J'étais tout près de la porte, mon cœur me brisait presque les côtes. Je tendis l'oreille pour savoir s'il se passait quelque chose dans le couloir de notre étage... La lourde marche du Baron résonnait, accompagnée du cliquetis de l'épée à sa ceinture : sans aucun doute faisait-il les cent pas en attendant que nous sortions. Il perdait peut-être patience, nous n'avions plus le choix : il fallait agir maintenant.
Je m'apprêtais à saisir la poignée de la porte lorsque Madeleine m'interrompit.
- Attendez
- Quoi ?
- Il faut qu'on parle Abel. J'ai besoin de savoir une chose, maintenant.Me dit-elle d'une voix aiguë. C'était une de ces phrases bien connues pour ne rien présager de bon ; dite sur ce ton qui n'autorise aucune esquive.
- Je ne suis pas sûr que ce soit le moment, le Baron est...
- Une seule question.Ça paraissait grave. Je revins m'asseoir près d'elle sur le lit et me résolus à entendre son interrogation...
- Qu'y a-t-il ?
- Vous m'aimez...
- Ah je vous l'ai dit Madeleine, je ne peux mentir ; j'éprouve des sentiments mais jamais je ne ferais le moindre tort à Candela. J'ai juré de...
- Du calme, chevalier, je n'avais pas terminé. Je disais : vous m'aimez, c'est un fait, mais pourquoi ? Je suis une incroyante, une excentrique...
- C'est vrai, vous l'êtes...
- Alors pourquoi moi ?!À ce moment-là mon unique objectif était de continuer de parler le plus sereinement possible tout en ayant la gorge aussi serrée que dans un étau...
"Parce qu'avant tout vous êtes quelqu'un de bien."
Elle détourna le regard, clairement embarrassée. Était-ce cela qu'elle voulait entendre ? Ou bien avait-elle imaginé une toute autre réponse ?
- J'ai rarement eu l'occasion de recevoir ce compliment.
- Ah vraiment ? Et votre père ? Il vous aime plus que tout !Elle leva les yeux au ciel, paraissant alors plus adolescente que jamais :
- Oh, mon père. Il dit que je suis une bonne fille, voilà tout. Il n'est pas le seul : on me le dit souvent. C'est aimable d'être une bonne fille, mais qui a dit qu'il fallait s'en contenter ? Une "bonne personne" est bien plus : c'est universel et harmonieux, c'est un tout.
Je pris ses mains dans les miennes pour la rassurer :
- Je vous trouve exceptionnelle et vous méritez un destin à la hauteur.
Elle voulut garder son air imperturbable, mais ne pût cacher le petit sourire qui vint briller sur son visage comme une étincelle de fierté. Elle me regarda dans les yeux et demanda :
- Mais alors vous me pardonnez mes erreurs et mes folies ? Vous ne m'en voulez plus pour tout ce trouble que j'ai engendré ?
"Tout d'abord le vrai Pardon ne m'appartient pas."
Dis-je en tournant machinalement mon regard vers l'Étoile qui brillait là haut.
Puis voyant que ce début de réponse décevait Madeleine, l'exaspérait même, et qu'elle s'apprêtait à répliquer, je m'empressai de poursuivre :
- ... Et de toute manière je n'ai jamais rien eu contre vous, mon amie, bien au contraire.
- Écoutez, je suis sérieuse. Je n'ai pas besoin d'être pardonnée par une entité sans visage, au nom d'un dogme irréaliste ; je ne veux pas me réconcilier avec un dieu ou... une étoile. C'est entre vous et moi que ça se passe, essayez de me comprendre !Elle pressa encore un peu plus mes mains dans les siennes : les masques venaient de tomber.
Alors je pus enfin percer ce regard puissant qui servait de forteresse à son âme ; il ne s'est jamais effacé de ma mémoire, ce regard...
Pour la première fois ses yeux laissèrent transparaître tout ce qu'elle avait l'habitude de garder pour elle-même : détresse, interrogations, passion et tant d'autres émotions qui la rendaient belle.
Je rassemblai mes forces pour que les mots bâtissent un pont entre mon cœur et le sien ; et en une phrase je fis appel à toute la sincérité de mes sentiments :- Madeleine, vous êtes brillante.
Puis j'inclinai la tête pour venir embrasser sa joue.
Des larmes brillèrent dans ses yeux... le moment était venu : elle me serra dans ses bras.
Nous restâmes ainsi étreints, immobiles, pendant un long instant, mais la voix du Baron nous interrompit :"Toc toc toc ! Le Soleil est levé mes amis, c'est une belle journée qui s'annonce... sortez donc en profiter !"
Puis il s'esclaffa d'un rire idiot que ses camarades s'empressèrent d'imiter.
Sans dire un mot je quittai les bras de Madeleine, qui partit dans le fond le la pièce ; et d'un pas lent je me dirigeai vers la poignée.
Dévoré par l'angoisse, je pris une grande inspiration puis j'ouvris la porte grinçante de la chambre.
J'eus à peine le temps de comprendre ce qui se passa alors : le Baron se tenait là devant moi, le poing à l'épée ; il baignait dans la clarté matinale aveuglante, auréolé par la grande fenêtre devant laquelle il se tenait... J'entendis un pas rapide derrière moi : Madeleine s'était mise à courir et fonçait à une vitesse presque surhumaine, le plancher hurlait sous ses pieds ; elle passa devant moi sans me jeter un regard, déterminée, ses yeux flamboyants fixés sur sa cible ; elle agrippa l'infâme tyran par les épaules tout en maintenant sa course.
Elle retint si fermement le vil Baron que je vis celui-ci grimacer de douleur ; la souffrance s'ajoutant à l'effroi subit qui déformait son affreuse trogne.
Les autres hommes armés étaient tous hébétés ; mais pas autant que moi, qui me tenais presque accroupi tant j'avais peur d'être emporté par ce chaos soudain.
Voyant Madeleine, voyant la fenêtre vers laquelle elle amenait le Baron, je compris alors - mais trop tard - ce qu'elle s'apprêtait à faire. Je sus immédiatement qu'elle n'avait pas improvisé cet acte dans la panique, car finalement il expliquait l'étrange attitude qu'elle avait eu durant les heures précédentes.
C'était donc ça son repentir, oh quelle terrible pensée ce fut pour moi lorsque je m'en rendis compte !
La jeune femme était à présent une tempête qui allait emporter le Mal et disparaître avec lui, en une fraction de seconde...
Elle poussa sur ses jambes et se projeta vers la vitre, retenant toujours fermement sa victime hurlante. Il y eut un éclat de verre assourdissant ; alors je vis l'ombre de mon amie se faire avaler par la lumière du soleil ; les cris du Baron s'éteignirent au fil de la chute et tout cessa avec le terrible bruit de l'eau, le grondement de la Marche qui les engloutit tous les deux en un instant.
C'était fini.
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Madeleine Repentante
ParanormalAbel nous conte l'histoire de sa rencontre avec Madeleine. Une légende médiévale tragique, romantique et mystique.