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Lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, tous étaient déjà prêts à partir, avalant un dernier repas chaud que l'aubergiste avait gardé et réchauffé de la veille. Bien qu'en retard, il en eût son content. Il balaya l'assemblée du regard, s'assurant que les blessures occasionnées par la bête n'étaient vraiment que superficielles et ne gêneraient pas ses compagnons durant le voyage.

Une heure plus tard, ils quittaient l'auberge.

Sellant leurs chevaux, Adalrik proposa d'atteler le sien pour tracter la cage du félin : il achèterait un roussin à Disp. D'ici là, il prit place à l'avant de la carriole. Il était suffisamment éloigné des barreaux pour que l'animal ne puisse rien tenter contre lui. Ce dernier restait couché, les yeux fermés.

Le départ sonna dans la voix portante de Vardan.

Plusieurs heures étaient passées et Movrick, qui regardait Adalrik d'un œil mauvais, gardait son cheval au rythme de celui du chevalier, le plaçant légèrement en arrière, de sorte à se trouver au même niveau que lui. Il feignait l'indifférence, alors que de temps à autres, Adalrik pouvait apercevoir les pupilles du jeune homme l'épier du coin de l'œil. Voulant le tester, il accéléra l'allure de son cheval pour ensuite le ralentir. L'équidé se prêta à merveille à l'exercice alors que le cavalier à ses côtés copiait parfaitement son allure. Adalrik étouffa un rire : c'en était presque ridicule.

L'animal, qui semblait être le seul à avoir entendu ce son, tendit l'oreille et ouvrit doucement les yeux, sans pour autant lever la tête. Son corps était secoué et balloté dans la cage, l'état du chemin qu'arpentait la carriole laissant à désirer. De gros trous jonchaient le sol, suivis de bosse qui malmenaient la cage et son chargement. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites alors qu'au dessus et tout autour des arbres morts qui composaient exclusivement la forêt, montaient des nuages de particules qu'il était seul à voir, aux teintes grisâtres dont les tons tantôt plus foncés tantôt plus claires se mélangeaient. Il avait toujours vu ainsi, et bien que cela aurait semblé être un spectacle magnifique pour des yeux humains, tout comme les jeux de lumière traversant le ciel au dessus de Nidavellir, ces vagues colorées et mystiques devant lesquelles ils restaient muets et admiratifs ; c'était pour lui une vision normale, qui, avec l'odeur, donnait plus de profondeur à ce qui l'entourait. En effet, chaque sensation qu'il avait des choses, chaque odeur, chaque goût, se rapportaient à une couleur qui dansait, se confondant parfois à d'autres, sous forme de nuages de particules, légers, tout autour de ce qu'il voyait. S'il se concentrait sur une chose en particulier, les couleurs autour s'en voyaient décupler d'intensité, alors que les autres s'effaçaient. Parfois il restait pantois devant une couleur, tout comme un être sensible devant un goût qu'il affectionnerait particulièrement. Mais la plupart du temps, ce n'était que chose normale, une vision qu'il avait et qu'il considérait comme tel, à la façon des humains pour leur propre vision.

Se dressant quelque peu, il bailla, étirant ses babines et faisant frémir ses moustaches, dévoilant au passage ses crocs polis par les os sur lesquels il se faisait habituellement les dents. Aux gémissements qui accompagnaient ce geste, les deux jeunes hommes se tournèrent, ne pouvant s'empêcher de regarder l'autre avec inquiétude l'instant d'après : les dents de la bête étaient parfaitement blanches, et superbement bien aiguisées ... Ils n'osaient imaginer les dégâts qu'elles pouvaient causer sur la chair lorsque l'animal refermait ses puissantes mâchoires. Movrick se gratta la tête et détourna son regard de celui du chevalier.

Le félin, le corps maintenu au dessus du sol d'acier par ses faibles forces, se ramassa alors qu'un cailloux heurtait violemment une roue, secoua sèchement la carriole. Soufflant de colère, il ne put faire d'avantage et essaya de se relever, mais ses forces lu manquaient. Il expira une seconde fois, cette fois-ci par les narines.

Lorsque le soleil fut aux deux tiers avant de toucher son zenith, Vardan ordonna l'arrêt.

Durant près de deux heures, le convoi se stoppa pour partager le repas du midi. Le groupe qui dormait jusqu'alors descendit de cheval, silencieux.

Le soleil était haut lorsqu'ils enfourchèrent à nouveau leur monture, et ce fut au second groupe de trouver le sommeil. Adalrik, Movrick et Vardan en faisaient partis. Le chevalier, qui s'habituait difficilement à ce rythme décalé, laissa aller les longues rênes qui lui permettaient de guider son cheval, bricolées d'urgence avec de la corde. Il apprécia pouvoir se coucher sur le petit banc de la carriole alors que les autres, eux, devaient se satisfaire d'une selle. Ayant eu une bonne nuit de sommeil la nuit précédente, ce qui décalait son semblant de rythme encore d'avantage, il se tourna plusieurs fois, ouvrant et fermant les yeux, constatant que les autres sommeillaient déjà, se redressant, se recouchant, grattant les minces et rudes poils qui avaient poussé le long de sa mâchoire ; jusqu'à entrer doucement dans un sommeil léger.

L'animal derrière lui le regardait de temps à autres, se questionnant sur la raison qui avait pu pousser cet humain à le garder en vie. En cage, certes, mais en vie quand même. Spectateur de son propre sort, il savait qu'il avait quand même une dette envers cet homme, et il la paierait tôt ou tard. Il s'était mis dans une mauvaise posture, et même s'ils s'étaient rencontrés autour d'un échange de poings contre griffes, cet homme avait eu une idée, donné un ordre peu apprécié au sein de son clan, qui avait permis de garder sa vie sauve.

Le soleil, tardif, fit place à la lune, et le convoi s'arrêta pour la seconde fois de la journée. Les hommes firent une feu sur lequel se posa une marmite.

Le félin leva la tête alors qu'Adalrik lui lançait une longue tranche de jambon sec à travers les barreaux. Il ne se risquait pas à y passer les mains, il y tenait trop. La tranche finit sa course contre l'épaule du félin, qui découvrit furtivement ses crocs de mécontentement.


Elestreÿa : l'AssembléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant