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Chapitre 20 : La c(e)rise sur le gâteau.

- Attention !

La voix de Sean m'arracha à mes pensées sous l'effet d'une douche froide. À peine eus-je le temps de lever les yeux vers le plafond que mes paupières se rabattaient aussitôt sur elles-mêmes.
Et je l'attendis. L'impact de la matière dure et froide du ballon sur mon visage déformé par l'appréhension.
Une dizaine de secondes s'écoulèrent comme un semblant d'éternité et j'étais toujours figée. Pas d'impact. Je soulevai une paupière avec méfiance, cherchant à comprendre ce qui s'était passé. La première chose que j'aperçus fut une main aux ongles soigneusement vernis. La deuxième : les bandes couleur jaune vif et bleu profond de la balle, située à quelques centimètres seulement de mon visage.

- Je crois que je viens de te sauver la mise, Hay.

Lorsqu'enfin, j'arrivai à détacher mon attention du ballon, je constatai qu'Ashley me jaugeait avec une certaine intensité dans le regard. Chose qu'elle faisait habituellement lorsqu'elle me soupçonnait de lui dissimuler quelque chose. Là, en l'occurrence, j'étais simplement perdue à mi-chemin entre le rêve et la réalité. Et si je ne savais pas à quoi m'en tenir, j'aurais juré que mon âme s'était momentanément extraite de mon corps.
La sensation engendrée était des plus désagréables. Mes muscles refroidis me donnaient l'impression d'être pétrifiée sur place et l'environnement qui m'entourait était incroyablement flou. Pour couronner le tout, une migraine s'insinuait par une faible douleur dans mon crâne. J'entrepris de me masser les tempes. Où étions-nous, déjà? Et pourquoi Ashley me considérait comme si je sortais d'un institut pour personnes mentalement atteintes?
Un frisson me parcourut l'échine. Il pourrait y avoir une part de vrai. Je pouvais réellement être devenue folle à lier, faute de mon stress permanent, de mes peurs et inquiétudes omniprésentes. Toutefois, le ballon de volley décrivant à présent des rebondissements rythmés sur le sol lisse, ainsi que les filets qui me séparaient d'un groupe de trois garçons, - dont deux étant Sean et Brad - contredisaient clairement l'idée.

- Finalement, j'aurais dû te laisser te la manger en pleine figure, cette balle, maugréa Ash.

Et en un éclair, je pris pleinement conscience de la situation. Pas d'institut pour personnes atteintes mentalement. Pire. Je me trouvais entre les murs consternants du gymnase du lycée. Un match venait incontestablement d'avoir eu lieu, mais je n'y avais assisté que par ma présence physique, ceci étant dû au fait que mon cerveau avait été trop occupé à établir une liste de mes préoccupations plutôt que de commander à mes muscles de s'activer. J'étais un réel cas désespéré, autant physiquement que mentalement. Comme si elle avait lu dans mes pensées, Ashley laissa échapper un soupir navré et positionna son miroir de poche face à moi. Il s'en fallut de peu pour que je ne pousse pas un hurlement d'horreur.
Le visage qui se reflétait n'était pas le mien. Du moins, je ne voulais pas y croire. Bien que d'ordinaire le maquillage et l'ensemble des produits de beauté que les filles - qu'Ashley - adoraient affliger à leur peau restaient en option pour moi, jamais je n'avais ressemblé...à ça.
C'était désastreux. Nettement pire que lorsque j'avais découvert la dépouille de Brad, un mois plus tôt. En considérant les cernes de trois kilomètres dûs à mon manque flagrant de sommeil, l'horrible bouton rouge qui m'était apparu près de l'arête du nez (en guise de punition pour avoir snobé le démaquillant toute la semaine) et mes cheveux dans lesquels trois guerres mondiales devaient avoir eu lieu, je me dis que j'aurais fait sensation à Halloween. Un zombie à l'état pur. Aussi pratique que pathétique.
Cette semaine qui touchait presque à sa fin avait été éprouvante sur tous les plans. J'avais l'impression que rien n'allait en s'arrangeant.
Jusqu'à ce jour, passer dans le couloir où Kurt était mort sans être prise d'une violente nausée et d'une sensation de vertige m'était toujours impossible. Dans ma tête, la scène se rejouait inlassablement, en échangeant de temps en temps le rôle de Kurt avec celui de Sean. Il mourrait. Sous mes yeux. Et je ne pouvais rien faire pour le sauver.
Concernant le plan familial, l'ambiance touchait au plus bas point. Il y avait ce froid entre nous, que personne ne tentait de faire disparaître, si bien que nous nous y étions habitués. Le silence était la solution qui convenait à tous.
Et enfin, m'inquiéter pour mes amis était maintenant devenu un trait de caractère chez moi. C'était irrépressible. Leur insouciance me rendait folle. Ils préféraient s'exposer au danger plutôt que de s'en protéger. Moi, je préférais adopter le fameux proverbe: « Mieux vaut prévenir que guérir. »
Un raclement de gorge m'empêcha de me laisser sombrer dans les mares noires de la déprime. En me retournant, je tombai sur Megan. Les bras croisés d'un air sévère, elle me lançait des éclairs de son regard impitoyable, prête à m'affliger les pires supplices au monde.
Il ne fallait cependant pas se méprendre : comparé à la bonne moitié des filles de ma classe ou du lycée, Megan était particulièrement adorable. Elle était vive d'esprit, toujours de bonne humeur. Et quand il s'agissait de faire des conneries, elle était bien sûr la première à se lancer. Néanmoins, lorsqu'il s'agissait de jouer, c'était une toute autre histoire. Même Ashley n'était pas aussi mauvaise perdante qu'elle.
Elle sembla vouloir dire quelque chose, - sûrement pour me reprocher d'avoir été inutile sur le terrain -, mais le coup de sifflet de la prof la coupa, manquant par la même occasion de me provoquer une crise cardiaque.