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13 mai

On a frappé à la porte de la chambre. Je n'ai pas répondu, trop occupé à fixer le plafond. J'ai entendu qu'on ouvrait la porte, et la voix de Sara est parvenue jusqu'à mes oreilles.

"Côme, Thomas et Alice sont là. Tu viens ?"

J'ai rabattu la couette de notre lit sur moi pour toute réponse. Elle est partie, et quelques secondes plus tard, on a sauté sur le lit et retiré la couette. Le visage de Thomas est apparu à quelques centimètres du mien.

"Bonjour l'ami !" a-t-il lancé, le regard rieur.

"Dégage."

Il a soupiré, et est parti fermer la porte. Il est revenu s'asseoir sur le lit, et nous sommes restés là, en silence, pendant cinq bonnes minutes. Je le suspectais de passer le temps sur son portable, mais je le connaissais trop bien pour lever la tête afin de vérifier, car je savais que c'était vrai.

"Tu nous refais une crise post-Diane, c'est ça ?"

Ce qu'Alice et lui appelaient « crise post-Diane » se révélaient être des moments où je ne trouvais plus aucun intérêt à vivre, où toutes les couleurs étaient ternes et où toutes les saveurs étaient fades. Sara ne me faisait plus sourire, les cours me semblaient inutiles, les gens étaient tous vêtus de gris et je ne trouvais plus aucune utilité à rire. Selon mes deux meilleurs amis, tout ceci était lié à ma « rupture » avec Diane.

Je mentirais si je disais qu'ils avaient tort. Mais je ne pensais pas que Diane était la seule responsable.

"C'est le troisième en moins de dix jours, mec" a continué Thomas. "Sara s'inquiète, tu sais. Elle pense que tout ça est lié à ton père..."

"Les murs de mon appart' sont aussi fins que du papier à cigarette," lui ai-je rappelé, "alors vas-y, crie-le haut et fort que je lui mens et que je l'ai trompé."

"C'est bon, Alice est avec elle. Elles parlent de livres."

Je n'ai même pas souri à cette remarque.

"Sérieux, Côme, dis-moi ce qu'il se passe."

"On croirait entendre ta sœur" ai-je lâché sarcastiquement.

"C'est elle qui m'a conseillé de te dire ça. Il parait qu'avec elle, dès qu'elle te dit cette phrase, tu lâches tout."

"Ça marche pas avec toi."

"Elle m'avait aussi prévenu que tu allais dire ça. Elle a ajouté que c'était pas parce qu'on était entre mecs qu'il fallait obligatoirement « parler camions, tout ça cachés derrière le masque navrant de notre fierté orgueilleuse »."

Et alors, j'ai souri, pour la première fois depuis plus de quarante-huit heures.

"Explique-moi, je ne comprends pas" a terminé Thomas en riant.

J'ai levé la tête vers Thomas. Je savais qu'il attendait ça, au vu de son sourire qui s'étirait jusqu'à ses oreilles.

"Merci frangin."

"Y a pas de quoi" m'a-t-il souri. "Il faudra aussi remercier Alice, c'est elle qui m'a obligé à bouger, crois-moi j'avais d'autres plans aujourd'hui."

"Comme te branler sur Daenerys Targaryen ?"

"Comme sortir avec une fille" m'a-t-il corrigé en me lançant un pantalon resté sur le sol dans ma figure.

J'ai arqué un sourcil.

"Bon, OK, j'allais le faire en rentrant chez moi après" a-t-il avoué.

"C'est qui cette fille ?"

"Une fille de ma classe, elle s'appelle Clarisse. Elle veut me trainer dans un musée, tu parles d'un rendez-vous..."

"Sur une exposition asiatique ?"

"Non..." a fait Thomas, en me lançant un regard étonné. "Depuis quand tu t'intéresses aux musées ?"

J'ai haussé les épaules, et suis retourné dans la contemplation de mon plafond. J'avais remarqué qu'il y avait une petite fissure, dans le coin près de la porte.

Non, je ne me trouvais pas une passion pour les musées. Mais quelques jours après le départ de Diane de ma vie, quand Thomas et moi avions enfin fêté dignement mon anniversaire, j'avais cherché qu'est-ce qu'avait cette exposition de si important. Il y avait forcément une explication logique, une signification. Pourquoi Diane avait-elle voulu la voir, et pourquoi avec moi ? Elle avait toujours réponse à tout et trouvait toujours un lien entre les choses, jamais elle ne faisait quelque chose au hasard bien que c'était ce qu'elle laissait entendre, alors pourquoi moi ?

J'avais fait des recherches et pendant trois jours, avait planché sur toutes les œuvres présentes de l'exposition. J'avais été la voir, en compagnie de Sara, qui avait été étonné que je l'emmène dans un musée. Je n'avais rien noté d'exceptionnel ou de lié à Diane. J'avais alors conclu que ce n'était qu'une exposition parmi tant d'autres, ainsi qu'un énième rendez-vous dans la vie de Diane.

"Côme ?" m'a appelé Thomas.

Je me suis redressé.

"Ça va ?" m'a-t-il demandé.

"Merde, Thomas, elle me manque."

Le dire à voix haute m'a fait l'effet de m'alléger d'un poids de six tonnes. Diane me manquait, c'était inévitablement évident. Thomas le savait, Alice le savait, Bastien le savait. Mais elle, Diane, le savait-elle ? Est-ce que moi, je lui manquais ?

"Et pourquoi ?"

Pourquoi me manquait-elle ? Nous n'étions même pas ensemble ; tout n'avait été que question de sexe et de conversations profondes dans son lit ou autour d'un verre. Pourquoi son rire me manquait ? Pourquoi son sourire me manquait ? Pourquoi sa présence, la sentir près de moi, la regarder dormir ou la réveiller en lui soufflant sur le nez me manquait ? Ce n'étaient que des actions futiles, des éléments inintéressants et sans grand intérêt.

"Rappelle-moi pourquoi je dois l'oublier" ai-je demandé à Thomas.

"Il y a plusieurs raisons. La première, c'est que tu trompais Sara avec elle, et c'est pas vraiment une bonne action."

"Mais pourquoi je dois l'oublier alors ?"

"Tu mens, Côme. À Sara, à ton entourage, puis à toi-même, petit con."

J'ai soupiré, puis ai passé mes mains dans mes cheveux. Il avait raison, et encore plus de me le rappeler : j'étais con.

"Il y a aussi le fait que tu lui aies dit que tu t'en fichais d'elle" a ajouté Thomas, comme pour remuer le couteau dans la plaie. "Et même si tu mentais, elle l'a cru, alors elle ne veut plus te voir. Logique."

"Je suis vraiment con, Thomas."

"Je sais. C'est pour ça que je suis là : pour te prouver qu'il y a plus con que toi."

Je lui ai tristement souri. Je détestais quand il se dénigrait, et il le savait. Et bien qu'il appelait ça de « l'auto-dérision », ça restait pour moi de l'auto-sous-estime.

Le pire, c'était qu'à ce moment précis, il valait tellement, tellement mieux que moi.

DianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant