Chapitre dix

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   - De quoi voulais-tu me parler, tout à l'heure ?
   Irène me regarda dans le rétroviseur.
   - Ah, je voulais te dire quelque chose ?
   - Ba oui.
   - Ba, je ne m'en souviens pas.
   Je renonçai.

   Irène et moi avions multipliées les sorties ensemble. Elle m'avait même procuré de faux papiers. Je n'avais plus à passer pour une mineure. Irène était devenue mon amie. On se comprenait. Je ne lui avais pas expliqué les raisons de ma venue subite à Paris, mais je n'avais pas assez confiance en elle pour lui confier une telle chose.
   Au bar d'une boîte branchée, un soir de début juillet, je lui posais une question qui avait germé dans ma tête depuis quelques temps :
   - Pourquoi tu m'as dit de venir vers toi, à notre première soirée ensemble ?
   Elle bu une gorgée de whisky avant de tourner les yeux vers moi.
   - Je ne sais pas. Je crois que c'était parce que ma pote m'avait laissée tombée et que je ne voulais pas aller en boîte seule.
   Elle ment. Elle ne le pense pas. Il y a une autre raison. Allez, pense-le ! Pense à cette raison !
   Je laissais passer. Je ne voulais pas d'un quiproquo ou d'une dispute.
   Quant à mon fameux pouvoir, et bien... Je ne le sentais quasiment plus. J'avais toujours son énergie en moi, je la sentais, mais... je n'arrivais pas à l'atteindre. Enfin, plus aussi facilement qu'avant. J'arrivais à l'utiliser de temps en temps, mais il me fallait canaliser beaucoup d'énergie pour ça. Je ne savais pas si le perdre ou le garder était une bonne chose ou non. Je ne savais pas s'il me fallait le conserver. Je continuais mon train-train, comme si de rien n'était, mais la question était assez récurrente. Elle revenait souvent. Et j'avais toujours l'image d'Eliott dans ma tête. Il me hantait. Je le portais toujours dans mon cœur, je voulais l'en chasser mais une part de moi lui barrait la route. Il me manquait, lui plus que les autres. Même s'il m'a fait souffrir, je l'aimais encore.
   Je m'éloignais dans un coin éclairé de la boîte et ouvrit un miroir de poche me repoudrer un peu le nez, comme on dit. Mais, en me voyant, j'en lâchais la glace.
   Mes iris étaient d'un blanc immaculé, brillant, presque satiné. C'était... flippant. Comme celles d'Eliott. Oh mon Dieu ! Depuis combien de temps étaient-elles comme ça ? Quelqu'un l'avait-il remarqué ? Je courais vers Irène et lui demandait, hystérique, si mes yeux étaient blancs. Elle m'a répondu oui, mais quand je lui ai demandé pour les prunelles, elle m'a dit, catégorique :
   - Ils sont verts.
   Hallelujah !
   Je laissais mon amie au bar, mais un homme m'attrapa par la taille.
   - N'ai pas peur, ma puce...
   - Owen ?
   - Le seul, le vrai !
   Je me retournais. Au milieu des danseurs, nous étions là, immobiles.
   - Je t'ai cherchée pendant des semaines, à travers toutes les boîtes de la ville, mais rien... Jusqu'à aujourd'hui ! Comme quoi mes efforts ont porté leurs fruits...
   Il était toujours aussi classe. Il m'embrassa doucement.
   - Et ta copine ?
   Il me déposa un baiser dans le cou.
   - Ce n'est plus qu'une pauvre fille à pleurer toutes les larmes de son corps... Si tu savais comme j'ai envie de toi... Je ne sais même pas ton nom, mais je te veux... Pour moi tout seul...
   Je le stoppai et le regardais dans le fond des yeux.
   - Attends, t'es en train de me dire que t'es amoureux de moi ?
   - En quelque sorte... Depuis que je t'ai rencontré, je ne pense qu'à toi... Je ne peux plus t'enlever de ma tête... Tu comprends ? Je t'aime !
   Et il m'embrassa. Ses lèvres glissaient sur les miennes avec passion.
   - Owen...
   - Quel ton prénom ? me susurra-t-il à l'oreille entre deux baisers.
   - Cynthia. Owen...
   - Cynthia. Quel splendide prénom ! Tout aussi beau que toi...
   - Owen, arrête !
   Il stoppa net.
   - Pas de sentiments. Je me remets d'une rupture, et je n'ai aucun sentiment quelconque pour toi. Si je t'ai sauté dessus, l'autre jour, c'était pour m'amuser, me défouler. Je te trouve mignon, d'accord. Mais... Owen, faut que tu comprennes que nous deux, c'est impossible. Je ne suis que de passage à Paris. Je ne sais pas combien de temps je vais y rester.
   Il me toisait.
   - Mais je te suivrais, jusqu'au bout du monde s'il le fallait !
   - Sauf que tu ne me retrouveras jamais.
   Cette réplique avait fait tilt.
   - Ok. J'ai compris le message. J'ai abandonné Maria pour toi, mais apparemment, tu ne veux pas de moi...
   - Je n'ai pas dis ça. Owen...
   - À plus.
   Je voulus le rattraper, mais il se dégagea vivement. Mais, le bon côté de la chose, c'est que je me suis dépêtrée d'un troisième triangle amoureux...
   Owen s'est en allé. D'accord. Je ne m'étais pas attachée à lui, mais bon. Je l'ai quand même blessé. Les femmes sentaient ce genre de choses.
   Je rejoignis Irène au bar, qui avait l'air d'avoir dessaouler un peu.
   - Viens.
   Je l'accompagnais à l'extérieur, dans une ruelle plutôt sombre.
   - Irène... Cet endroit me fout la trouille...
   - Mon patron a besoin de toi, et maintenant. Je n'ai plus le temps de gagner ta confiance.
   De son sac, elle sortit un pistolet qu'elle pointa dans ma direction.
   - J'ignore ta Nature, me dit-elle en insistant sur le N, mais il faut que tu me suives. Et sans discuter.
   Je secouai la tête.
   - Je ne te suivrais nulle part, Irène.
   J'étais droite comme un I. Je savais me montrer forte, et j'ai pris l'habitude des armes avec le revolver d'Eden – dont j'ai oublié le nom, d'ailleurs.
   - Ne me force pas à tirer. Je ne reconnais pas ton odeur... C'est étrange. Comme si tu avais fréquenté de nombreuses créatures et que leur senteur s'était déposée sur toi... Pour masquer ton odeur. Celle qui te représente et qui dira à n'importe quelle personne de notre Monde (elle insista une nouvelle fois sur le M) qui tu es.
   Je ne comprenais rien. Je n'ai fréquenté aucune autre créature de ce "Monde"... excepté Yumi et Li. Mais ce sont les seules...
   - Tu m'exaspères, soupira Irène. Décide-toi sinon c'est moi qui déciderai pour toi.
   Elle ne tremblait même pas. Elle se rapprocha et le canon de l'arme touchait désormais ma poitrine.
   - Je ne bougerai pas. Tire. Fais ce que tu as à faire.
   J'avais sortie cette phrase sans même la penser. Peut-être que j'ai trop pensé, toute ma vie. Je ne savais même pas si je voulais mourir ou non. Aucun quelconque instinct de survie ne surgissait. J'étais parfaitement calme. Pendant la courte durée de mon existence, j'ai tout fait pour être la meilleure, parfaite aux yeux de tous. Mais ce que personne ne savait, c'était que je souffrais.

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