Prologue

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Note : Je sais d'avance qu'il va y avoir pour vous pas mal d'informations à assimiler et de personnages à rencontrer. Cela peut paraître laborieux, et l'histoire commençant assez doucement elle, ennuyeuse. J'espère tout de même que vous saurez passer ce cap et trouver en ces futures lignes, ce que je souhaite vous conter. A très bientôt ! :)


L'homme tenait sa tête entre ses mains, ses doigts longs et fins se perdant dans sa chevelure désordonnée. Cette dernière, au carré, lui tombait sous le menton, recouvrant dans cette posture une bonne partie de son visage effondré. Toute cette responsabilité lui donnait la nausée, son poids lui broyant les épaules, des muscles jusqu'aux os. La situation ne s'arrangeait guère : au fil du temps, au contraire, tout devenait plus difficile et le peuple, au bord de la famine, lassé de ces promesses, lassé des corps ensanglantés qu'on pouvait leur ramener pour accomplir leur deuil ; ce peuple meurtri et méfiant, se détournait de la royauté. Ils étaient au bord de la guerre civile, qui menaçait depuis longtemps déjà, mais qui avait pu être contenue jusqu'à présent. Il détenait une bombe à retardement sur laquelle il devait s'asseoir chaque jour. Il le savait.

Après avoir trop espéré de l'amélioration, voilà qu'il se morfondait. Dans la grande salle silencieuse, les chuchotis des conseillers venaient lui tourner la tête, paroles sourdes qui résonnaient aussi loin dans son esprit que lui pouvait actuellement s'y être perdu. 

- Guelai. »

Le petit Roi ne releva pas tout de suite la tête. Face à son mutisme, la jeune femme plissa des yeux, contemplant la mine affreuse que son frère pouvait lui desservir. Depuis quand ne s'était-il pas douché ? Elle épousseta sa longue robe d'un revers de main avant de la soulever pour entreprendre de gravir les escaliers qui la menaient jusqu'à son frère ; ses escaliers qu'elle montait marche après marche, alors que les rôles auraient dû être inversés. Arrivée à la hauteur de son jeune frère, elle s'accroupit pour pouvoir lui faire face, laissant cette pointe amère de jalousie de côté.

- Au nom des dix dragons créateurs, s'il-te-plaît reprends-toi ! Viens, tu as grand besoin d'un bain chaud et d'affaires propres ! »

- Je ne puis quitter mon siège, chère sœur. La situation dégénère et bientôt le peuple sera à nos portes. » Guelai baissa les yeux, honteux. « Je ne suis pas à la hauteur de ce que Père espérait. »

- Si tu te tenais droit déjà ? Tu gagnerais de quelques centimètres. » Une plaisanterie que le Roi laissa filer, sans en prendre compte. « Le peuple a besoin de son Roi l'esprit vif. Ton cerveau est celui d'un escargot. » Redressant la tête et se mettant debout pour surplomber son frère, elle lui releva le menton pour l'obliger à la regarder : « Au nom de la maison Tarri, moi, Attara, fille de Tarrias de Tarri, je t'ordonne de te lever et de me suivre. Réchauffer ce trône ne t'apportera rien, autant utiliser ton énergie à autre chose. »

Sa voix était dure, intimant le respect, et Guelai se leva, desservant un regard de « tu me paieras ça » avant de descendre les marches deux par deux. Attara pensa d'abord qu'il allait trébucher : après tout, depuis combien de temps se tenait-il comme un mollusque ? Pensait-il comme un mollusque ? Et le voilà qui sautillait comme une gazelle !

- Votre Majesté. »

Les conseillers s'inclinèrent, reconnaissant, devant la Princesse, et elle leur répondit d'un signe de tête. Ce petit Roi avait bien besoin que quelqu'un vienne faire vibrer ses petites fesses hors de son petit trône. Elle était là pour ça, c'était elle l'aînée.


Dans la grande salle à manger où autrefois étaient servis moult plats plus appétissants les uns que les autres, le repas se composait ce soir de quelques racines au goût âcre et à la texture pâteuse qui n'avait de mérite qu'à vous remplir l'estomac, et quelques petites bêtes chassée la semaine passée. Guelai, qui avait enfin pris un bain et s'était vêtu d'affaires propres, faisait tournoyer et crisser sa fourchette dans son assiette, ce qui semblait fort déplaire à Attara.

- Peux-tu ne serait-ce qu'avaler une bouchée ? » lui lança-t-elle depuis l'autre bout de la table. « Tu n'es déjà pas bien gros, je préférerais éviter que tu ne sois squelettique. »

- Ce que je ne mange pas, les gens des cuisines l'auront ensuite dans leurs assiettes. »

- Guelai. Tu ne peux te sacrifier continuellement. Tu as un pays à gouverner. » Elle se fit coupée par un rire.

- Un pays dis-tu ? A gouverner ? Je ne gouverne rien, j'essaie de le faire survivre, et avec quoi ? Père s'est engagé dans une guerre que je ne puis gagner seul mais que je me dois de mener à bien, notre peuple se meurt et voudra bientôt voir notre tête au bout d'une pique, nos soldats se font massacrer par Deras, nos terres sont plus arides chaque jour ! Depuis quand n'a-t-il pas plu, Attara ? Les troupeaux ont déserté, et peut-être ferions-nous bien de les suivre ! » On sentait sa détresse et sa recherche perpétuelle pour tenter de régler autant de problèmes à la fois. Si seulement son père n'avait pas décidé de déclarer cette guerre qu'il ne pourrait que transmettre à son fils !

- Tu as un royaume certes qui vit ses plus mauvaises heures, mais ça va s'arranger. Il nous faut des alliés et - »

- Ils ne risquent pas de tomber du ciel, tes alliés. Fin de la discussion. »

Guelai se leva sans un mot de plus, laissant sa chaise tirée et son assiette aux trois quarts pleine.

- Tu dois me promettre de te reprendre. Cesse d'attendre que les choses viennent à toi sur ton siège de Roi ! Ce n'est pas là qu'est ta place !»

Il s'était stoppé, la main figée sur la poignée de la porte. Quelques secondes de silence, et il passa la porte. Elle claqua derrière lui.


Étendu sur son lit, Guelai passa sa main sur sa figure, les yeux rivés sur le plafond. Se reprendre, disait-elle ? A quel point pensait-elle que c'était facile ? Était-elle naïve à ce point ? Son esprit divagua sur son père et dans le creux de la nuit, il s'endormit sur cette seule pensée : depuis la fondation d'Elestreÿa, leur Royaume était celui qui avait le plus souffert. Quand cela cesserait-il ?

Elestreÿa : l'AssembléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant