Chapitre XXII

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Je m'écroulais, épuisé. L'ange gardien, protecteur de mon existence me proposa son épaule. Je l'acceptais avec gratitude. Mon cœur se pinça, c'était la première fois qu'on m'aidez, qu'on me tendait la main. Je prononçai alors des mots qui m'auraient brûler la gorge quelques mois auparavant :
- Merci.
- Ce n'est rien, me répondit-il d'une douce voix grave. Je m'appelle Lues.
Lues...Son prénom signifiait la lumière, le mien la mort. Quelque chose me disait que nous allions former une bonne équipe.
Je me relevais avec difficulté.
- Ça va ? me demanda Lues, inquiet.
Je grognai. Un filet de sang coulait le long de ma joue, mon visage était couvert de poussière, mon épaule ouverte tandis que mon corps était recouvert d'égratignures plus ou moins profondes.
- Oui.
J'avais toujours trouvé cette question égoïste. "Ça va ?". Tu n'en as rien à faire si je vais bien ou pas.
Mais...il paraissait si sincère. Ou peut être était-ce moi qui me sentait réellement bien. Je ne savais pas.
Je tournai alors le regard vers Neïla. Elle était toujours inconsciente. Je me dirigeai en titubant vers elle.
- Allez à la salle de contrôle pour la libérer de ce truc ! ordonna Lues d'une voix ferme.
Quelques soldats s'éloignèrent en courant après avoir enfoncer la porte condamnée.
Je lui caressai la joue. Elle frémit légèrement. Elle était en vie. Une bouffée de bonheur m'envahit. Enfin ! J'allais enfin pouvoir être heureux !
Soudain, le démon de métal vrombit sourdement et desserra son emprise sur l'ange qu'il retenait. Elle tomba dans mes bras, vidée de son énergie vitale.
Ses vêtements en lambeaux fumaient encore. Je la soulevais, puisant dans mes dernières forces. Elle était légèrement comme une plume.
Lentement, je me dirigeai vers la sortie. Il fallait que je l'emmène là-bas. C'était le seul moyen. Son âme s'accrochait désespérément à la vie mais seul un fragile fil d'araignée l'y retenait encore.
J'entendis vaguement Lues aboyait d'autres ordres avant de sortir de cette enfer de métal grisâtre.
Dehors, un cheval m'attendait ainsi qu'un garçon blond qui m'avait sauvé la vie. Il plaça délicatement Neïla sur l'animal et m'aida à me hisser sur la monture hennissante.
Mes lèvres s'entrouvrirent alors pour le remercier de nouveau mais aucun son ne sortit de ma gorge sèche. Aucun mot n'était assez puissant pour exprimer la gratitude que j'éprouvais envers lui.
Il me regardait avec une forme de compassion et d'admiration mêlées, tel un grand frère.
Je vis alors dans son regard qu'il avait compris . Je partais au galop sur le chemin qui m'avait mené quelques mois plus tôt à mon destin.

Mon regard se voilait, mes muscles étaient endoloris, ma bouche pâteuse, mon ouïe presque disparu, je sentais l'abîme de l'inconscience aux frontières de mon esprit. Pourtant je continuais inlassablement mon chemin, galopant à travers d'immenses arbres qui dressaient un toit de feuillage au dessus de ma tête, filtrant les molles clartés d'une Lune d'argent. La seule chose qui m'empêchait de tomber de ma monture et de mourir de fatigue était l'infime souffle qui animait encore son corps. Au fur et à mesure que nous nous enfonçiions dans la forêt, de plus en plus d'animaux se joignaient à notre course. Chouettes, hiboux, loups, lièvres, papillons, écureuils, cerfs, ours, biches, loutres, renards, aigles, mulots et tant d'autres formaient la chevelure multicolore de cette étoile filante dont elle était la tête. Bientôt j'aperçus une forme rousse courir aux côtés du cheval. Vulpi...Le renard était accompagné de près par les deux aigles qui nous avaient offert ce merveilleux spectacle au sommet de la montagne.
Mon cœur se serra au souvenir de ces moments inoubliables. Tout était de ma faute. J'avais été si égoïste !
Je chassai la culpabilité qui commençait à noircir mon esprit. Non ! J'allais y arriver ! Pour eux comme pour moi ! Tous ces animaux ne semblaient pas m'en vouloir, ils voulaient juste prendre soin de leur maîtresse, de leur amie...

Le cheval s'arrêta. Nous étions arrivés.
Je me dirigeais vers la mare d'eau cristalline. Mes pieds s'enfonçaient mollement dans l'herbe verdoyante et minutieusement entretenue. Je déposai délicatement le corps du jeune ange que j'aimais de tout mon cœur dans l'Eau Divine. Elle s'y laissa doucement glisser. Sa chevelure d'un blanc immaculé dansa quelques seconde sur la surface de l'eau avant de couler vers les claires galets qui parsemaient le fond de la mare.
Nous attendîmes. Chaque seconde la rapprochait de plus en plus du linceul dont la faucheuse allait l'envelopper.
Soudain, une petite luciole bleutée se posa silencieusement à côté de moi avant de se métamorphoser en femme. Une femme dont la peau était azur et brillait légèrement et dont les cheveux reflétait le clair de lune. Je ne la regardai même pas. Et pourtant, je savais que ses yeux, que son regard, était celui d'un loup blanc que j'avais croisé le jour où je l'avais abandonnée. Ce loup blanc qui m'avait regardé et qui pourtant ne m'avait pas jugé. Ce loup blanc qui m'avait probablement observé depuis ma plus tendre enfance. Ce loup, cette lune, la Lune.
- Elle est morte n'est-ce pas ? murmurai-je à son égard.
Peut être n'eut-elle pas entendu, peut être n'eut-elle pas la réponse mais cette fois encore, la Lune observa et se tut.

La Larme de LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant