6. Anna

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____La voix de Mme Jaccaz rendant le cours d'un ennui total, Ophélie et moi passons notre temps à bavarder. Nous notons quand même ce qui est écrit au tableau, pour éviter ses réprimandes. Entre deux annotations, j'entreprends de lui raconter en détail mes deux expériences amoureuses, malheureusement non réciproques.

Hugo était le premier. J'ai eu du mal à me rendre compte que ce que je ressentais pour lui était de l'amour. Et je l'ai aimé longtemps sans rien lui dire. Cependant, il avait deviné mes sentiments, mais n'osait pas me répondre "non", pour ne pas me blesser. Alors j'ai attendu, espéré. Il était tellement gentil avec moi que je pensais qu'il m'aimait, lui aussi, mais non, il était juste très amical parce que mes sentiments étaient visibles. Alors quand il m'a dit non, j'étais surprise et très déçue.

Ensuite, il y a eu Lilian. C'était un coup de foudre, mes sentiments pour lui ont été forts dès le jour où je l'ai rencontré. Alors, assez rapidement, je lui ai fait ma demande, sauf qu'il n'était pas intéressé par moi. Et pour cause : j'ai appris plus tard qu'il était homo. Pas de chance.

Ces souvenirs me rendent triste, et je fais part de mes états d'âme à Ophélie :

____« J'ai l'impression de ne plaire à personne... Aucun garçon ne s'est jamais intéressé à moi.
____- Tu n'as que quinze ans, tu dois être patiente !
____- Je suis encore jeune, c'est vrai, mais toi par exemple, alors que tu as le même âge que moi, tu as déjà été en couple !
____- Ne t'inquiète pas, ça te tombera bien dessus ! Et puis qu'est-ce qui t'arrive ? D'habitude, tu débordes d'optimisme !
____- Tu as raison. Je trouverai un copain, un jour ! Et avec un peu de chance, avant la fin de l'année !
____- Yeah ! Je te le souhaite ! »

____Ophélie me parle ensuite de ses propres expériences, et nous nous amusons à critiquer ceux que nous surnommons "les gros trous du cul". Mon amie a souvent affaire à ce genre de gars : ceux qui prétendent l'aimer alors qu'ils n'ont regardé que son physique, et qui, après avoir obtenu "satisfaction", la jettent comme une vieille chaussette. Nous nous amusons donc à leur inventer des insultes telles que "saucisses sans saveur", "slips du néant" ou encore "cerveaux à melons". Comme nous passons notre temps à pouffer de rire, la prof nous lance quelques regards réprobateurs.

____Alors que le cours et nos potins amoureux sont terminés, nous quittons la classe. Avant de passer la porte, nous jetons un coup d'œil sur le tableau qui indique que notre prof de maths est absente. Cool, on a fini les cours !

____Après avoir salué Ophélie, puis fait le trajet, j'arrive chez moi. Comme il n'y a personne, je me mets à parler toute seule.

« Pfiouuh, enfin arrivée ! »

« Bon, je vais poser mon sac et regarder un peu la télé. »

« J'ai chaud ! »

Je fais toujours ça dans ce genre de situation, ça me permet de plus extérioriser mes pensées, et de me sentir un peu moins seule. Un petit miaulement me rappelle qu'il y a tout de même une autre présence que la mienne dans l'appartement : Tarzan, mon matou tigré. Pour lui offrir sa séance câlins, je m'assois sur le canapé et le laisse grimper sur mes genoux. Mais au lieu de me pétrir les cuisses comme d'habitude, il s'approche de mon foulard et le renifle avec insistance avant de s'y frotter. C'est bizarre. Je le porte à mon nez. Il sent bon, mais on dirait... Une odeur humaine. Et plutôt masculine. C'est un peu comme s'il avait été porté par un garçon avant d'être mis en vente. Peut-être qu'un vendeur l'a essayé ? Mais l'odeur est plus forte que celle d'un simple essayage... Tout cela est très étrange.

____Je chasse mes pensées et allume la télé. Encore les infos... Les nouvelles constamment mauvaises ne me plaisent pas trop, mais je ne change pas de chaîne, histoire de savoir ce qui se passe dans le monde.

____Après du blabla de politiciens, une image attire mon attention. Mais... C'est le lycée ! Que s'est-il passé là-bas ? Le mot DISPARITION s'affiche à l'écran. Les journalistes parlent alors d'un garçon qui est introuvable, et qui est justement dans mon lycée. Ils affichent ensuite sa photo. Tiens, il est vachement mignon ! Il a des cheveux d'un beau roux mettant en valeur ses yeux d'un joli bleu clair, la peau légèrement bronzée, un air un peu timide. C'est étonnant que je ne l'aie jamais remarqué. Il s'appelle Marc. Il est en première S. Un scientifique, comme moi ! Ce mec m'intrigue. J'aimerais bien le rencontrer. Dommage qu'il ait disparu. L'image de son visage reste gravée dans mon esprit. Il doit être encore plus beau en vrai, les photos de la télé mettant rarement les gens en valeur !

____La télé montre un témoignage de sa mère. Elle ressemble à une voyante, avec son châle sombre, sa peau mate et ses grands yeux noirs. Mais ce qu'elle dit, c'est n'importe quoi ! Elle prétend que son fils s'est fait agresser par une sorcière et transformé en foulard. Cette femme est folle ! Comme si un foulard comme le mien... Une seconde. Se pourrait-il que... Non, c'est impossible, et c'est ridicule ! Les sorcières, ça n'existe pas ! J'éclate de rire en pensant que pendant une seconde, j'avais imaginé que mon foulard pouvait être ce beau garçon !

____J'éteins la télé et retourne dans ma chambre. Je suis fatiguée, alors je m'allonge sur mon lit dans la perspective de dormir, même s'il n'est que dix-sept heures. Avant de me coucher pour une bonne grosse sieste, je dis bonne nuit à mes peluches en leur faisant un bisou. Oui, cette attitude est gamine, je sais. Mais je fais ce que j'ai envie, et puis personne ne me voit. J'éteins la lumière puis m'endors.

Un parfum de rapprochementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant