Sentiments Humains (en pause)

14

"Pourquoi ne crois-tu en rien?"
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Dore erre comme une âme en peine dans la rue, ses ailes à présent tellement grandes qu'elles traînent au sol. La fureur qui brillait dans les yeux de son frère l'a effrayée, et, s'avoue-t-elle intérieurement, peinée. Oui, sa réaction l'a blessée.
"Pourquoi personne ne me comprend ? Pense-t-elle avec colère. Je veux qu'on me prenne au sérieux! Qu'on prenne en compte mes idées, mes opinions! Et comment faire quand les gens ne vous regardent que comme un enfant?
-Tu m'étonnes que je veuilles grandir ! "Crie-t-elle au ciel, sans savoir à qui elle s'adresse précisément. Elle croise son reflet dans une vitre d'un magasin de chaussures. Le visage d'une adolescente lui rend son regard. Elle touche doucement son visage. Son reflet, évidemment la suit. Ses yeux lancent une supplique désespérée. On dirait un ange déchu, avec sa robe blanche qui s'est déchirée quand elle est tombée par terre, ses pieds nus et sales. Elle fait même un peu peur. De rage, elle frappe la vitre de toutes ses forces et pousse un cri étranglé. La douleur traverse sa main, explose, se déchaîne, monte jusqu'au cerveau, aux pensées de Done. Elle tombe à genoux en se tenant la main, elle siffle de douleur, les larmes lui montent aux yeux. Elle sent le poids de sa divinité sur ses épaules plus que jamais, ses ailes sont des enclumes qui la rattachent au ciel.
- Pourquoi c'est si dur ? Crie-t-elle de rage. Être au milieu de tous ces gens, les regarder faire leur vie et ne pas en faire partie ? Pourquoi je ne peux pas être comme tout le monde? Pourquoi je ne peux pas vieillir? Pourquoi je ne peux pas aller à l'école, goûter au chocolat comme je le voudrai? Pourquoi je ne peux pas être une simple humaine et pas un angelot stupide qui est puni de servir l'Amour pendant l'Eternité? Qu'est-ce que j'ai fait ?! Dites-le moi!
Mais personne ne lui répond.
Elle ferme les yeux et serre les dents de toutes ses forces.
- J'aimerai tellement exister... Murmure-t-elle.
- Oh! Regarde! Crie une voix d'enfant.
Elle sursaute et lève la tête. Un gamin se précipite vers elle, les bras tendus. Elle écarquille les yeux. Les larmes perlent le long de ses joues, ses ailes sont dévoilées sur son dos.
- Les nouvelles vans! Elles sont trop belles je les veux!
Il la traverse comme si elle n'est rien d'autre qu'un nuage, un courant d'air. L'enfant met ses mains sur la vitre en regardant avec envie les chaussures dans le magasin. Done baisse la tête avec découragement. Elle peut toujours rêver. À leurs yeux, elle n'existe pas. Le poids de son immortalité lui pèse sur les épaules. Elle se relève avec difficulté, se regarde une dernière fois dans la vitre puis se détourne de son reflet. Une idée un peu folle germe dans son esprit. J'existe peut-être pour quelqu'un. Eren. Quand il me verra grande, on pourra converser comme des humains normaux, il me prendra au sérieux.
Elle marche lentement d'abord, puis de plus en plus vite. Avec plus de difficulté que la dernière fois, elle prend peu à peu forme humaine. Elle trébuche mais se rattrape rapidement. Une pluie fine tombe. Elle coule, glisse, s'épanouit sur la peau pure de la jeune fille. Elle s'imprègne de ses cheveux, de son visage, de sa robe. Ses ailes disparaissent. Son corps prends plus de consistance, ses os s'alourdissent. Elle prend plus conscience de sa transformation cette fois-ci. Elle ferme quelques secondes les yeux en s'arrêtant. Elle cherche l'énergie particulière d'Eren. Son aura, dorée et brune, sentant le miel et les fraises tagada. Elle ouvre les yeux. Elle l'a trouvé. Elle reprend son pas rapide. Elle va jusqu'à courir. Elle court sans même regarder où elle va, dans l'obscurité. Elle ne fait pas attention à la nuit qui est arrivée si vite, ni à la boue qui macule ses pieds. Elle ne fait pas attention aux tâches sur sa robe, ni à la fraîcheur des gouttes sur sa peau. Elle dépasse des rues, des magasins, enfin, la ville. Elle s'arrête finalement devant une grande maison. Elle est à peine essoufflée. Une boîte aux lettres indique le numéro 16, suivi par une inscription dorée: Famille Hawre. Un portail et des barrières blanches délimitent les limites de la maison. Les fenêtres montrent la lumière allumée. Comme il fait nuit noir, Done ne distingue pas beaucoup de détails.  Elle ouvre sans hésiter le portail et s'introduit dans le jardin. Elle le traverse et se rend à la porte d'entrée d'un pas décidé. Elle appuie sur la sonnette. Elle entend des bruits de pas. Quelqu'un ouvre la porte et son coeur s'arrête, pour autant qu'un ange ait un coeur. Elle perd son souffle, ses repères, ses pensées. Eren se tient devant elle, les cheveux ébourrifés, un jogging noir pour seul vêtement. Done s'efforce de ne pas l'observer à la dérobée, ses yeux inquisiteurs et sa poitrine musclée dénudée.
- Je viens récupérer mon livre, dit-elle de but en blanc.
Il l'observe avec méfiance, les yeux plissés.
- Qui êtes-vous ?
- Je viens récupérer mon livre, répète-t-elle.
Sa voix se brise sur la fin. Elle tâche de cacher le tremblement de sa lèvre en la mordant.
- Done? C'est toi? La reconnaît-il, enfin. Mais qu'est-ce que...
- Mon livre? Le coupe-t-elle, impatiente.
Ses genoux tremblent, elle perd de son assurance. Déconfit, le garçon se fige. Elle s'est mordu si fort la lèvre qu'elle sent le goût métallique du sang dans sa bouche.
- Oui, pardon. Entre.
Mais il ne bouge pas. Il l'observe à la dérobée. Done finit par se sentir gênée et baisse les yeux.
- Quoi ? Demande-t-elle.
- Tu as pleuré?
Elle ricane et lâche un reniflement involontaire.  
- Il pleut, répond-elle simplement.
- Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que tu n'es pas la même?
- Il fait froid, dehors.
Encore plus confus, Eren lui ouvre grand la porte et elle s'engouffre dans la maison en soupirant. L'intérieur est un vrai cocon familial. Il y fait bien chaud, un désordre immense règne partout. Eren se précipite à l'étage et revient quelques secondes plus tard avec son livre sur les Anges. Done lève les yeux vers lui. Elle n'aurait pas dû venir, le revoir. Elle n'est pas humaine. Elle aura plus de difficultés à se retransformer. Elle ne pourra pas le revoir. Ou plutôt, lui, ne le pourra pas. Il faut qu'elle s'en aille. Elle tend sa main vers lui pour prendre le livre.
- Merci.
- Tu es blessée?!
Elle lâche le livre et cache vivement sa main. Elle a complètement oublié sa blessure. Elle n'ose regarder vers sa main. La douleur qui était partie sous l'effet de l'adrénaline lui revient en plein fouet. Elle grimace.
- Ce n'est rien.
De son autre main, elle prend le livre.
-Au revoir.
Elle se dirige vers la sortie à toute vitesse. Trop de choses humaines ici. Trop de choses réelles.
- Done! Attends.
Il lui attrape la main et elle pousse un glapissement de douleur.
- J'avais raison! Tu t'es blessée!
- Laisse-moi tranquille! S'écrie-t-elle.
- C'est toi qui est venue!
Elle l'observe avec surprise. La colère semble avoir pris possession de son visage.
- Tu es dans un sale état, ne crois pas que je vais te laisser partir.
Il ferme la porte d'entrée et la ferme à double tour avec sa clé, qu'il met ensuite dans sa poche.
- Assieds-toi sur le canapé.
Elle obtempère, sans protester cette fois. Il part à l'étage, dans la salle de bain. Done glisse ses doigts sur la surface de son support. Il est moelleux, tout doux. La bataille faisant rage dans son coeur se calme. Elle regarde avec envie les tableaux, les photos colorées, le joyeux désordre de la maison, du salon. Les magazines, sur la table. Le pot plein de fleurs de roses, par terre. Elle entend du bruit à l'étage mais ne s'en préoccupe pas. Elle glisse ses doigts dans sa robe, pour se rendre plus présentable, en vain. Eren revient, une pommade dans une main, une couverture dans l'autre. Il met la couverture sur les épaules de Done et frotte doucement. Une douce chaleur l'envahit. Elle se fige.
- Qu'est-ce que tu fais ? Ose-t-elle demander.
- Je te réchauffe, répond-il. Ça ne se voit pas ?
- Pourquoi ?
Il soupire et ne répond pas. Il s'assied à côté d'elle lui prend la main. Elle découvre, horrifiée qu'elle est bleue, avec des stries légèrement violettes.
- Tu ne t'ai pas loupée on dirait, dit-il avec inquiétude. Comment tu t'es fait ça?
- Je n'ai pas loupé quoi?
Il la regarde bizarrement. Il soupire et abandonne.
- Tes parents ne sont pas là?
- Ils sont partis au Resto.
- Ah. Tu es seul alors.
Il met de la pommade sur sa main dans répondre. Il commence à masser doucement mais elle pousse un cri de douleur et la retire.  Il la regarde droit dans les yeux.
- Écoute Done, il faut que je te soigne. Je sais que ça fait mal, mais il faut que tu te laisse faire.
Méfiante, elle le laisse néanmoins reprendre sa main. Il reprend son massage. Elle sera les dents sous la douleur et tâche de ne pas penser au contact de sa main sur la sienne. Il prend la parole.
- Done. Répond-moi franchement. D'où tu viens ? Comment se fait-il que tu sois là, trempée, blessée, en pleurs ? Comment as-tu trouvé ma maison?
Elle retiens sa respiration et détourne la tête pour ne pas croiser son regard inquisiteur. Elle respire finalement un grand coup.
- Je suis venue chercher mon livre, murmure-t-elle.
- Ta vraie raison ? Je veux des explications enfin! Explose-t-il soudainement.
Elle le regarde droit dans les yeux.
- Je voulais te parler ?
- Me parler? S'étonne-t-il. La dernière fois qu'on s'est parlé tu t'es enfuie!
- Parce que tu me prenais pour une gamine! S'énerve-t-elle. Mais c'est fini maintenant. J'ai grandi.
Il arrête son geste, surpris par sa véhémence.
- Tu as grandi ? C'est insensé ce que tu me dis là!
- Ne vois-tu pas que j'ai douze ans ? S'écrie-t-elle en se levant. On peut parler de choses sérieuses maintenant ! Les anges existent!
Elle se cogne la main contre le bord du canapé et siffle de douleur. Il se lève à son tour.
- Quoi? Tu es venue pour me parler de cette histoire saugrenue? Je t'ai déjà dis ce que j'en pensais!
Il regarde avec inquiétude Done se tordre de douleur.
- Il faut que je t'emmène à l'hôpital.
- Non! Proteste-t-elle. Ca sera bientôt guéri!
-Tu te fiches de moi?! Elle doit être cassée!
Elle se lève et fait le tour du canapé pour ne pas avoir à croiser le regard d'Eren.
- Tu ne crois en rien! Je suis venue, changée, je suis plus mûre à présent. J'ai fait ça pour que tu prennes en compte mes propos, celle d'une fille plus âgée et non plus celle d'une gamine. Les anges existent! Et les dieux aussi! Pourquoi ne crois-tu en rien?
Il essaie de suivre son geste mais se prend la table basse à la cheville. Il s'écrase par terre en jurant. Done se retient de venir l'aider.
- Arrête de ma baratiner cette histoire Done! Ils n'existent pas! Désolé de briser tes rêves d'enfants mais c'est comme ça! Et je crois en quelque chose! La science! Qui peut d'ailleurs réparer ton poignet cassé contrairement à tes anges! Tu veux agir en adulte? Abandonne ces idioties et allons à l'hôpital te guérir!
Elle grimpe à reculons les escaliers. Eren se relève avec peine.
- Je croyais que tu allais m'écouter maintenant que j'étais plus âgée, dit-elle, les yeux embués de larmes à la grande surprise d'Eren. Je voulais qu'on parle normalement, je voulais que tu croies en quelque chose. N'importe quoi. J'ai grandis pour te faire comprendre.
- Done... Mais qu'est-ce tu racontes? Murmure Eren.
Il se tient debout et avance doucement vers Done en faisant attention à ne pas faire de gestes brusques.
- Tu dis que tu as vieillis pour moi? Ce n'est pas possible!
- Tu as dis toi-même que j'avais l'air changé! Crie-t-elle. Pourquoi est-ce que personne ne s'efforce de me comprendre, moi, ma douleur, ma solitude? Je pensais... Je pensais que je pourrais être normale, ne serait-ce que quelques instants, à ta parler. Mais tu es borné, borné! Si borné!
- Done... Allons à l'hôpital. Tu me parleras de ce que tu veux. Même des anges. Mais je t'en supplie, laisse-toi faire.
- Je ne suis pas blessée! Proteste-t-elle. Ça va bientôt partir! Et arrête de me regarder comme si j'étais folle!
Et elle s'élance dans les escaliers jusqu'à l'étage. Eren pousse un juron et la suit. La peur s'empare de lui, violente. Il s'est visiblement passé quelque chose. Il la trouve dans sa chambre, la fenêtre grande ouverte. Il remarque alors ses vêtements déchirés, ses pieds nus couverts de boue. Que lui ai-t-il donc arrivé? Dehors la tempête fait rage. La pluie entre dans sa chambre et mouille tout. Y compris Done, dont les larmes ruissellent le long de ses joues.
-Done...murmure-t-il.
Elle lui lance quelque chose qu'il attrape par réflexe. Il s'agit d'une pièce, toute mouillée. Il relève la tête vers elle. Il est quasiment sûr qu'il s'agit de celle qu'il a balancé à la fontaine. Elle lui sourit tristement, touche ses joues, regarde ses mains mouillées par ses larmes. Elle relève la tête vers lui.
- C'est la pluie, dit-elle si tristement que son coeur se brise en mille gouttelettes.
Et elle saute par la fenêtre. Eren crie de toutes ses forces et se précipite à la fenêtre. Il entend vaguement le bruit d'ailes. Il essaie d'observer son corps à travers la pluie en vain. On dirait qu'il n'y a rien. Qu'elle s'est volatilisée.
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Voilà voilà! Un chapitre exclusivement sur Eren et Done! Le poids de ses milliers d'années se fait sentir on dirait! Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que l'on ressent bien la détresse, le désespoir de Done? Dites moi si je me trompe dans les prénoms, ça m'arrive malheureusement souvent ^^'
Bisous mes amours 🤘🏼💗😄
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