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Ses yeux voyaient loin. Il n'avait plus que le flanc de la montagne à descendre, il pouvait même se laisser glisser pour atterrir sans encombre. Mais ses yeux restaient bloqués sur le territoire qui l'attendait. Tout semblait mort. Les rayons de soleil perçaient difficilement d'entre les nuages qui assombrissaient la vallée comme un soir de nouvelle lune. Les seules zones éclairées offraient un spectacle où la mort et l'abandon dansaient avec joie sur un air de violon sinistre et silencieux. Des corbeaux piquaient vers le sol, le plumage plaqué par le vent, vers un tas de cadavres empilés plus bas. L'odeur des corps en putréfaction monta jusqu'aux narines de l'animal, qui ne put s'empêcher d'avoir un hoquet de dégoût. Il souffla et se laissa descendre pour éviter l'odeur qui montait avec la chaleur. Un nuage de poussières s'éleva autour de lui alors que sa chute contrôlée prenait de la vitesse, lui obstruant la vue. Il crût que jamais il n'arriverait en bas tant la descente lui sembla longue. Il percuta des cailloux qui l'accompagnèrent dans sa chute, se prit les pattes dans certaines crevasses. Et alors qu'il pensait percuter le sol dur, ce fut un lit moelleux qui l'accueillit. Les os sous lui se brisèrent sous son poids. L'animal feula en découvrant ce qui avait amorti sa chute : ce n'était pas un tas de cadavres qui était présent aux pieds des montagnes, mais bien plusieurs. Certains, comme celui-ci, étaient à moitié enterrés dans une tranchée ; d'autres étaient seulement posés à même le sol. Les cadavres, hommes, femmes, enfants et même nourrissons, s'entassaient les uns sur les autres, leurs yeux grands ouverts trahissant leur peur et l'irrespect de leurs bourreaux. Quoi qu'il leur soit arrivé, l'animal conclût qu'ils avaient fui quelque chose. Se voyant à travers eux, son regard scruta les cieux à la recherche de son propre bourreau. Sa vengeance sera terrible. Cependant, s'il l'avait suivi, il n'était pour le moment pas derrière sa queue. Le félin préférait penser qu'il avait une longueur d'avance ou mieux encore, qu'il l'avait entièrement semé et qu'il n'entendrait plus jamais parler de lui. Bientôt, il foulerait la terre des nains et serait accueilli et caché comme son peuple avait pu l'être, par le passé.

Le félin se releva et, en appuyant sur sa patta avant gauche, il ressentit une douleur qui lui montait jusqu'à l'épaule. Se forçant à taire la douleur, non sans retrousser les babines, il continua d'avancer. Le territoire était vallonné, mais bien loin de ce qu'il espérait y trouver : aucune végétation ne poussait par ici. Rien pour le cacher. A découvert, ses sens restaient aux aguets.

A force de marcher, la douleur dans sa patte s'estompa. L'estomac creux, il repoussa ses limites et usa de son endurance. Pour aller plus vite, il préféra courir, cadençant son allure. Sur plusieurs jours, il ne se reposa que peu, à peine quelques heures par nuit. Un soir, des maisons éclairées au loin attirèrent son attention. Il n'avait pas bu une seule goutte d'eau depuis qu'il était descendu dans ces terres arides. Appelé par la faim et la soif, il s'approcha du village. Dans un enclos, quelques chèvres terrifiées bêlaient, se bousculant et tapant contre les parois de bois qui les retenaient. Mais le félin alla d'abord jusqu'à un abreuvoir. L'eau n'était pas fraîche et même les chevaux ne se risquaient pas à y tremper les naseaux. Mais la soif le tiraillait et, les deux pattes dans le haut récipient en roche rectangulaire, il étanchait sa soif à grands coups de langue. Les chèvres, toujours autant paniquées, forçaient sur les barrières jusqu'à les rompre. Les oreilles du félin se soulevèrent et il releva vivement la tête. L'eau dégoulinait de sa gueule et quelques gouttes restaient accrochées à ses moustaches. Les chèvres s'en étaient allées à toute allure, rattrapées plus loin par des villageoises. Alertées par leur détresse, ce qui semblait être des cris de rassemblement s'élevèrent dans le village. Des Hommes armés de lances, épées et arcs se mirent alors à sillonner les rues, des lampes à la main. Ils tenaient leurs armes de manière curieuse, presque réservée. Le feu crépitait derrière le verre des lampes, n'éclairant que peu. Le félin en profita pour se cacher derrière les ombres, se maudissant de s'être laissé emporter par ses besoins primaires. Il aurait dû les contenir !

Elestreÿa : l'AssembléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant