Chapitre 9 - Peter

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Quand j'arrive en gare de Paris-Montparnasse, je longe le quai 50 mètres et je les vois. Mes renseignements étaient bons. Merci à la petite assistante naïve auprès de qui j'ai facilement obtenu l'heure du train d'Emma. Ils sont les yeux dans les yeux et il la tient par le bras. Mais que lui trouve-t-elle ? Je ne comprends pas ce qu'une fille comme Emma peut avoir à faire avec un tel mec ! Je ne les quitte pas des yeux. S'ils s'embrassent pour se quitter, la situation sera moins facile qu'envisagée. Un point positif : ils ne rentrent pas ensemble à Nantes. J'ai envie d'aller m'interposer tout de suite mais je résiste car les voir ainsi me met dans tous mes états et cela risquerait de dégénérer. Je préfère attendre qu'Emma soit seule pour nos retrouvailles. Je n'ai plus le droit à l'erreur avec elle. Je ne peux prendre aucun risque. Je monte dans mon wagon et reste près de la fenêtre pour ne pas manquer le moment de leur séparation. Et finalement je suis récompensé : pas de baiser amoureux. OUF ! Je suis ravi et réellement soulagé. « Let the best man win, Gilbert ! » (« Que le meilleur gagne ! »). Ce pauvre Philippe à l'air fou amoureux mais je connais suffisamment Emma pour me rendre compte que ce n'est pas son cas. Nous nous sommes suffisamment croisés sur les quais de gare pour que je sache qu'elle ne laisse pas partir celui qu'elle aime sans un baiser passionné. Je n'ai pas à regretter d'avoir bouleversé mon emploi du temps. La balle est dans mon camp et je veux reconquérir Emma plus que tout. Il me faut maintenant réfléchir à la façon dont je vais l'aborder dans ce train. Je rejoins mon siège en première classe. J'analyse la situation concrètement. J'ai un avantage sur Emma : je l'ai déjà revue, au bar hier matin. Le choc de la première rencontre est derrière moi alors qu'elle ne m'a jamais revu depuis trois ans. Cependant, il faut que j'y aille en douceur et qu'elle ne se doute pas qu'il s'agit d'un « complot ». Il faut que nos retrouvailles aient l'air d'une rencontre fortuite. Je dois la laisser s'exprimer pour connaître son état d'esprit à l'idée de me revoir, même si je suis persuadé d'être toujours capable de décoder certains de ses gestes. J'ai très souvent pensé à elle et revu en boucle les images des bons et mauvais moments passés ensemble : je sais quand elle est en colère et se contient, quand elle ment, quand elle se retient de rire ou fait semblant de s'intéresser à un sujet. David m'a prévenu qu'elle était informée de ma présence samedi soir et que cette nouvelle l'avait troublée. Tant mieux : rien ne m'aurait plus vexé que l'indifférence d'Emma.

Etant donné qu'il est dix-neuf heures, connaissant les habitudes d'Emma, elle va décider de gagner du temps en dînant dans le train. Je prends donc la direction du wagon-restaurant. Lorsque je parviens à la porte, elle n'est pas là. Elle a peut être changé ses habitudes ... si elle n'était plus la Emma que je connais ... Je suis sur le seuil du wagon, en plein doute, mais j'aperçois Emma qui entre dans le restaurant par l'entrée opposée. Contrôle-toi, Peter, ce n'est pas le moment de faiblir. Je choisis de la laisser s'assoir en premier. Elle s'accoude au bar et passe commande d'un sandwich et d'une bière. Je reconnais là mon Emma et retrouve la confiance en moi. Je m'assieds à mon tour sur un tabouret, à un mètre d'elle, et interpelle la serveuse à mon tour :

« La même chose pour moi, s'il vous plaît Mademoiselle. »

Je vois les épaules d'Emma réagir : elle m'a entendu. Qu'attend-elle pour se retourner ? Elle ne va pas faire comme si elle ne m'avait pas reconnu : je sais que ce n'est pas le cas !

Non ! Elle se retourne et affiche son sourire professionnel. Ne joue pas à ce jeu avec moi, Emma.

Je lui adresse la parole en premier pour la saluer. Ma voix est rauque et trahit mon émotion mais je suis avec Emma, cela m'est indifférent. Je veux qu'elle sache qu'elle n'est jamais devenue n'importe qui pour moi, même après trois années de séparation. Elle semble troublée elle aussi et cette rencontre fortuite n'est certainement pas la façon dont elle envisageait nos retrouvailles. Tant mieux !

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