10 avril
"Tonton !"
Je me suis accroupi pour prendre Gabriel dans mes bras et le lever dans les airs.
"Comment ça va, champion ?"
Il m'a embrassé la joue, puis je l'ai reposé sur le sol et ai attrapé mon sac.
"Tu sais qui t'a apporté une surprise ?"
Un sourire béat a éclairé son visage et dès la figurine dans ses mains, il a crié et a couru à travers la maison.
"Tu ne devrais pas le gâter comme ça" m'a dit Barbara en se tenant à la porte d'entrée.
"Je sais, mais ça me fait plaisir."
"Tu as trouvé un boulot ?"
Je lui ai lancé un regard accusateur.
"Mon frère t'en a parlé ?"
"Côme, c'est mon fiancé. Bien sûr qu'il m'en a parlé."
Elle a enfilé un trench et a pris son sac.
"Tu t'en vas ? Je viens à peine d'arriver, je te fais si peur que ça ?"
Elle m'a souri ironiquement, a ouvert la porte et m'a lancé avant de partir :
"Ne t'inquiète pas, tu ne vas pas faire le baby-sitter, Bastien est là."
J'ai soupiré de soulagement. Oui, Gabriel était adorable. Mais c'était une boule d'énergie de sept ans, un gamin hyperactif comme on n'en avait jamais vu. Adorable et invraisemblablement poli, mais très - voire trop - énergique.
Il sautait partout dans le salon avec sa nouvelle figurine à peine sortie de son emballage que Bastien a enfin fait son apparition. Ça m'a fait bizarre de le voir, sur le coup. Je ne le voyais plus aussi souvent qu'avant mon entrée à la fac, mais les seules fois où je le voyais, Bastien était irréprochablement bien habillé - et pour ça il fallait remercier Barbara. Elle était journaliste pour un magazine de mode, et avait initié mon frère au bon goût et aux belles fringues. Le dimanche était le seul jour où il pouvait être son lui d'avant : jogging, vieux t-shirt de rock datant de ses années lycées, barbe de trois jours et cheveux en bataille.
Je l'ai embrassé et on s'est assis dans le canapé du salon.
"Tu voulais me dire de quelque chose ?"
Après notre conversation téléphonique du vendredi, Bastien m'avait envoyé un message, comportant le nom de la figurine manquante de Gabriel, mais aussi cette étrange phrase :
« Tu viendras dimanche, on doit parler d'un truc. »
Et j'avouais que ça me faisait un petit peu peur. Mon grand frère me reprochait souvent des choses, c'était certain ; mais lorsqu'il le faisait, ça partait souvent en dérision. C'était l'homme le plus compréhensif de la Terre à mes yeux, et quoi que je faisais, il se rangeait toujours de mon côté - ou savait me remettre sur le droit chemin. C'était pour ça que cette phrase ne me disait rien qui vaille.
Il a demandé à Gabriel d'aller jouer dans sa chambre, et après plusieurs tentatives et une promesse d'aller au parc pour que ce dernier nous laisse tranquille, a commencé :
"Sara m'a dit que tu allais voir notre père à l'hôpital."
Je m'attendais à tout, sauf à ça. J'avais complètement oublié le sort de notre géniteur, sûrement à cause de Diane.
"Je trouve que c'est mature, venant de ta part" a-t-il continué.
"Parce que je ne le suis pas, mature ?"
"Disons que c'est un sujet sensible et que tu fais souvent le con quand il s'agit de lui."
Il a passé une main dans ses cheveux châtains. Quelque chose n'allait pas : lui et moi avions beau ne pas se ressembler du tout sur le plan physique - je tenais mes cheveux noirs et mes yeux bruns de notre mère, lui était le portrait craché de l'autre - mais nous avions tous les deux la même gestuelle et les mêmes réflexes. On se touchait souvent les cheveux quand on était stressé, anxieux, que l'on pensait à quelque chose de pas net ou lorsqu'on avait la tête ailleurs. Enfin pour ma part, lui avait plus les pieds sur terre, et c'était bien l'une des seules choses que je lui reprochais.
"Comment il va ?" m'a-t-il demandé.
"Tu n'as pas des nouvelles de lui ?" ai-je détourné.
"Si, bien sûr. Je voulais avoir ta version des choses."
"Pourquoi donc ?"
"Parce que je sais pertinemment que tu ne vas pas le voir, Côme."
J'ai ravalé ma salive. Je l'ai laissé continuer son explication, l'écoutant d'une oreille, les yeux posés sur les jouets de Gabriel qui gisaient sur le tapis du salon.
"Déjà parce que ce n'est pas ton genre, tu n'irais pas te faire chier à aller jusqu'à l'hôpital tous les vendredis, et ce même pour lui. Et surtout parce que c'est lui. Ensuite, j'ai appelé Sara hier, pour lui demander si tu avais été voir notre père la veille, et elle m'a confirmé. Or tu m'avais appelé pour me dire que tu étais au magasin de jouets."
J'ai soupiré et ai passé une main sur le visage. J'avais oublié qu'en mentant à Sara au sujet de mon père, je mentais aussi à Bastien.
Qu'est-ce que je peux être con.
"Je ne veux pas savoir pourquoi tu étais là-bas, bien que ça me chiffonne l'esprit. J'aimerais juste comprendre pourquoi tu me mens, à moi mais aussi à Sara. Et surtout par rapport à un truc aussi grave que le cancer de notre père. Je ne sais pas si tu mesures la gravité de la chose, tu as beau le haïr, ça restera toujours ton père, et c'est ton devoir de fils d'aller prendre de ses nouvelles."
Je suis resté silencieux. Bastien s'est levé du canapé et est parti dans la cuisine. Je l'ai entendu ouvrir le frigo, et je l'ai regardé décapsuler une bouteille de bière et en boire les trois quarts d'une traite.
"Tu l'as dit à Sara ?"
Il a posé sèchement la bouteille sur la table de sa cuisine et a soupiré.
"Non, et tu sais pourquoi ? Parce que tu es mon frère, que j'ai confiance en toi et que je ne te trahirai pas. Ce que tu as fait sans scrupule, soit dit en passant."
"Je ne t'ai pas trahi, Bastien, tu exagères..."
"Tu m'as délibérément menti, Côme. Je me casse le cul pour que tout aille bien pour toi et voilà comment tu me remercies."
"Je trompe Sara" ai-je dit de but en blanc.
Il m'a fixé droit dans les yeux alors que je peinais à cacher mes larmes. Il a bu la fin de sa bière, en a sorti deux autres du frigo et s'est rassis à côté de moi. Puis il m'a tendu une bouteille et m'a dit :
"Alors raconte-moi tout et ne me mens pas, cette fois."
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Diane
RomanceDès que Côme, un jeune homme fraichement entré dans la vie adulte, a croisé le regard de Diane, il en est tombé sous le charme. Et pour cause : Diane est une personne tout particulièrement extraordinaire et incroyablement exceptionnelle, autant sur...