Chapitre Treize

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    Tante Jo passa la matinée à tourner dans la cuisine comme un lion en cage.

- Je dois sortir ; je serai de retour pour le dîner, fit-elle par m'informer.

    Elle resta immobile près du plan de travail, l'air fatigué, comme si elle avait mal dormi.

- Est-ce que ça va ? Demandai-je.
- Si ça va ? Oui, oui... fit-elle distraitement. Appelle moi si tu as besoin de quoi que ce soit, d'accord ?

    Elle me jeta un regard bizarre, puis quitta la cuisine. Une poignée de secondes plus tard, j'entendis la porte d'entrée claquer et sa voiture démarrer. Je me sentais comme une parfaite étrangère dans ma propre maison. On aurait dit que Tante Jo avait eu hâte de décamper pour mettre de la distance entre nous, comme si elle ne voulait plus me voir ni me parler, ni même se trouver dans la même pièce que moi.
    J'engloutis mon bol de céréales et partis à mon tour. Sur la route du lycée, je battais la mesure sur mon volant, en rythme avec la musique, enthousiaste à l'idée de reprendre le ski. Il m'avait drôlement manqué !

    Nous n'étions qu'en mars, pourtant la nature commençait à reprendre ses droits. Nous venions de passer un hiver long et rigoureux. Le mien, en particulier, s'était révélé très sombre, plus terrifiant et douloureux que jamais. Mais à présent, le printemps me picotait le bout des doigts. J'étais enfin prête à saisir ma destinée !
    Arrivée sur le parking vide du lycée, je me garai près de l'entrée du bâtiment. J'étais venue à l'avance, certaine de croiser quelqu'un que je préférais rencontrer à l'abri des regards... Mes pas résonnaient dans le couloir désert. Soudain, j'aperçus une silhouette sombre et massive tout au bout. Une nouvelle vision ? Non, c'était Niall. Je me figeai et l'appelai, sans être sûre tout à coup de vouloir lui parlé.

- Hé Niall !

    Il se tourna lentement en levant ses yeux froids, bleus comme la glace, et tous les souvenirs liés à lui affluèrent dans mon esprit. Notre première rencontre au Love The Bean ; le moment où on avait fait connaissance, dans ce même couloir ; le matin où je m'étais réveillée dans ses bras, chez lui... Comment ces yeux familiers pouvaient-ils me fixer avec tant de froideur ? On aurait dit que le Gardien ne ressentais pas vraiment ses émotions, mais qu'il les calculait, comme lui avait enseigné l'Ordre. M'avait-il réellement appréciée un jour ? M'avait-il... aimée ?

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il.
- Je croyais que tu voulais me parler... Ce n'est pas toi qui m'as apporté la fleur ?

    Il me lança un coup d'œil interrogateur.

- Écoute, continuai-je, j'ai plein de questions à te poser, et je crois que tu me dois quelques explications.

    Il détourna les yeux.

- Et pourquoi je les aurais, tes explications ?
- Parce que c'est toi qui as voulu me tuer !

    Il reporta son attention sur moi, le regard dur.

- Pose moi tes questions, alors.

    À l'idée que j'allais bientôt me trouver confrontée à la réalité, mon ventre se contracta. Ce serait un sacré coup si Niall m'avouait ne m'avoir jamais aimée... J'avais beau être dévouée corps et âmes à Louis, je n'étais pas encore prête à effacer tous mes sentiments pour le Gardien.
    Non, je refusais de souffrir une seconde fois ! L'ancienne Naomy, celle qui avait longtemps hésité entre l'Ordre et la Rébellion – entre Niall et Louis – devait disparaître à jamais !

- Laisse tomber, fis-je. Je n'ai pas envie de savoir, tout compte fait.

    Je fis volte-face et commençai à remonter le couloir.

- Je rêve de toi tous les soirs depuis... l'incident, lâcha Niall dans mon dos.

    Je me retournai, abasourdie. Lui-même avait l'air choqué par ses propres paroles.

- Quand j'ai retiré l'épée, que tu t'es écroulée et que Louis t'a soulevée dans les airs, je croyais t'avoir tuée. Mais lorsque les Élus ont refusé de me renseigner sur l'évolution de ma mission, j'ai compris qu'ils n'étaient au courant de rien. Je me suis dit que leur ignorance signifiait que tu étais en vie, puisque tu brouilles ta destinée et celle de tes proches. À partir de là, je n'avais plus qu'à espérer...
- Pourquoi tu me racontes tout ça ? Fis-je, consciente que ma carapace était en train de s'effriter.
- Parce que, si tu parviens à la brouiller, il arrivera un jour où la destinée n'existera plus du tout. Alors, l'Ordre deviendra caduc. Et comme ils le savent, ils veulent avoir ta peau.

    Il avait parlé d'une voix égale, comme si son discours ne le touchait pas et qu'il ne ressentait aucune frayeur. Comment était-ce possible ?

- Tu vas tous nous détruire, conclut-il avec une sérénité exaspérante.
- C'est une mise en garde ?
- Non, j'énonce des faits.
- Naomy, Naomy, Naomy ! Chantonna une vois derrière moi.

    Je n'avais pas besoin de me retourner : j'aurais reconnu la voix de Raven entre mille.

- Quel plaisir de vous trouver ici, tout les deux ! Claironna-t-elle.
- Qu'est-ce que tu me veux ? Sifflai-je.
- Moi ? Oh, rien, je cherchais juste mon heureux élu !

    Elle me dépassa et tendit la main vers Niall, qui me jeta un regard avant de lui offrir la sienne.

- Niall et moi sommes unis à présent, tu ne le savais pas ?

    Ébahie, je dévisageai Niall, qui gardait les yeux rivés au sol.

- La cérémonie a eu lieu avant-hier, poursuivit Raven en caressant le biceps de Niall.

    Elle n'avait pas besoin de se montrer aussi possessive ; je n'en voulais pas, de son Gardien ! Elle n'avait qu'à se le garder ! De toute façon, il n'était plus digne de confiance. Je détestais ce type ! Je le haïssais !
    Les portes métalliques des casiers se mirent à cliqueter, le sol tremblait sous mes pieds. Raven haussa un sourcil.

- Hé Naomy, du calme ! Il croyait que tu étais morte !

Beautiful Dark II [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant