La tempête

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Ces tristes faits survinrent au détour d'une nuit d'été. Le vent était refroidi par les averses impromptues ; il était glaçant et furieux, balayant la lande, faisant plier et se choquer les pins comme s'ils eussent été des titans en lutte.

Moi, je me trouvais au milieu de ce tumulte naturel, à des lieues de la dernière habitation rencontrée. Pas une lumière à l'horizon, même la lune était absente bien qu'elle devait en être à son avant-dernier quartier cette nuit-là.

Le sentier que je suivais était mince, à de nombreuses reprises je buttais contre une roche, ou bien je m'écorchais les jambes dans un buisson d'ajoncs ; le vent humide avait collé mes braies à ma peau enflammée et avait durement endolori mes pieds.

Je croyais à ce moment que le Trépas m'appelait, alors dans un élan de rage je jetai mes bottes et sortis du sentier pour m'embourber entre les bouquets détrempés de paleine et de bruyère qui tapissaient la lande obscure.

Mes pieds se noyaient, puis s'arrachaient péniblement, pour se noyer de nouveau, et ainsi de suite : j'avançais comme cela, le plus péniblement du monde, jusqu'à ce que le terrain accidenté laissât place au sol dur du bois de pins. Ce ne fut pourtant pas un grand soulagement, car aux herbes trempées se substituèrent les épines, les pommes de pins, ainsi que les ronces, bien dissimulées par les épaisses ténèbres.

Je vous le dis, il en fallait du courage pour courir ainsi la campagne par une telle nuit. Mais que voulez-vous : je fuyais. Je fuyais les hommes, je fuyais le spectre de la Mort et la justice du Très-Haut.

Alors, sous la mer déchaînée des cimes en tourment, je courais à en perdre haleine. Mon souffle était froid, mes poumons se consumaient de douleur, mais je maintenais la course car il le fallait.

Pas moins d'une heure passa quand je tombai sur un haut mur de pierres à l'orée du bois.

À tâtons, je fis le tour de cette enceinte, incapable de l'escalader dans la souffrance où je me trouvais ; puis je fus face à un portail qui était celui d'un cimetière.

Dans la nuit, je voyais à peine les tombes et la chapelle ; mais je me dirigeai vers elle. Une fois arrivé sous le porche, je vérifiai si la bâtisse était fermée : malheureusement, elle l'était.

Alors je résolus de m'endormir là, à peu près au sec et abrité des bourrasques.

Les yeux rivés sur le plafond noir qui me couvrait du mauvais temps, je repensai à ma femme Candela, que je n'avais pas revue depuis si longtemps.

Je frémis en repensant à là d'où je revenais, et je touchais ma cicatrice, cette affreuse balafre que la guerre m'avait laissé pour rappeler que même en la fuyant au plus loin elle serait toujours là à marcher sur mes talons.

La guerre. Je m'endormis.

Madeleine RepentanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant