J'entre dans la vaste chambre de ma mère. Les grands rideaux dorés, fixés tout en haut du mur, tombent sur un parquet ancien en chêne foncé. C'est la seule pièce à avoir gardé un charme pittoresque dans le manoir. Un des murs est totalement recouvert de lambris doré. Mon père croit fortement qu'il s'agit d'une partie de la fameuse et autrefois inestimable chambre d'ambre offerte au Tsar. Elle fut démontée et pillée par les nazis, puis a disparu.
Cette œuvre appelée jadis la huitième merveille du monde, la pendule antique estampillée garnissant la cheminée ainsi que la tapisserie en toile de Jouy semblent avoir figé la chambre dans le vingtième siècle.
Ma mère garde le lit. Cela fait longtemps qu'elle ne tient plus sur ses deux jambes. Son corps est parfaitement droit comme un I. Ses deux mains fragiles sont posées sur son ventre au-dessus des draps. Je m'assois à côté d'elle. Ses yeux noisette se tournent lentement vers moi. Je prie pour qu'elle me reconnaisse ce soir.
— Ma chérie..., dit-elle en me touchant le visage. T'es-tu brossé les dents ?
Les mots restent coincés dans ma gorge. Je hoche finalement la tête.
— N'oublie pas de démêler tes cheveux avant de dormir.
— Je le fais tous les soirs, maman.
J'ai l'estomac complètement noué. Je vais avoir beaucoup de peine à la laisser derrière moi.
— C'est bien, c'est bien. Où est notre beau Laurie ? Lui as-tu enfin dit oui ?
Malheureusement, elle perd la tête.
— C'est Aden, maman, pas Laurie. Il est parti. Tu te souviens ?
— Oui, bien sûr. (Elle soupire) Toi aussi, tu l'as perdu, affirme-t-elle avec désolation.
Elle semble perdue dans son esprits, puis revient à elle.
— Tu es mignonne. (Elle tourne le visage vers sa table de nuit) Sais-tu où se trouve mon livre ? Je le cherche depuis deux jours.
Ses grands yeux tristes croisent à nouveau les miens et m'interrogent. Cela fait cinq ans que mon père lui a repris ce livre prohibé « Les 4 filles du docteur March » car ma mère commençait à faire un transfert de personnalité et s'imaginait être la très bonne Mme March. J'imagine qu'il a craint que ma mère dévoile, lors d'une visite fortuite des autorités, qu'il garde encore des ouvrages dans une grande bibliothèque secrète. Ma mère adorait lire. Aujourd'hui, elle contemple les fresques en plâtre blanc sculptées au plafond.
— Maman, tu sais très bien qu'on a dû s'en séparer.
Ses yeux partent sur un côté, puis de l'autre avant de se fixer de nouveau sur moi.
— Je le sais voyons, me sermonne-t-elle en fronçant les sourcils.
Je lui caresse le front et prends une profonde inspiration.
— Je vais partir, maman.
Ses doigts se mettent à jouer avec le rebord du tissu.
— Ah bon ? demande-t-elle distraitement comme si cela ne représentait pas grand-chose finalement.
Mon cœur se serre.
— Oui. J'ai besoin de découvrir le monde. De vivre ma vie. Je vais tenter de m'enfuir cette nuit. Tu te souviens ? Je t'en ai déjà parlé.
De son index, elle vient effleurer le bout de mon nez.
— Tu me fais penser à Jo. Intrépide Jo. Tu es trop audacieuse.
Je surprends souvent cette expression admirative sur son visage quand elle me prend pour Jo. Je soupire. À quoi bon lui expliquer que je ne suis pas une des héroïnes de son roman favori. Je lui prends la main.
VOUS LISEZ
Mysterious Eyes - Tome 1 : Genèse (Disponible en Broché et Ebook sur Amazon)
RomanceDans cet univers dystopique sombre et futuriste où se mêle pouvoirs et enchantements, nous faisons la connaissance d'Ava, jeune étudiante en médecine, fille d'un grand médecin, créateur des nouvelles lois martiales de Généapolis. Cette ville considé...