15

865 136 4
                                    

1er mai

Gabriel sautait sur les genoux de sa mère, en agitant un avion en plastique au-dessus de sa tête. J'ai souri et suis retourné à ma conversation avec Bastien et Jean. Nous étions chez ma grand-mère maternelle que je n'avais pas vue depuis des mois, tout comme ma mère. Je la voyais au loin, au fond du jardin en train de bavarder avec sa sœur, dans les bras de Franck.

Franck était le copain de ma mère. Dès qu'elle eut divorcé avec mon père, elle était partie vivre chez lui, son ami d'enfance. L'avantage était qu'elle se retrouvait à habiter plus proche de sa mère qui venait alors de perdre son mari, mais aussi qu'elle était partie vivre loin de mon père. J'aurais aimé partir avec elle.

Avec le temps, ils sont tombés amoureux et ma mère s'est épanouie. Aujourd'hui, elle souriait, riait, et aimait la vie, comme avant que ça ne dégénère avec mon père. Je la voyais beaucoup moins à cause de son emménagement chez Franck, mais au moins, elle était à nouveau heureuse.

Charlotte, la fille de Franck, a posé un plat rempli de saucisses et autres chipolatas tout juste grillées au barbecue sur la table de la terrasse et nous a invité à manger. On ne s'est pas fait prier pour se servir. J'en ai profité pour aller lui parler, laissant mon frère et mon cousin débattre sur la place de la saucisse dans notre société.

"Tu dois être le deuxième fils de Marie, c'est ça ?" m'a demandé Charlotte après que je l'ai saluée.

J'ai hoché la tête, lui tendant un verre de sangria. Mon oncle était très doué pour la préparer et il y en avait un saladier entier à chaque diner de famille.

"Tu lui ressembles beaucoup" a-t-elle remarqué en acceptant mon verre.

"Tu ressembles pas mal à ton père toi aussi."

"Tu trouves ? Lui n'arrête pas de me rabâcher que je ressemble à ma mère, c'est pour ça qu'il ne peut pas me voir en peinture."

"Pourquoi ?" ai-je demandé en riant, avant de boire une gorgée de sangria.

Elle m'a invité à la suivre d'un coup de tête. Nous nous sommes d'abord servis en viande, puis nous avons emmené nos assiettes et nos verres sur le rebord de la terrasse, où nous nous sommes assis, les jambes dans le vide.

"Elle s'est barrée de la maison quand j'avais six ans. Autant te dire qui lui en veut à mort" a-t-elle annoncé.

"Désolé."

"T'inquiète pas, je lui en veux aussi. Me laisser toute seule avec mon père, c'était comme me pousser au suicide. Il était immature et irresponsable, c'est pour ça qu'elle l'a quitté. Et moi avec, parce que j'allais devenir comme lui."

J'ai esquissé un sourire. Charlotte avait l'air d'être quelqu'un de très expressif, elle se confiait à moi alors qu'on se connaissait à peine.

"Et ton père à toi ? Ta mère n'en parle jamais."

Mon sourire s'est effacé. Charlotte s'est pincée les lèvres, comprenant alors qu'elle avait touché un point sensible.

"C'est assez long à expliquer..." ai-je quand même répondu.

"D'une certaine manière, j'ai tout mon temps. Je n'avais rien de prévu aujourd'hui à part me saouler à la sangria."

Elle a placé trois saucisses nappées de ketchup entre deux tranches de pain, et a levé les yeux vers moi, comme pour me dire "Vas-y. Je suis prête."

Je l'ai regardé pendant un certain moment. Charlotte avait l'air d'être une personne digne de confiance ; mais je ne me sentais pas prêt à pouvoir raconter cette partie de ma vie, et surtout à une personne inconnue.

DianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant