Chap. 1: Le début de l'aventure

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Le sac était lourd sur son dos. Elle y avait mis tout ce qu'elle avait pu. Tout ce qui pouvait lui être utile pour mener à bien la quête que son grand père lui avait confié.

Grand père...

La jeune fille ferma les yeux un instant, le visage fermé, les mâchoires serrées. Une larme coula sur sa joue. Elle l'essuya d'un geste vif, se redressa et reprit sa marche silencieuse, le long de la route.

Ces fichues routes... Elles pullulaient, cicatrices noires, gigantesques, interminables. Peu importait ce qu il y avait sur leur chemin, tout était détruit. La "civilisation" se devait de prendre le pas sur tout ce qui existait d'un tant soit peu naturel. Elle avait beau essayer de toutes ses forces, elle ne parvenait pas à imaginer à quoi le monde ressemblait, avant. Elle ne connaissait que le bitume des autoroutes, le béton des gratte-ciels, la fumée des usines, le ronronnement des moteurs... C était lui, son grand père, qui lui avait raconté l'Avant, ses piaillements d'oiseaux, la verdure, le ciel bleu, l'air pur... Il l'avait menée là-haut, sur les sommets, l'avait guidée dans les quelques rares hectares de forêts qui avaient échappé à Pharmaceutic Industry.

A cette pensée, à ce nom, le sang de la jeune femme ne fit qu'un tour. Au fil des récits de son grand-père, elle avait appris les horreurs commises par le groupe pharmaceutique et industriel qui, aujourd'hui et depuis 15 ans déjà, dirigeait le monde. C'était à cause d'eux, si le monde avait été amputé de toute espèce animale. Leur faute, si la jeune fille n'avait jamais entendu le chant d'un oiseau. Leur faute, si ses parents avaient disparus.
Un sourire triste étira ses lèvres pleines. Ses parents... Ce couple de scientifiques acharnés, qui avaient fait partie des premiers à s'inquiéter de la disparition progressive des différentes espèces animales. Qui, lorsque les animaux des zoos avaient commencé à mourir, les uns après les autres, avaient sonné l'alerte. Qui, lorsqu'une alliance de groupes pharmaceutiques et industriels avaient annoncé avoir découvert qu un virus atteignait les animaux de compagnies tels que les chats et les chiens, les rendant dangereux pour les humains, avaient protesté. Et qui, un soir, alors que Juliette n'avait que 3 ans, n'étaient pas rentrés à la maison.

Son grand-père maternel avait tout fait, remué ciel et terre pour obtenir des explications. Mais rien. Le père et la mère de Juliette avait tout simplement disparu. Personne ne savait où ils étaient, ne savait ce qui leur était arrivé. Ou, plus vraisemblablement, personne ne voulait en parler. Alors Jacques avait pris Juliette sous son aile, l'avait accueillie chez lui, l'avait éduquée dans le respect du monde de l'Avant. L'Avant Pharmaceutic Industry. Celui qu'il se remémorait, celui qu'il retrouvait un peu, lorsqu'il se rendait dans la montagne. Pendant dix ans, Juliette l'avait regardé s'en aller, le nez collé à la fenêtre. Elle avait imaginé sa journée, sa silhouette imposante déambulant entre ces arbres dont il lui montrait les photos, souvent, la voix empreinte de nostalgie. Il lui racontait, chaque soir. Ses journées dans ce qui restait de la Nature, à chercher désespérément une empreinte, à tendre l'oreille à l'affût d'un souffle, à espérer se sentir épié. Elle avait demandé ce qu'il cherchait exactement, qui attendait-il, qui espérait-il trouver dans les bois. Et voici la réponse qu'il lui fit:

- C'est le loup que je cherche, Juliette. C'est l'espèce qui a résisté le plus longtemps à l'euthanasie mondiale organisée par Pharmatec Industry. L'emblème de la résistance, en quelque sorte. Ils sont si beaux, les loups... Si sauvages... Tu n'as pas idée de ce qu'ils dégagent, de cette impression de puissance, de liberté, de sauvagerie mêlée de calme qu'ils donnent... Mais un jour, tu sauras.

- Mais papi, lui avait répondu l'enfant, je croyais qu'ils avaient disparu, comme tous les autres?

- Qu'en sais-tu, ma petite? Moi, je crois qu'ils sont encore là... S'il y a bien une espèce qui a pu résister, ce sont eux, les derniers. J'espère ne pas me tromper, sinon, cela voudrait dire qu'il ne nous reste vraiment plus aucun espoir. J'espère qu'un jour, tu auras la chance d'en rencontrer un. Si ça arrive, je n'ai aucune idée de ce que ça voudra dire pour l'humanité, mais je sais que ce serait un grand pas pour la Nature. La renaissance, peut-être, avait-il ajouté, rêveur, les yeux dans le vague.

Il lui avait ensuite promis de l'emmener avec lui, dès le lendemain matin. Il disait qu'il était temps qu'elle rencontre la Nature, qu'elle soit à son écoute. Qu'il se faisait vieux, qu'il ne pourrait pas toujours crapahuter dans la montagne, qu'un jour ce serait son tour.

Jamais Juliette n'aurait pensé que ce jour arriverait ausi vite... Elle avait 16 ans lorsqu'il était tombé malade. Elle venait d'en avoir 18, quand il mourut, la laissant seule. Enfin, pas tout à fait seule...
Sur son lit de mort, le vieux Jacques lui avait dit qu'il l'avait vue, là-haut, qu'il la savait à l'écoute de la Nature, motivée, déterminée... Il l'avait su dès le premier jour, la première fois qu'il lui avait parlé des loups et qu'il avait vu ses yeux sombres, presque noirs, s'illuminer de cette flamme que personne ne pourrait jamais éteindre: l'espoir. Il croyait en elle, elle pouvait les trouver. Il lui confia son secret. 3 ans plus tôt, un jour qu'il était sorti sans elle, il en avait vu un. Dans les bois, caché derrière les arbres, il l'avait vu. Il avait été subjugué, émerveillé par cette rencontre qui n'acait duré que quelques secondes mais n'avait cessée de le hanter depuis. Il n'avait pas osé lui raconter, de peur qu'elle le prenne pour un fou. Lui-même, parfois, se prenait a penser qu'il avait peut-être rêvé cet instant magique.
Mais l'heure n'était plus aux doutes, ni aux cachotteries. Elle était au départ. Juliette devait partir, le plus vite possible, pour retrouver les loups. Le vieil homme était persuadé que les trouver serait la première étape du grand changement. Qu'elle ne pouvait rester sur place, à pleurer sa mort. Il fallait qu'elle parte.

C'est pourquoi la jeune fille se retrouvait, par une nuit de pleine lune, à faire son sac et à s'habiller chaudement pour rejoindre la forêt. Elle était seule, marchait vite, ses longs cheveux roux attachés en une tresse qui pendait dans son dos, le regard fixé devant elle, sur ces montagnes qui l'appelaient depuis tant de temps. Elle avait promis a son grand-père de trouver les loups. Elle les trouverait.

Juliette avait cette intuition. L'intuition que la survie des loups voulait dire quelque chose. Qu'il y avait quelque chose, dans les montagnes, qui résistait à Pharmatec Industry et à la destruction systématique de la Nature. Et elle voulait y prendre part, ne plus être seule et se battre pour redonner vie aux souvenirs de son grand-père.

La Guilde du LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant