6. Je ne peux pas craindre la mort, je suis mort un millier de fois.

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L'obscurité rendait difficile l'avancée des quatre amis dans ce long conduit. Fort heureusement pour eux, une légère lumière diffuse s'infiltrait à l'intérieur et leur permettait de voir à environ cinquante centimètres devant eux, ce qui était suffisant pour savoir qu'aucune créature n'était cachée ici.
Pourtant, cela n'empêchait pas à Vania de se sentir terriblement mal. Elle avait un mauvais pressentiment, comme si elle sentait qu'une créature les attendait, tapie dans l'ombre, et qu'ils allaient vivre quelque chose de pire que ce qu'ils avaient vécu jusqu'à présent. Mais comment cela pouvait-il être pire ? Elle accéléra la cadence en priant pour qu'ils trouvent enfin un moyen de sortir d'ici, dans tous les sens du terme.
Ashley, elle, avait du mal à respirer. L'odeur du vomi d'Hazel, mélangée à celle du sang séché sur son jean et sa chemise, rendait l'air du conduit particulièrement désagréable et oppressant. L'odorat d'Ashley était très développé, malheureusement pour elle, et les choses ne s'arrangeaient pas, malgré l'éloignement de leur point de départ. Au contraire, elle avait l'impression grandissante qu'une troisième odeur venait s'ajouter aux deux autres, et rendait le mélange particulièrement nauséabond.
Hazel, elle, avait également du mal à respirer, mais pas pour les mêmes raisons.
Elle avait la sensation que ce conduit n'en finissait pas, qu'ils n'en verraient jamais la fin, et elle se sentait oppressée. Elle voulu calmer le rythme de sa respiration en essayant d'inspirer profondément, mais ses poumons se bloquèrent. Elle eut un haut le cœur et cru qu'elle allait vomir à nouveau. Son souffle s'accéléra et devint rauque, son corps se bloqua : elle n'arrivait plus à avancer.
Ashley, qui se trouvait juste devant elle, se retourna après avoir eu l'intuition que quelque chose n'allait pas.
- Hazel ?, demanda-t-elle. Est-ce que tout va bien ?
Hazel voulu répondre, mais aucun mot ne sortit de sa bouche.
Au lieu de ça, sa respiration devint de plus en plus saccadée, et elle eut la désagréable sensation que ses membres se crispaient en même temps que ses muscles devenaient durs comme de la pierre. Un sentiment d'écrasement s'empara de tout son être. Elle trembla, incapable de faire un mouvement de plus.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?, demanda Maxime en se retournant à son tour, constatant que les deux pom-pom girls ne suivaient plus.
- Je n'en sais rien..., lâcha Ashley d'une voix aux intonations paniquées. Hazel n'arrive plus à avancer, on dirait qu'elle est bloquée...
- Hazel ?, demanda Max en se décalant pour la regarder.
Vania se retourna également doucement, et annonça d'une voix à peine audible :
- Je crois qu'elle est claustrophobe...
Ashley faillit bondir de colère et se taper la tête contre la paroi du conduit.
- Et c'est maintenant que tu nous le dis ?!
- Ashley, ne t'énerve pas..., tempéra Maxime. Ça ne sert à rien.
Ashley ravala sa colère et son agacement.
Il est vrai que s'énerver n'allait servir à rien, mais c'était comme ça, chez elle, c'était son tempérament, et elle n'y pouvait pas grand chose.
- Elle faisait parfois des crises, quand on était petites, si on se trouvait dans un endroit trop étriqué ou même tout simplement fermé., continua Vania comme pour s'expliquer. Mais je croyais que ça s'était arrangé, je pensais pas que... Enfin...
Maxime garda son calme et s'adressa directement à Hazel, oubliant presque la présence de Vania et d'Ashley.
- Hazel, ferme les yeux, d'accord ?
La jeune fille s'exécuta.
- Tout va bien. Écoute le son de ma voix...
Maxime parlait doucement. La tessiture calme, posée, et aux intonations un peu graves de sa voix rendait ses paroles apaisantes, presque hypnotiques. Ashley se surprit à fermer elle aussi ses paupières et à caler ses respirations sur les paroles de Max.
Il était en train d'expliquer à Hazel qu'elle devait inspirer et expirer doucement, profondément, tout en lui demandant de s'imaginer un endroit plaisant où elle aimerait être, là, maintenant.
Hazel choisit une plage de sable fin.
- Tout est dans la tête., prononça-t-il avant d'inspirer profondément.
Les trois filles l'imitèrent.
- Décris-moi cette plage Hazel, décris-moi chaque sensation.
Hazel avala sa salive, et commença sa description d'une voix tremblante :
- Il y a... un vent frais qui souffle sur mon visage. Le bruit des vagues est répétitif, comme le tic tac d'une horloge, mais c'est reposant. Le sable est chaud. Ça sent le sel et les coquillages. J'entends les mouettes au loin...
Elle arrivait presque à s'en convaincre. Il ne fallait surtout pas qu'elle rouvre les yeux.
Même Vania s'était presque laissée convaincre par la méthode de Max, mais malheureusement pour elle, la jeune blonde était une personne bien trop terre à terre.
Elle revint très vite dans la réalité, prenant conscience alors de chaque détail désagréable de leur situation, comme par exemple, l'air à peine respirable ou le fait qu'ils allaient probablement mourir très prochainement.
Elle lança un regard appuyé à Maxime et chuchota :
- On peut continuer à avancer maintenant ?
Max approuva d'un hochement de tête.
Il indiqua à Hazel qu'elle devait avancer comme si elle avait voulu aller se baigner en mer, et lui ordonna doucement de ne surtout pas ouvrir les yeux.
- C'est bientôt finit Hazel, ne t'en fais pas., murmura-t-il presque.
En vérité, il n'en n'avait aucune idée.
Vania sourit doucement tout en se remettant en route.
- Merci, Maxime., lui dit-elle en se retournant légèrement vers lui. Je ne sais pas ce qu'on aurait fait si tu n'avais pas été là.
Max haussa les épaules, comme pour répondre « c'est normal », et Vania lui sourit.
En fait, dans le fond, c'était vraiment quelqu'un de bien, et quand on y regardait d'un peu plus près, il avait vraiment un beau visage.
La pom-pom girl rougit en ayant cette pensée et leva un instant les yeux au ciel. C'est ainsi qu'elle ne vit pas sa main s'aplatir sur quelque chose de mou et gluant.
Un « splach » se fit entendre, et Vania étouffa un cri.
- Qu'est-ce qu'il y a ?, lui chuchota Maxime pour tenter de ne pas alerter Hazel.
Vania retira sa main de l'objet non identifié qu'elle avait écrasé. Elle s'approcha doucement comme pour l'observer de plus près, et répondit :
- J'ai touché un truc bizarre...
- C'est la télécommande ?, s'enquit Ashley, pleine d'espoir, qui avait tout entendu.
Vania fut désolée de lui annoncer la mauvaise nouvelle :
- Non c'est...
Son cœur commençait à s'accélérer.
- C'est...
- C'est quoi bon sang ?!, s'impatienta Ashley.
- Je crois que c'est une blatte.
Ashley et Maxime soupirèrent, soulagés.
- Oh c'est rien ça !, souffla Ashley.
- Parle pour toi oui..., maugréa Vania.
Elle grimaça de dégoût et avança à nouveau, lassée de s'arrêter sans cesse.
Fort heureusement pour elle, aucune blatte ne croisa plus son chemin. Elle prit bien soin d'examiner chaque parcelle de la surface où elle posait les mains, mais tout était clean.
Vania détestait les bestioles. Tout ce qui rampait ou avait plus de quatre pattes lui évoquait un sentiment désagréable de rejet. Elle n'en avait pas peur à proprement parler, mais ces machins ne devaient pas entrer en contact avec sa peau, au risque de provoquer chez elle une vive réaction d'hystérie.
L'adolescente avait mal aux genoux et aux poignets, elle était fatiguée de se trainer à quatre pattes dans ce long conduit. Elle commençait à désespérer d'en voir le bout au moment où une lumière attira son attention.
- Regardez !, ordonna-t-elle doucement aux autres.
Elle accéléra le rythme afin de s'approcher plus rapidement de la source lumineuse.
Les quatre survivants arrivèrent très vite jusqu'à une grille d'aération qui donnait l'accès sur une nouvelle pièce.
Il s'en approchèrent et s'installèrent tout autour, profitant du gain d'espace qui accompagnait la découverte de cette grille.
- On va pouvoir sortir d'ici ?, demanda Hazel, qui avait ouvert les yeux.
Son voyage mental était désormais terminé. La malheureuse reprit peu à peu conscience de l'environnement malsain dans lequel elle se trouvait. L'odeur iodée et le cri des mouettes la quittèrent pour ne plus devenir qu'un lointain souvenir, et alors, elle eut envie de pleurer.
- Je veux rentrer à la maison..., chuchota-t-elle d'un ton à peine audible, à la manière d'un enfant apeuré.
- C'est ce qu'on veut tous, Hazel., affirma Vania d'une voix rassurante et pleine de compassion.
- Mais je crois qu'on va devoir attendre encore un peu..., coupa Ashley.
Tous la regardèrent en fronçant les sourcils, l'air interrogateur. Elle était légèrement penchée au-dessus de la grille et observait la salle en dessous d'eux. D'un geste de la main, elle invita le reste du groupe à faire de même. Ils se penchèrent à leur tour et observèrent.
La pièce sur laquelle débouchait cette grille ressemblait fort à une salle d'opération chirurgicale. À l'intérieur se trouvaient deux infirmières en tenue de travail, et dont la moitié du visage était couverte par un masque en tissu blanc. Un peu plus loin, devant elles, un chirurgien en blouse bleue, ressemblant davantage à un savant fou qu'à un véritable professionnel semblait leur parler.
Les quatre amis n'entendirent rien de ce qu'ils se dirent, mais ils repérèrent très vite un quatrième élément relativement inquiétant.
Attaché à la table d'opération par des sangles au niveau des poignets et des chevilles, un homme d'une petite trentaine d'années, le regard paniqué et horrifié, s'agitait dans tous les sens pour tenter de se libérer et s'enfuir. En vain.
- C'était dans le film, ça ?, demanda Maxime.
Ashley hocha la tête.
- Je crois oui, c'est juste qu'on a vécu cette scène d'un point de vue différent, et pas de manière aussi détaillée...
- C'est une scène inédite alors ?, demanda Vania.
Ashley haussa les épaules :
- J'en sais rien. Je ne sais pas comment ça fonctionne moi...
- C'est possible qu'on soit dans les bonus, vous croyez ?, interrogea encore Vania.
- Des bonus tueurs ?, rigola Maxime sans le vouloir, nerveusement.
Il reprit un air grave et se tut, conscient de la stupidité de sa question.
- On est en train de revivre le film ou pas ?, questionna alors une Hazel pleine d'espoir.
Elle espérait que, si c'était le cas, peut-être pourraient-ils cette fois-ci en voir vraiment la fin. Le même film ne pouvait pas se diffuser éternellement, encore et encore, sans jamais cesser n'est-ce pas ? N'est-ce pas ?
Not even stars last forever.*
Vania voulut répondre quelque chose, mais Ashley la coupa.
- Oui, Hazel., dit-elle simplement. On est en train de revivre le film.
Elle ignorait si c'était réellement le cas, mais elle refusait que Vania brise une nouvelle fois les espoirs de son amie.
Hazel était la plus optimiste d'entre eux tous, mais aussi la plus fragile. Si ses envies de s'en sortir commençaient à flancher maintenant, il ne lui resterait plus rien, et alors peut-être commettrait-elle, au même titre que Ambre, un acte désespéré.
Un étage en dessous, sous le regard attentif des quatre amis, dans la salle d'opération qui s'apparentait bien plus à une salle de torture, les deux infirmières avaient désormais chacune un outil en main : une scie circulaire pour l'une, et une sorte de grosse pince à découper pour l'autre.
- Qu'est-ce qu'elle vont faire avec ça ?, demanda Max en grimaçant.
Vania et Ashley secouèrent la tête pour montrer leur ignorance, et Hazel se recula légèrement.
Elle avait peur de ce qu'elle allait bien pouvoir voir, elle avait eu sont compte d'horreur pour le mois à venir, voir l'année.
L'attention de Maxime, Ashley et Vania se reporta sur le bloc opératoire.
Le chirurgien avait retroussé ses manches et enfilé un masque assorti à sa blouse. Il lui couvrait le menton, la bouche, et le nez, sans doute pour le protéger des infections ou d'une quelconque éclaboussure. Il était impossible de voir ses lèvres, mais pourtant très facile de deviner, rien qu'en regardant ses yeux, qu'elles formaient actuellement un sourire sadique.
L'homme attaché au lit gigota de plus en plus, se tortillant tellement dans tout les sens qu'il semblait à deux doigts de se fracturer la colonne vertébrale. Ses efforts l'épuisèrent tant qu'il finit par retomber sur le lit, à bout de forces. Le chirurgien en profita pour lui attacher le cou avec une énième sangle, réduisant alors de beaucoup sa capacité de mouvement. Le légiste prononça ensuite des mots à l'attention du prisonnier, mais ceux-ci furent inaudibles aux oreilles du groupe. Ashley grimaça d'incompréhension.
Le cobaye cessa alors tout mouvement et tourna lentement sa tête vers les deux infirmières. Son regard glacé par l'effroi se posa ensuite sur le chirurgien fou. Ce dernier s'avança doucement, et se pencha au-dessus du pauvre homme.
L'opération pouvait enfin commencer.

[*Not even stars last forever est une phrase issue des paroles de la chanson Acid Rain d'Avenged Sevenfold. On pourrait la traduire par « même les étoiles ne sont pas éternelles ». J'avais envie de la caller là, je trouvais qu'elle correspondait bien au moment.
Et vous devriez l'écouter parce qu'elle est sublime 😉]

L'Hôpital des Âmes [Hospital for Souls] {correction à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant