Chapitre 9

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Comme dans un cauchemar, Vince assistait à la scène surréaliste, essayant désespérément d'extraire sa matraque de l'étui qui l'accrochait à sa ceinture.

Cela n'avait pas duré plus de quatre ou cinq secondes.

Le gardien ayant reçu les pouces de Lucas dans les yeux était affalé à genoux par terre, les mains sur son visage ruisselant de sang. Vince, malgré le vacarme que faisaient les détenus surexcités par le spectacle, pouvait l'entendre hurler.

Mick, en sang lui aussi, regardait, hébété, son oreille qui gisait au sol.

Lucas avait déjà attrapé le gardien sur sa droite et tentait de l'étrangler avec la chaînette des menottes.

Enfin, le gardien-chef parvint à extirper l'énorme matraque et en asséna un grand coup sur la nuque du prisonnier qui tomba tout net tel un boxeur mis KO sur le coup.

Il était temps : le gardien de droite avait déjà la peau de la gorge complètement lacérée et un affreux gargouillis sortait de sa bouche tandis que, paniqué, portant les mains autour de son cou, il essayait d'inspirer de l'air.

Le maton assis à son bureau, là-bas tout au bout, n'avait pas bougé, incrédule, médusé.

- Mais bordel de merde, lui cria Vince, qu'est-ce que vous attendez ? Allez chercher du secours ! Appelez le médecin et revenez avec des renforts, il faut me saucissonner ce démon avant qu'il ne retrouve ses esprits !

Le gardien sauta de sa chaise comme si on l'avait piqué, ouvrit la porte barreaudée, sortit précipitamment et referma derrière lui, disparaissant en courant.

Moins de deux minutes plus tard, une armada de gardiens déboulait, suivis par le toubib du centre et deux infirmiers.

On se hâta d'attacher Lucas, qui commençait déjà à émerger, avec de multiples sangles, puis deux gardiens saisirent ces liens et le traînèrent en vitesse dans le couloir, escortés par quatre autres, en direction du bloc où se trouvait le mitard.

Le médecin et ses infirmiers entraînèrent à leur suite les trois blessés, guidant celui qui avait eu les doigts dans les yeux et ne voyait plus rien.

- Quel bordel ! dit Vince, parlant tout seul.

Il ramassa l'oreille de Mick, ce que personne ne semblait avoir osé faire, et la mit dans sa poche.

******

- Vous êtes en train de me dire qu'à quatre, vous vous êtes laissés déborder par ce Lucas ? Qui a été blessé, au juste ?

- Brown, Barrel et Mick Lorren.

- Mais bon sang, vous vous foutez de moi ? Ce type était entravé, non ?

- Oui, menotté et chevillé serré mais c'est un véritable démon, il n'a pas mis dix secondes à faire ça, juste le temps que je sorte ma matraque.

- C'est un manque de professionnalisme caractérisé, pour ne pas dire de l'incompétence, Vince. Je veux que vous me fassiez un rapport complet sur ce qu'il s'est passé et je verrai si des sanctions doivent être prises.

- Des sanctions ? Vous ne pensez pas que ces hommes ont assez dérouillé ? Brown a reçu les pouces de Lucas dans les yeux. Il n'y voit plus rien et le toubib pense qu'il a peut-être les yeux crevés. Barrel a un début d'écrasement du larynx et pompe l'air pour respirer. Quant à Mick Lorren, il est défiguré. Ca ne suffit pas ? dit Vince en jetant l'oreille de Mick sur le bureau.

David regarda le débris sanguinolent.

- Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Enlevez ça de mon bureau !

- Ce truc, comme vous dites, c'est l'oreille de Mick.

- Enlevez ça de mon bureau !

- Je vais l'enlever, ne craignez rien. Mais je veux que vous sachiez que ces types ont été gravement blessés en faisant le boulot stupide que vous aviez exigé : transférer Lucas au mitard pour avoir fumé une cigarette. Et ce n'est pas tout, M. Chessman, je veux aussi vous dire qu'avec les mesures que vous prenez, on est au bord de la mutinerie. Je ne sais pas si Lucas aurait fait ces exploits s'il n'avait été galvanisé par le bordel que foutaient les détenus lorsqu'on est passés devant leurs cellules. Je n'ai jamais connu une situation pareille en 30 ans de métier, et surtout pas du temps de M. Finch.

David n'en croyait pas ses oreilles. Une mutinerie ? Vince délirait. Le transfert avait été mal encadré et il essayait de se défausser, voilà tout !

- Je veux votre rapport demain matin sans faute sur mon bureau, Vince, je vous préviens.

- Eh bien vous l'aurez, mais ne comptez pas sur moi pour charger mes hommes. Et je vous avertis à mon tour que j'adresserai une copie de ce rapport à l'inspection générale en attirant l'attention sur l'état d'esprit qui règne à Woodville depuis que vous en avez pris la direction.

David accusa le coup. Un tel rapport, adressé à l'inspection générale à peine une quinzaine après son arrivée, cela ne l'arrangerait pas...

Mais il ne pouvait perdre la face.

- Faites, Vince, faites, adressez. Mais je vous rappelle que vous devez vous conformer au règlement : votre rapport doit être adressé sous mon couvert, dit-il par bravade.

- Je sais, M. Chessman.

Il se leva et, avant de sortir, dit à David d'un air faussement ingénu :

- Ah, j'oubliais de vous dire, Monsieur : les gardiens ont tous cosigné une pétition concernant l'organisation que vous avez mise en place en matière de congés et de permanences, avec l'intention de l'adresser aussi à l'IG, ce qui constituerait une première à ma connaissance. Désirez-vous qu'elle transite également sous votre couvert ?

Il sortit sur cette flèche du Parthe, laissant David plongé dans un abîme de perplexité.

 

La promesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant