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04 Février

Sara s'est penchée à l'arrière de la voiture pour attraper son sac. Je la regardais faire, encore une fois étonné d'être avec elle dans le véhicule.

"Rappelle-moi pourquoi on est là" ai-je lâché en lorgnant l'entrée du magasin de jouets du centre commercial devant lequel nous venions de nous garer.

"Tu dois trouver un cadeau pour ton neveu" m'a-t-elle répondu d'un air las, et j'ai compris que ce n'était pas la première fois que je posais la question.

"Le môme de mon frangin ?"

Sara a acquiescé, puis est sortie de la voiture avant de claquer la portière. Je détestais quand elle faisait ça - mais je n'avais rien à dire, car quand je lui en faisais la remarque, elle me crachait presque au visage "c'est ma voiture, je fais ce que je veux" avant de me tirer la langue comme une gamine de cinq ans.

Je l'ai rejointe et nous sommes entrés dans le magasin, qui passait en fond sonore les musiques des films de Disney.

"Et il veut quoi, comme cadeau ?"

"Ton frère m'a dit quelque chose en rapport avec les super-héros. Cherche ça, moi je vais voir du côté des DVD d'occasion s'il n'y a pas un petit quelque chose pour ma sœur."

J'ai hoché la tête, mais elle était déjà partie à l'autre bout du magasin. Alors, j'ai réfléchi, tout en errant dans les rayons : sa sœur ? Pourquoi cherchait-elle un DVD pour sa sœur ?

Et alors que je venais juste de me rappeler que Sara m'avait prévenu qu'elle passait chez ses parents ce weekend et qu'elle adorait offrir un film à sa petite sœur dès qu'elle la voyait, je me suis retrouvé en incapacité de penser : Diane était là. Juste devant moi. En équilibre sur un tabouret, elle rangeait des boîtes de poupées tout en haut des étagères, les plaçant du plus haut qu'elle le pouvait à bout de bras. Elle n'avait pas l'air de m'avoir vu, trop occupée à essayer de ne pas faire tomber des boîtes par terre.

Ce qui est arrivé.

"Merde !"

Elle a baissé la tête, et ç'a été seulement à cet instant précis qu'elle m'a vu, deux boîtes coincées entre sa poitrine et son bras, son autre main tenant une tierce boîte, les lèvres pincées et la frange lui tombant sur ses yeux à la couleur de l'océan. Elle a mis quelques secondes avant de lâcher :

"Côme ?"

"Salut."

Elle m'a regardé encore quelques secondes, puis a souri et décidé de rester sur son tabouret.

"Tu peux m'aider ?"

Je lui ai souri en retour, et ai attrapé les quelques boîtes qui avaient glissé de ses mains pour lui les tendre. Elle les a placées une à une, en silence, effleurant parfois le bout de mes doigts et me procurant des séries de frissons dans le dos. Parce que je la voyais, devant moi, dans son jean brut et t-shirt à l'effigie du magasin de jouets, mais je la regardais nue, nue la nuit alcoolisée et aux joues roses, nue le jour envieuse et aux cheveux humides.

"Qu'est-ce qui t'amènes ici ?" m'a-t-elle demandé lorsqu'elle eut fini de ranger les boîtes que je lui tendais.

"Je cherche des super-héros."

Elle m'a jeté un regard rieur, et a ajouté malicieusement :

"Tu fais la collection ?"

J'ai mis quelques temps à comprendre et à la corriger, lui expliquant que c'était pour offrir à mon neveu de sept ans. La retrouver devant moi après un mois de passé était déroutant ; à vrai dire je ne pensais plus jamais la revoir. J'avais bien regardé deux ou trois fois son profil Facebook, mais je ne lui avais pas fait de demande d'amis, pour ne pas réveiller de soupçons chez Sara, mais aussi parce que Diane m'intimidait ; plus qu'une aventure d'un soir, c'était devenu un fantasme, et j'avais imaginé maintes et maintes fois nos retrouvailles, sans réellement croire qu'elles allaient avoir lieu. D'autant plus dans ces conditions.

"Tu travailles ici ?"

Elle a hoché la tête. Et j'ai cru qu'elle n'allait faire que ça et ne pas s'embêter avec moi, maintenant que nous nous trouvions devant le rayon des super-héros car elle m'y avait conduit. Mais elle a parlé, a lancé le sujet de conversation, comme elle l'avait fait le soir du réveillon.

"C'est un job à mi-temps, ne va pas croire que je souhaite une belle et longue carrière dans la vente de jouets. Il me faut de l'argent pour payer le loyer avec les autres - je suis en colloc', c'est bien pratique mais il faut tout de même payer sa part ; alors j'altère entre journées de cours à la fac et journées de travail. Je sais, il y a de meilleures façons de vivre un vendredi soir, mais ça va, ce n'est pas le pire job du monde."

Et tout comme le lendemain de ce réveillon, j'avais envie de l'embrasser. Plus je voyais ses lèvres bouger, plus j'avais envie de les retrouver, juste vérifier si elles avaient gardé le même goût qu'elles arboraient il y avait un mois. Je ne l'écoutais même plus, je la regardais. C'était irréel de la voir devant moi, à seulement quelques centimètres de moi. La dernière fois que nous avions été aussi proches, c'était sur le seuil de son appartement, après nos ébats matinaux sur son canapé. Nous nous étions dit au revoir, et elle m'avait murmuré un sensuel "au plaisir de te revoir". J'avais usé de toutes mes forces pour ne pas la plaquer contre le mur et l'embrasser de plus belle.

"Côme ?"

Je suis sorti de mes rêveries, et n'ai pas pu m'empêcher de rire en voyant Diane claquer des doigts devant mon visage.

"Désolé, j'étais dans mes pensées" me suis-je excusé en riant.

"Qu'est-ce qui te fait perdre le fil de la réalité comme ça ?" a-t-elle demandé en riant, et en attrapant son téléphone, rangé dans la poche arrière de son jean.

"Rien à voir avec toi, je te rassure."

Elle a esquissé un sourire, puis m'a demandé mon numéro.

"Au cas où si je vois des super-héros collectors en édition limitée" a-t-elle ajouté avec un clin d'œil.

J'ai souri, ce sourire en coin charmeur que Thomas et moi avions peaufiné pendant notre année de seconde, et je lui ai donné mon numéro.

"Tu auras le mien bien assez tôt. Je te laisse, je dois filer au rayon Lego, je devais y être il y a un quart d'heure."

"Merci de l'avoir passé avec moi."

"Ça n'avait rien de déplaisant. À bientôt, Côme."

"À bientôt."

Je l'ai regardée s'éloigner, et j'ai poussé un soupir comme je n'en avais jamais poussé : un soupir heureux. Le soupir qu'on poussait lorsqu'on était heureux, comme lorsqu'on a bien mangé ou comme lorsque Sara voit les deux personnages principaux de sa série préférée se déclarer leur flamme. Ce genre de soupir.

DianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant