David tenait entre ses doigts le courrier provenant de l'inspection générale que Franck, son secrétaire, venait de lui apporter.
Il avait fait appeler Vince. Celui-ci frappa à la porte du bureau et entra.
- Asseyez-vous Vince, dit David. Nous connaissons la date de l'inspection annoncée par M. Burnett : vendredi en huit. Cela nous laisse donc une petite dizaine de jours. Je crois que c'est plus qu'il n'en faut pour nettoyer les locaux et procéder aux vérifications de rigueur. Les inspecteurs que nous accueillerons se nomment O'Toole et Leroy. Ils sont censés me contacter afin de définir les modalités pour la journée. Avez-vous déjà subi des inspections, Vince ?
Vince haussa légèrement les sourcils :
- Oui, Monsieur, à plusieurs reprises, mais une seule ici.
- Et, en gros, comment cela se passe-t-il ?
- Eh bien, en général il s'agit de types pressés et pas très sympathiques qui veulent cependant tout visiter. Ainsi cela se passe souvent au pas de charge. Inutile donc de compter les recevoir dignement pour déjeuner : il est plus que probable qu'ils voudront prendre un plateau repas identique à celui servi aux détenus, tant pour se rendre compte de la qualité de la nourriture que pour ne pas perdre de temps.
- Je vois, dit David. Je n'ai de toute façon pas l'intention de leur montrer l'image d'un centre moderne où tout est encore neuf et où tout va pour le mieux.
Vince, pas dupe, le regarda par en-dessous. Il était clair que pour minimiser sa responsabilité dans les causes de la mutinerie et de l'évasion de Lucas, David Chessman avait tout intérêt à appuyer sur le côté vieillissant des installations et sur les conditions de détention qui, faute de travaux depuis la construction du centre, n'allaient pas en s'améliorant.
Par ailleurs, si l'on espérait un rafraîchissement ou une modernisation de l'existant, il fallait se garder de montrer trop belle allure aux inspecteurs.
Le gardien-chef et lui établirent soigneusement un document consignant point par point tout ce qu'il y avait lieu de vérifier afin, tout en ne cachant rien de la réalité concernant les locaux, de ne pas essuyer de critiques sur les mesures de sécurité mises en place.
Car s'il était un point sur lequel les inspecteurs se montraient toujours intraitables, c'était bien celui de la sécurité. Or, avec cette évasion, on pouvait s'attendre à ce qu'ils redoublent de zèle et apparaissent pointilleux, à tout le moins.
En clair, l'objectif prioritaire lors de cette inspection allait être de démontrer que l'évasion de Bill Lucas n'avait pu se produire qu'à la faveur d'un incroyable concours de circonstances malgré la mise en oeuvre des mesures prises, adaptées aux évènements de la mutinerie, et qu'elle avait toutefois été favorisée par la présence regrettable d'un appareillage de couvreur rendu nécessaire par des fuites d'eau dues à la vétusté du toit du bloc « B ».
Exactement ce qui avait été expliqué à l'inspecteur général Burnett, en somme.
David se persuada petit à petit que s'il arrivait à montrer les choses sous cet angle, il sauverait sa place, conforté dans cette idée par les paroles qu'avait prononcées Burnett.
Il supervisa personnellement les opérations de mise ou de remise en conformité et organisa plusieurs réunions avec les gardiens qui, à son grand étonnement, semblaient avoir oublié leur rancoeur d'avant la mutinerie et adhérer complètement au plan de travail élaboré avec Vince en vue de l'inspection.
Il faut dire qu'il avait mis beaucoup d'eau dans son vin depuis cette histoire de mutinerie et qu'en plus, l'exécution de Garrand l'avait brutalement ramené à la réalité, lui rappelant durement ce qui, au final, attendait tous ces hommes.
Et puis, il apprit autre chose : Vince finit par lui avouer qu'une rumeur circulait parmi le personnel, selon laquelle on pourrait bien fermer Woodville si l'inspection se passait mal.
Ce ne serait pas la première fois, disait-on, que l'administration pénitentiaire fermerait une prison à cause d'une évasion qu'on croyait impossible et qui avait pourtant eu lieu...
Autrement dit, les matons craignaient pour leur job et cela faisait bien son affaire.
Le mardi, trois jours avant la date de l'inspection, il reçut comme prévu un coup de téléphone de M. Leroy, l'un des deux inspecteurs.
Son comportement était tout à fait conforme à ce que Vince lui avait décrit : un type qui ne se prenait pas pour n'importe qui et lui parlait comme à un domestique.
David apprit ainsi que ces messieurs O'Toole et Leroy poursuivaient une tournée d'inspection planifiée de longue date mais dans laquelle on leur avait subitement rajouté le centre de Woodville, ce qui de toute évidence ne leur plaisait guère.
Ils exigeaient que leur soit remis, dès leur arrivée, un rapport détaillé sur l'incident de la mutinerie, l'évasion du dénommé Lucas, ainsi qu'un plan complet des locaux, tous documents pourtant déjà en possession de l'inspecteur général Burnett.
Ils n'avaient pas de temps à perdre et arriveraient en milieu de matinée en voiture de service -Leroy, grand seigneur, insistant même sur le fait que David ferait l'économie d'aller les faire prendre à la gare par un chauffeur.
Ils visiteraient les locaux, déjeuneraient rapidement d'un plateau repas pris au hasard parmi ceux servis aux détenus, et repartiraient en milieu d'après-midi.
Quels cons, ces types, se dit David en raccrochant. Pour qui se prenaient-ils ?
Il n'avait pas fini de le penser. Ces gars se croyaient vraiment tout permis : le vendredi matin, jour de l'inspection, cette fois ce fut O'Toole qui l'appela, vers 8h30.
- M. Chessman ? Inspecteur Ryan O'Toole à l'appareil, dit une voix nasillarde. Je désespérais de vous avoir. Votre secrétaire n'est guère matinal à ce que je vois ...
- Bonjour, Monsieur, que se passe-t-il ? Nous vous attendons bien en milieu de matinée ?
- Oui, pas de problème M. Chessman, bien entendu l'inspection est maintenue. Mais M. Leroy sera absent. Il a été rappelé pour un incident impromptu et je le déposerai à la gare avant de venir. Je serai donc seul et légèrement en retard car son train est à 9h45. Cela ne change évidemment rien à ce qui a été prévu. Visite, documents, j'espère que tout est prêt, je n'ai pas de temps à perdre. Dans l'idéal il faudrait que je sois reparti cet après-midi à 15h30 dernier délai.
- Tout est prêt, conformément à vos instructions, M. O'Toole.
- Fort bien. A tout à l'heure.
David raccrocha en fulminant. « Je n'ai pas de temps à perdre » : je t'en foutrais, moi. Ce type se pointait en retard et venait encore la ramener, de sa voix de canard enrhumé, comme quoi il était pressé !

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La promesse
Short Story"David était pâle comme un spectre. Jusqu'à présent, même devant tous ces détenus coupables des pires méfaits, même face aux menaces de Lucas, il n'avait pas vraiment réalisé où il se trouvait. Mais là, la vue de cette terrible chaise... Ce fut...