Il devait être plus de vingt-deux heures quand il est rentré, a rallumé le feu et s'est assis près de la porte. Il avait les vêtements et les cheveux mouillés. Le sang sur sa main gauche avait disparu. A-t-il pris un bain dans la rivière ? Combien d'hommes a-t-il tué avant cela ?
Il m'a balancé un morceau de viande pas cuit enroulé dans une grande feuille. J'ai eu un haut le cœur, quand j'ai découvert qu'il s'agissait d'un foie d'animal encore sanguinolant.
— Mange, m'a-t-il dit simplement.
Quand on a faim... on a faim. Alors j'ai croqué et mastiqué ce truc infâme sans discuter. Aden n'a même pas pris la peine de dissimuler son regard lumineux braqué sur moi. Je voulais lui crier d'arrêter de me sonder, car je savais pertinemment que c'est ce qu'il faisait, mais trop fatiguée pour endurer un nouveau conflit, j'ai fermé les yeux et me suis endormie.
Le chemin du retour s'est passé dans une atmosphère glaciale et un silence de plomb. Deux jours à ne pratiquement pas s'adresser la parole. Au début, j'ai essayé de cacher mes émotions, mais la haine était tellement vive que j'avais l'impression qu'on me grignotait le ventre. Je suis lucide. Je le hais, car son attitude me touche. Pourtant, j'aimerais m'arracher ce sentiment de colère et ne rien ressentir du tout. Il a décelé ce qui me blesse au plus profond et appuie sans vergogne sur la plaie. Cependant, il ne se doute pas que la solitude et l'isolement ont façonné mon caractère. Un caractère fort, impulsif, en plus d'une solide carapace. Qu'il essaie, il ne la brisera pas. J'attends seulement de voir mourir mes derniers sentiments pour lui.
J'ai passé ma seconde nuit à lire sous ma lampe torche pour occuper mon esprit et anesthésier mes émotions. Je crois y être arrivée. Lire m'en fait ressentir un tas qui ne sont pas vraiment les miennes.
Nous sortons bientôt de la forêt pour rejoindre une route goudronnée en mauvais état. Ce soir encore, je tiens parfaitement le rôle de muette. Je m'étonne moi-même de garder un tel silence. La présence d'Aden m'a toujours inspiré de nombreux discours. Cette fois, l'inspiration n'est pas au rendez-vous.
— Nous sommes bientôt arrivés, dit-il tout bas.
La route s'arrête devant une énorme bâtisse en pierres grises partiellement recouverte de mousse végétale. L'endroit est humide et austère comme si ce lieu était à part, introuvable sur une carte et resté figé dans un temps plus ancien. Même les corbeaux jouent à peine sur l'hostilité des lieux. Qui aurait envie de vivre ici ? Des barreaux semblables à ceux des prisons habillent les quelques fenêtres de façade. Une croix chrétienne surplombe le linteau. Il s'agit vraisemblablement d'un monastère à l'allure de forteresse.
— Non merci, je ne suis pas prête à entrer dans les ordres, dis-je en tournant les talons.
La main brûlante d'Aden m'a déjà encerclé la nuque et non sans brutalité, j'ai le nez contre la grande porte en bois de chêne.
— Ch'est bon, lâche-moi ! craché-je, la bouche écrasée sur le battant.
J'entends un lourd verrou, puis un second et la porte s'ouvre sur une femme d'un âge avancé habillée de noir, une croix en bois pendant à son cou. Aden retire ses doigts de ma peau.
— Bonjour Aden.
Oh un couvent ! Comme c'est étonnant... Pauvreté, Obédience, Chasteté, tuez-moi !
Elle nous laisse entrer sous un porche assez haut de plafond et, à ma grande surprise, aux murs fleuris de fleurs pour cimetière. Ça pue la terre et les vieilles choses. Une fois la porte verrouillée, elle se tourne vers nous. Elle pose sa main ridée sur l'épaule d'Aden. Il la recouvre de ses doigts et ce geste rempli d'affection me surprend.
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Mysterious Eyes - Tome 1 : Genèse (Disponible en Broché et Ebook sur Amazon)
RomanceDans cet univers dystopique sombre et futuriste où se mêle pouvoirs et enchantements, nous faisons la connaissance d'Ava, jeune étudiante en médecine, fille d'un grand médecin, créateur des nouvelles lois martiales de Généapolis. Cette ville considé...