5. Marc

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____En ce moment, je passe une nuit épouvantable. Sans comprendre pourquoi, je ne ressens aucune fatigue; il m'est donc impossible de dormir. Et dans mon état, je ne peux que penser, penser et encore penser. Je repasse le moment de ma transformation cent fois dans ma tête. Avec le recul, je me dis que cette scène est vraiment ridicule, et digne d'une de ces histoires fantastiques bidon qu'on peut voir partout. Comment ce qui m'arrive pourrait être vrai ? Mon esprit scientifique n'arrive pas à trouver une logique à comment les cellules de mon corps ont-elles pu ainsi se transformer en matière non-vivante sans annihiler mes sens, tout en me laissant la capacité de réfléchir. Tout cela est parfaitement illogique. Mais tout cela est réel. Ce n'est pas un rêve, je le sais car je ne fais jamais de rêves lucides, et puis ma perception est bien trop précise.

____Je me demande dans combien de temps je pourrai redevenir humain. J'espère ne pas devoir rester un foulard toute ma vie. Et dans le cas contraire, j'espère que ce sera Anna qui me libérera... Enfin ça, c'est dans le meilleur des cas. Si quelqu'un d'autre me libère, j'en serai quand même heureux.

____Quelques heures et quelques pensées plus tard, un employé active les portes automatiques pour que les premiers clients puissent entrer. Aux heures d'ouverture, il n'y a pas grand monde dans le magasin. J'observe les quelques filles qui jouent les hystériques devant des t-shirts :

____« T'as vuuuu, celui-là il irait trop bien avec mes boucles d'oreilles !
____- Ah mais nan, il est plus à la mode, prends plutôt celui-là, c'est la dernière tendance ! »

____Pff, elles sont ridicules. Je déteste ce genre de filles, qui ne jugent que sur le physique et la capacité ou non à suivre la mode. Elles s'approchent de moi. Oh non, je ne veux pas me retrouver avec une de ces pimbêches ! L'une d'elle me regarde un instant puis me jette avec mépris. Aïe, ça fait pas du bien.

" Pfff, il craint trop ce foulard, il est d'un ringard !

- Mais grave ! J'suis sûre même ma grand-mère elle porte pas ce truc."

Comment ça, je ne suis pas à la mode ? Mais zut, elle est très bien ma couleur ! Mince, si je corresponds pas aux standards de mode du moment, personne va m'acheter, et je croupirai ici pendant le restant de mes jours ! Nooon, je ne veux pas...

____C'est alors que j'aperçois Anna. Elle est là, c'est bien elle ! Mes pensées noires s'effacent aussitôt. Je la vois se rapprocher de plus en plus de moi. Elle s'arrête devant la grande boîte contenant les foulards. Tout en espérant qu'elle m'achète, je ne loupe pas l'occasion de la regarder de près. Elle est si jolie... Même si ses cheveux ne sont pas toujours très bien coiffés, je trouve que ça lui donne un certain charme. Elle ne s'habille pas comme ces deux pouffiasses de tout à l'heure, non ! Elle, elle s'habille selon ses propres envies, selon ses propres règles. Et ça, c'est une grande qualité, selon moi.

____Je la vois tripatouiller les foulards de la boîte d'un air absent. Ses doigts se posent alors sur moi. Ça me fait bizarre, c'est comme si elle touchait ma peau nue, sauf que je n'ai pas de zones plus sensibles que d'autres. Et cela me fait ressentir des choses aussi étranges qu'agréables... Elle me saisit alors, intriguée par la matière du tissu. Elle regarde l'étiquette qui m'est attachée pour voir le prix qu'elle indique. Réalisant mon souhait, elle décide alors de m'acheter, sous le regard étonné de la vendeuse qui se demande ce qu'un foulard en soie faisait là-dedans.

____Anna me met directement autour du cou. C'est si agréable d'être serré contre sa peau... Je peux également percevoir son odeur, une odeur délicate qui me rappelle un peu celle de certaines fleurs, que mes piètres connaissances dans le domaine m'empêchent malheureusement d'identifier. Ce parfum a quelque chose d'apaisant, je me sens ainsi enivré par tout un tas de sensations exquises. C'est comme si je lui faisais un câlin permanent, en fait.

____Elle rejoint son amie, qui me trouve joli. C'est vrai qu'en tant que foulard, je suis pas mal !

____Les deux filles se la coulent douce et se tapent des délires. J'aimerais en faire autant avec Joël... Le pauvre doit s'ennuyer, sans moi. Puis Anna parle un peu d'elle, ce qui me permet de la connaître un davantage. J'apprends ainsi que la lecture est l'un de ses passe-temps préférés, et qu'elle adore la fantasy et les histoires pour enfants ! Hihi, c'est encore une gamine. Je trouve ça mignon. Moi, je lis peu, ce n'est pas vraiment mon truc. Je préfère les jeux vidéo, que ce soit console ou PC. Mais, oh, elle aime jouer à Pokémon aussi, comme moi ! Malheureusement, comme son amie n'a pas du tout l'air emballée, Anna cesse d'en parler. J'aimerais bien jouer avec elle ! Mais, rah, je ne peux pas.

____Les amies se séparent ensuite pour aller en cours. Celui d'Anna est un cours d'SES. L'année dernière, je détestais ça, mais là, c'est presque intéressant ! J'observe la façon qu'elle a de participer en cours. Elle a une telle aisance à l'oral, je l'envie...

____Elle part ensuite manger. La tête du gars qui la rejoint me dit quelque chose... Hé, mais c'est Hugo ! Je ne savais pas qu'il la connaissait ! J'observe Anna, ma vision bizarre me permettant de regarder son visage. Les regards qu'elle lui lance me rendent un peu jaloux. Mais je devine à son air un peu nostalgique que ce n'est pas sérieux, enfin que du moins, ça ne l'est plus. Cela me rassure un peu.

____Ils parlent ensuite des roux, puis de moi. Il paraît que je suis un cas génétique rare ! Quand elle dit qu'elle trouve que l'orange et le bleu vont bien ensemble, je ne peux m'empêcher de me dire qu'il y a des chances qu'elle me trouve beau. Et cette idée me rend joyeux !

____Il est l'heure de retourner en cours. Anna a histoire, avec Mme Jaccaz. La pauvre ! Elle était prof dans mon collège, avant, et je l'ai eue trois ans de suite ! Avec Joël, on la surnommait « Soporifik ». Comme le pokémon du même nom, qui est d'ailleurs super moche. Parce que ça lui correspond bien : moche et endormante.

____Anna discute avec son amie Ophélie. Elle lui raconte sa « vie amoureuse ». Elle évoque ses sentiments pour Hugo (ah, j'avais raison!), puis pour un certain Lilian. Ainsi, je comprends mieux son comportement, pendant le repas...

____Elle enchaîne ensuite sur le fait qu'elle se désespère de trouver un copain, et que personne ne l'a jamais aimée. Si elle savait comme elle se trompe... Moi, je l'aime. Depuis trois mois. Je voudrais lui dire, là, tout de suite. Mais dans mon état actuel, je ne peux pas. Quel idiot, j'aurais dû lui parler, avant d'être un foulard... Attristé, je continue d'écouter leur conversation.

____Ophélie rassure sa cadette, qui reprend bien vite son optimisme habituel. Celui-ci est contagieux : je me dis que le garçon dont elle rêve, ce sera moi, car elle me libérera !

Un parfum de rapprochementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant