu'elle avait une poitrine un peu plus importante que la moyenne des filles de son âge. Tout ce qu'il voyait, c'était son physique, il n'arrivait pas à percevoir la beauté intérieure de Ambre, il ne comprenait pas à quel point elle était magnifique. Il ne l'avait jamais vue comme Max la voyait.
Lenny posa une main sur l'épaule de son ami et tenta de lui apporter du réconfort.
- Je suis désolé mec., dit-il simplement.
Max soupira.
Lenny en avait assez de réconforter des gens.
Quand est-ce que tout ceci allait s'arrêter ? Comment était-il possible qu'ils se soient retrouvés dans une situation pareille ? Il y avait forcément une solution pour s'en sortir.
Les cinq amis profitèrent du calme et de l'éclairage de la pièce dans laquelle ils étaient pour tenter de se reposer un peu et de faire le point.
Vania se prit la tête entre les mains et tenta de réfléchir, Hazel s'assit en tailleur à même le sol, Lenny étouffa ses larmes et Max et Ashley se regardèrent brièvement sans mot dire.
Malheureusement pour eux, ici, le calme ne durait jamais longtemps.

L'Hôpital des Âmes [Hospital for Souls] {correction à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant