2. Anna

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____Il est dix-huit heures. La sonnerie me réveille... de mon cours d'histoire. Ma prof, Mme Jaccaz, a une voix tellement soporifique que si on essaie de l'écouter, il est difficile de ne pas piquer du nez. Cette vieille femme replète aux cheveux frisés a l'air tellement déprimée qu'on se demande si quelque chose lui plaît dans sa vie. C'est assez démoralisant de la voir déblatérer son cours sans aucune envie, le visage tombant. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle en a assez de reprendre sans arrêt ses élèves, mais maintenant, elle ne dit presque plus rien. Du coup, c'est le bordel total dans la classe, chacun fait ce qu'il a envie, ça dessine, ça joue aux cartes, ça blablate dans tous les coins, ça fait ses exos de maths pour après... Et la prof nous laisse faire. J'ai beau avoir bavardé toute la première heure au premier rang, elle n'a rouspété qu'une fois, et d'un ton peu convaincant :

____« Mademoiselle Lebac, taisez-vous ! »

____Oui, je m'appelle Anna Lebac. Ce qui fait beaucoup rire les gens de ma classe... Depuis le collège.

____« Anna, tu passes ton bac ? » « Tu n'auras pas besoin des Anna-bac ! »

____Merci, papa et maman...

____Ophélie, ma meilleure amie, m'aide à me tirer de mon sommeil. J'observe son regard amusé se reflétant dans ses iris noisette, couleur qu'elle trouve horrible, tout comme sa bouche qu'elle trouve trop charnue. Moi, je trouve au contraire son regard attirant, surtout avec cette lueur un peu malicieuse qui y brille chaque fois qu'un sujet l'intéresse. Et j'aime beaucoup l'éclat ébène de ses cheveux, qu'elle lisse soigneusement. Mais bon, on a tous nos complexes ! Moi-même, je trouve mes cuisses trop grosses.
Me sortant de mes réflexions d'ordre physique, mon amie me lance, en plaisantant :

____« Alors, bien dormi ?
____- Figure-toi que j'ai réussi à vraiment pioncer ! Je ne ronflais pas, au moins ?
____- Bah, un peu, mais la prof a rien dit...
____- En tout cas, je suis moins sûre de passer une bonne nuit ce soir : c'est la pleine lune !
____- La pleine lune ? Ah oui, tu m'avais dit que ça t'empêchait de dormir. Moi, ça ne me fait rien !
____- T'as de la chance alors ! »

____Je l'accompagne jusqu'à son arrêt de bus. En chemin, notre discussion tourne autour des garçons. Sa dernière relation s'étant mal finie, nous parlons surtout de son ex : ce crétin prétendait l'aimer, mais la vérité était qu'il voulait juste trouver une copine pour frimer devant ses potes. Ne voulant pas la déprimer, je fais discrètement dériver la conversation sur les gens malveillants en général, puis lui dis qu'il existe aussi des mecs très gentils, même s'ils sont plus rares.

____Ophélie monte dans son bus et je retourne dans le hall du lycée pour rejoindre deux amies de terminale, Charline et Patricia, et discuter un moment avec elles. Du haut de son petit mètre soixante, Charline a pourtant toujours cette assurance et cette décontraction avec laquelle elle me salue lorsque je m'approche d'elle. Son large sourire est aussi pétillant que les reflets dorés de ses cheveux bruns tirés en arrière, où elle passe souvent nonchalamment les doigts. Juste à sa droite, Patricia aussi m'accueille d'une expression joyeuse mais plus réservée. Ses boucles, que le vent ce soir-là fait voler en tous sens, passent par moments devant son visage enrobé. Elle dit souvent qu'elle aimerait le cacher, tout comme son corps enveloppé que je trouve malgré tout très joli, car ce sont ses courbes qui font son charme. On parle de tout, de rien et de n'importe quoi, et on rigole bien. De toute façon, je rentre quand je veux. Cette semaine, ma mère est en vacances en Égypte avec mon beau-père. Quant à mon père, il habite en Bourgogne et, à cause de son boulot, il ne peut pas venir en Savoie. Il n'y a que ma sœur, Morgane, à la maison.

____A dix-huit heures trente, après une passionnante discussion sur la présence des licornes dans les jeux-vidéos, je me décide à rentrer. Dehors, la nuit est froide et la lune, bien visible. Dire que là où est ma mère, il fait vingt degrés de plus qu'ici... Vive le mois de Novembre ! Je prends le bus pour rentrer chez moi en écoutant l'album de Stromae, mon artiste du moment. Arrivée devant la porte, je hume une bonne odeur de sauce épicée. En entrant, je découvre que ma grande sœur a préparé des pâtes au curry, mon plat préféré ! Nous les mangeons pendant qu'elle me parle encore de son petit copain Théo... Et il est beau, et il est gentil, et blablabla... C'est peut-être vrai (pour elle...), mais elle le dit tout le temps ! Elle m'annonce qu'elle va dormir chez lui demain soir. Tant mieux, je serai tranquille !

____ Je vais me coucher. Je n'arrive pas à dormir à cause de la pleine lune, alors je me plonge dans mes habituelles pensées. Si seulement j'avais un petit ami... J'ai déjà aimé deux garçons, dont je me suis pris deux râteaux. Moi, je n'ai jamais refusé une relation à qui que ce soit. Et j'ai une impression désagréable. Celle qu'aucun mec ne me croise en se disant « Tiens ! Elle est jolie ! » Et que je ne plais à personne. Mais je reprends mes esprits rapidement. Toujours être optimiste, c'est ma devise. Et puis, qui sait, peut-être qu'un garçon rêve de moi en ce moment même... Quoiqu'il ne faut pas non plus trop espérer. Je dois être patiente. Ma certitude, c'est qu'un jour, j'aurai un petit ami ! Quand ? Telle est la question...

____Je parviens finalement à m'endormir et fais, comme à mon habitude, un rêve loufoque : je chevauche des lamas bleus, à poil, en chantant la Marseillaise, et tout le monde trouve ça normal.

Un parfum de rapprochementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant