Mysterious Eyes - Tome 1 : Genèse (Disponible en Broché et Ebook sur Amazon)

Part 18 : Le bleu de la nuit

Ils m'ont placé dans une chambre de nonne. Je suis étendue sur le lit en bois recouvert d'un drap de lin blanc. La pièce est de taille modeste, humble dans son aménagement. Les murs sont recouverts d'un crépi ancien. Une simple croix en bois est suspendue près du lit. Un rappel à la spiritualité profonde qui anime la vie pieuse.

À côté du lit, une petite table de chevet supporte un crucifix, un chapelet et peut-être un livre de prières. Une chaise rudimentaire est placée près de la table, servant à la fois de siège et de support pour les moments de méditation et de lecture, j'imagine.

La fenêtre, encadrée de vieux volets en bois, laisse pénétrer la douce lumière de la lune et le silence paisible de la nuit. Les rideaux en toile flottent doucement dans la brise, apportant une touche de fraicheur.

Cette pièce est empreinte d'une atmosphère de simplicité, de dévotion et de sérénité, pourtant je m'y sens comme une détenue la veille de son exécution. Après le scandale que j'ai provoqué, il valait mieux me tenir à l'écart de tous. De toute façon, je n'arrivais plus à tenir debout. Mes muscles tendus me paralysaient.

Je ne pouvais détacher mon regard de son visage, de la faible lueur dans ses prunelles déstabilisantes. Son expression déconcertante me donnait envie de foncer à nouveau sur lui. Juste l'envie, car de la force, je n'en avais plus. Aden ne disait rien, décortiquant mes émotions, les piétinant. Il a réussi. Il m'a atteinte si profondément que ce feu en moi s'est tu.

Ce soir, le liquide acide de la défaite creuse un trou profond dans mes entrailles. Ma solitude me bouffe de l'intérieur. Voilà à quel point, il m'a fait mal.

— Venge-toi, Ava. Venge-toi de lui.

Cette voix si grave et claire, je la reconnais. Le grand Sentynel aux yeux cobalt semblables à une nuit de tempête a ouvert la porte et s'est introduit dans ma chambre.

— Je ne suis pas d'humeur, Thènes.

Je n'ai même pas la volonté de l'attaquer ou lui sommer de quitter la pièce.

— Je te propose de lui rendre la pareille.

J'oriente mon regard au plafond et fixe une auréole d'humidité figée dans un coin.

— Rien ne le touche. Je ne suis personne à ses yeux.

Une éternité semble passer. Au moment où mes iris se reposent sur Thènes, il murmure :

— Trompe-le. Avec moi. Cette nuit.

J'ai ressenti une douleur aiguë dans la poitrine, celle qui te souffle de rester sur tes gardes. Je le jauge, perplexe.

Il lève la main, paume ouverte face à moi.

— Tu m'as touchée.

Oui, tout à l'heure, c'est lui qui me retenait.

— Je n'ai pas touché que toi.

— Aden, dis-je, dans un souffle.

Quand a-t-il pu faire cela ?

— Il n'était focalisé que sur toi, répond-t-il, comme s'il avait deviné mes pensées.

Il est vrai que Aden ne ripostait pas. Il me fixait simplement pendant que je le frappais et hurlais de frustration et de rage.

— Tu peux le blesser, fais-moi confiance, poursuit Thènes, d'une voix plus basse encore.

— Comment ?

— Tu le sais... Au fond de toi, tu le sais.

Il dépose sa longue veste sur la seule chaise meublant sommairement cet endroit. Oserait-il outrepasser les lois de la nature et jouer avec ce qui ne lui appartient pas ? Instinctivement, je m'assois sur le lit, puis tire vers le bas la soutane prêtée par les nonnes pour qu'elle recouvre mes genoux. Ensuite, je croise les bras sous ma poitrine.

— Tu n'as pas peur de lui ? le questionné-je.

— Je ne crains pas la mort.

Cette réponse me fait quelque chose. Aden doit être redoutable s'il peut abattre un homme comme lui.

— Il est plus fort que toi ?

— Nous nous sommes affrontés et il a eu le dessus, souffle-t-il. Ce n'est pas une question de physique. Il peut atteindre n'importe qui. Il est le maître des sentiments. Parfois, la tristesse des uns peut ébranler le bien être des autres. Le désespoir et la souffrance peuvent tuer. Et, sa souffrance à lui est une arme.

Une arme ? Aden souffrirait encore à ce point de la perte de la femme de sa vie ? Je frémis assez fort pour que Thènes s'en aperçoive.

— N'ai pas peur.

Il avance et se place devant moi. Avec charme et élégance, il tend sa main droite. Je m'en empare après quelques infimes secondes. Je joue car ce soir, je me fous des conséquences.

Le Sentynel observe mes doigts dans sa paume, presque étonné avant de poser son autre index sous mon menton pour me relever un peu plus le visage. Il scrute chaque carré de ma peau.

— Pourquoi le provoques-tu ? m'enquiers-je d'une voix presque inaudible..

— Tu es très belle. Je l'envie.

Son observation appuyée me trouble.

— Pourquoi ?

— Je peux prendre les rêves des autres, les vivre, mais les rêves ne sont qu'illusion... Les émotions sont les plus grandes des sensations, les plus puissantes. Je veux les ressentir.

Thènes est incapable d'émotions, alors qu'Aden est le parfait opposé. Ce dernier ressent trop et trop intensément. Il se penche, puis approche son visage et sa bouche se pose sur la mienne, délicate, fine et glacée. Sa main me tire vers lui. Je me redresse et me trouve devant juste devant lui.

J'ai froid, je frissonne comme si un courant d'air passait dans mon dos. Thènes recule un peu pour me sonder encore.

— Les rêves ne réchauffent personne, n'est-ce pas ?

Je suis comme hypnotisée par ses yeux obscurs, dont les pupilles se sont dilatées. Il poursuit dans un murmure :

— Mais, ils peuvent éveiller les désirs les plus profonds, ceux longtemps enfouis. Rendre plus vivants les fantasmes, les envies. Ceux qui peuvent tout faire basculer.

Je ferme les paupières. Je n'ai plus l'impression d'entendre la voix rocailleuse de Thènes, mais une autre plus chaude et grave me faisant trembler.

— Suis-je dans un rêve ? murmuré-je, gardant les lèvres entrouvertes, soudain alanguie.

Il est possible que le voleur de rêve me guide à travers les ténèbres du sommeil.

Des doigts plus chauds ont glissé sur ma nuque, puis parcourent lentement ma colonne vertébrale jusqu'en bas de mes reins. Je ressens une force qui me contourne et une onde délicieuse me parcourir le corps.

— La question n'est pas où Ava, mais avec qui...

J'ai compris sans même ouvrir les yeux. Thènes ne me contrôle déjà plus. Il préfère, à la place, prendre possession du rêve de l'homme qui l'a, un jour, battu.

Aden...