I - Lila Valeska

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Les bruits des autres enfants riants et joueurs entrèrent dans la caravane. Les sons étaient lointains, et envahissants. Deux petits yeux bleus dépassèrent de la fenêtre, surplombés pas de courtes mèches rousses. Le visage curieux, l'allure incertaine, le garçon restait caché derrière cette vitre, invisible d'abord. Il regardait les petites jambes des autres garçons courir en évitant les flaques, remuant la poussière, titillant un pauvre chat qui se retrouvait coincé entre tous ces corps.

Le pauvre animal sifflait entre ses dents, pour faire fuir ses agresseurs, mais rien n'y faisait. Il recevait les cailloux, les coups de pieds, sous les rires affreux des enfants sauvages et insensibles. Le rouquin observait la scène, se demandant qui était le plus idiot. Le chat, qui ne bougeait pas, ou les enfants, qui le martyrisaient. Une voix de femme retentit entre tous les cris, laissant loisir au chat de se libérer sous la surprise des enfants. La femme, à la voix haute, au regard dédaigneux, ordonna aux enfants de se disperser, menaçant de laisser son serpent se jeter sur eux. Sheba n'était pas méchante, mais elle était impressionnante. Lila Valeska adorait son serpent, elle l'avait elle-même dressé. Elle avait la démarche titubante, surement soulée depuis la veille.

Sachant pourtant qu'elle n'en ferait rien, les enfants s'enfuirent dans un mélange de cris et de rires. Le chat se cacha sous une caravane, le cœur battant, les yeux humides et les griffes sorties. En voyant sa mère se rapprocher de la caravane, Jérôme s'éloigna de la fenêtre, pour se laisser tomber dans un coin de sa petite chambre. Elle avait été absente toute la nuit, et la voilà qui rentrait au milieu de la matinée. Il ramena ses genoux à sa petite poitrine, comme un petit animal le ferait en se dissimulant derrière ses allures disgracieuses. Il attendait toujours l'arrivée de sa mère avec une certaine appréhension, ne sachant pas réellement comment elle se comporterait ce jour-ci par rapport au jour précédent, en fonction du compagnon nocturne qu'elle avait pu trouver. Lorsque ledit compagnon, n'importe qui soit-il, n'était pas dans la caravane, dans la chambre de sa mère, collée à la sienne.

La porte de la caravane fut ouverte avec brusquerie, et refermée dans un claquement sourd.

- Jérôme ! appela la voix alcoolisée de sa mère.

Le cœur du jeune garçon fit un bond puissant dans sa poitrine, et il se releva en s'aidant du mur. La nuit avait été longue. Il se déplaça timidement jusque dans la cuisine, où était assise sa mère, la tête enfouie dans ses bras. Jérôme resta planté là, en attendant qu'elle lève la tête.

- Ça va, maman ? demanda-t-il avec l'inquiétude que tous les enfants ont devant leur parent malade.

Sa mère leva la tête pour le regarder, et se mit à rire en reconnaissant son visage.

- Oh, oui, moi ça va ! s'exclama-t-elle. Mais toi, mon pauvre Jérôme, je sais pas comment tu vas faire pour survivre dans ce monde, avec cet affreux visage et ces yeux larmoyants.

La méchanceté de sa mère frappa Jérôme en plein dans l'âme, comme à chaque fois. Du haut de ses presque neuf ans, il n'avait rien à répondre, et attendait simplement qu'elle lui demande ce qu'elle voulait.

- Va me chercher une bouteille chez Joey, dit-elle enfin, en lui tendant un billet.

Il baissa la tête avec soumission, et se dirigea tranquillement, sans aucun geste inutile, vers la sortie.

- Ne traine pas ! le prévint sa mère.

Elle murmura un « crétin », que le garçon fit semblant de ne pas avoir entendu avant de fermer la porte derrière lui. Il marchait en laissant trainer ses pieds sur la poussière qui s'étalait sur ses vieilles chaussures. Il regardait obstinément le sol, comme s'il y trouvait une sorte de béatitude, une expression triste qui lui restait très souvent accrochée à ses traits du visage. Le dos courbé, le nez reniflant, il avançait.

Mad Love (Jerome Valeska)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant