Chapitre 1

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Comme tous les matins, l'odeur de cigarette froide flottait dans la pièce. Des vêtements traînaient un peu partout dans le petit studio de Nathan. Son volet cassé laissait passer un fin rayon de soleil qui suffisait à éclairer une partie de sa minuscule chambre. Bientôt, il n'aurait même plus ce ridicule studio. Nathan le savait. Ses jours de vie "normale" étaient comptés, et bientôt, il se retrouverait sous ces ponts dégueulasses et humides, les ponts de l'oubli comme il les appelait. Qui y entrait se plongeait dans un oubli et une indifférence totale de la part des autres. On aurait pu y mourir que les passants ne se seraient pas attardés sur eux, ces pauvres gens avec qui la vie avait été injuste. Nathan savait qu'il finirait par tenir compagnie à ces ivrognes, pas toujours vieux. Ceux qui dansent maladroitement dans les rues enneigées de Paris en période de fêtes, ceux qui te demandent une pièce en se retenant de te vomir aux pieds. Ces gens qui ne vivent plus, mais survivent.

Il se leva péniblement de son lit. Sa tête le faisait souffrir, il n'aurait pas du boire autant la veille, il le savait aussi. Mais elle n'était plus là pour l'incendier de son abus d'alcool. Ca aussi il le savait, plus jamais elle ne l'engueulerait, et plus jamais il n'aurait à lui dire qu'elle n'était pas sa mère. Plus jamais ils ne décoreraient le sapin de noël ensemble, et plus jamais ils n'iraient au fastfood ensemble, se moquant tous les deux des gens qui passent. Plus jamais cela ne se produirait, car elle était partie. Elle l'avait laissé. Et il ne l'oublierait jamais.

Il enchaîna quelques pas qui le menèrent à sa cuisine. Il n'avait pas fait la cuisine depuis son départ. Trop triste, se disait-il. La vie est trop dure, se répétait-il. Il ouvrit son réfrigérateur et en sorti un vieux sandwich de trois jours. Il croqua dedans férocement, comme s'il n'avait pas mangé depuis des jours. Il s'affala sur son canapé poussiéreux et alluma sa petite télé, posée à même le sol désormais.

Flash info, un homme suicidé dans la seine. Il rit nerveusement, songeant que lui aussi, aurait pu y être. Y tomber malencontreusement et se laisser glisser au doux courant. Qui sait où elle l'emmènerait ? Peut-être dans un autre pays, ou une autre ville. Ou peut-être dans de vieux égouts infestés de rats.

Nathan se demandait souvent d'où venaient cette force et ce courage qu'avaient les gens à se jeter à l'eau, se couper les veines ou se pendre à une corde. Aussi triste soit-il, il n'aurait jamais le courage de le faire. Je suis un lâche, se disait-il. Un gentil lâche, mais un lâche.

La télévision le lassa et il se leva brusquement de son canapé. Tout le lassait, et c'était de sa faute, il le savait. Il ouvrit une porte et laissa place à une pièce neutre. Une seule fenêtre, un seul objet : un piano. Il avait tout perdu, mais jamais il n'avait cessé d'aimer la musique. Cette sensation si pure que de sentir les touches de son instrument s'enfoncer aux rythmes de ses doigts. Et le chant, s'il avait cru en Dieu, il l'aurait remercié chaque matin de cette si belle chose qui existait. Nathan aimait chanter, et c'est d'ailleurs comme ça qu'il avait séduit Nadia. Sauf que Nadia était partie, et que plus jamais elle ne lui dirait "c'est magnifique, tu devrais vraiment essayer de te faire connaître !". Il y passait des heures, sur son piano. Il en oubliait ce qu'il se passait pour lui, ce qu'il se passerait. Il en oubliait parfois même sa propre existence.

Mais quand la mélodie s'arrêtait, il revenait durement à la réalité. Ses épaules s'alourdissaient et, de nouveau, il ne croyait plus en rien. Il aimait bien Francis Cabrel, une de ses chansons particulièrement :

"Elle disait que vivre était cruel. Elle ne croyait plus au soleil, ni au silence des églises. Et même mes sourires lui faisaient peur, c'était l'hiver dans le fond de son cœur."

Dans son cœur aussi c'était l'hiver. Il avait essayé pourtant, de le réchauffer. Il en avait bu des bouteilles, il en avait fumé des cigarettes. Mais rien ne remédiait à cette dure réalité qui le hantait désormais : il était seul.

Elle était partie. Elles étaient parties.


Doux désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant