Une heure après, mes petits biens de vagabond étaient sur mon dos, et je reprenais le chemin tourbeux qui longe les bords du fleuve.
Le Soleil avait disparu sous les collines de l'ouest ; l'horizon brûlait encore mais la nuit s'apprêtait à ôter le linceul du crépuscule pour se parer d'une cour d'étoiles. La Lune était déjà haute dans le ciel, ronde comme une perle, jetant une lueur blafarde sur le sentier endormi.
La nuit était si claire que je pouvais voir mon ombre et la silhouette des crapauds qui s'écartaient sur mon passage.
À part le clapotis de la rivière et les sons habituels des petits animaux qui s'égayaient de-ci de-là d'une si belle nuit, la campagne était calme. Du moins durant la première heure.
Arrivé au haut d'une colline où ne poussait aucun arbre, j'entendis résonner la marche d'une dizaine de chevaux. Cela venait de devant moi, mais je ne voyais encore rien.
Des voix s'élevèrent ensuite, d'hommes qui riaient grassement et bavardaient comme des idiots qui ont trop bu... Alors je les vis.
À l'horizon, des silhouettes apparurent : une petite troupe à cheval traversait la prairie sous le grand astre d'argent. Aussitôt je me mis à changer de direction pour courir vers l'Est et les contourner au maximum.
Je mettais toutes mes forces dans cette course effrénée à travers l'immense étendue d'herbes hautes. J'entendis une agitation soudaine de leurs voix et de leurs chevaux : ils m'avaient vu ! Qu'à cela ne tienne, je comptais bien échapper à ces bandits grâce à l'obscurité qui allait être une alliée de taille...
... Mais la mauvaise idée de m'arrêter près d'un bosquet de sureaux mit fin à cette course-poursuite inéquitable : un envol de corbeaux attira leur attention sur ma cachette.
En quelques instants il fut là, face à moi, le Baron. C'était un rouquin trapu à l'air fourbe et dégénéré.
Il descendit de son cheval, élégante monture à la robe de feu ; puis il s'accroupit en face de moi et me demanda en ricanant « Alors, mon gaillard, on vagabonde sur mes terres ? ».
Je tentai de soutenir son regard, mais il effaça son faux-sourire et se releva, tirant une longue épée qu'il pointa sur mon cou...
« Eh bien tu vas nous suivre, nous allions justement nous détendre à la pension du vieux moulin, je préfère t'avoir sous surveillance... je n'aime pas quand la truandaille se pavane sur mon domaine ».
Alors ses bestiaux en tenue de chasse, des valets et autres compères en armes, se saisirent de moi pour m'entraîner avec eux.
Je voulus me défendre, mais l'un de ces imbéciles me donna un coup de poignard sous les côtes. J'avais déjà ressenti cette douleur... la guerre ne m'avait pas fait de cadeaux ; mais cette fois j'étais sûr que ça allait être plus grave : toutes mes forces m'abandonnèrent subitement, le monde sembla tourner autour de moi puis un froid envahit tout mon corps en un instant et mes yeux se voilèrent de noir.
Le rêve, les abominations et les présages se substituèrent à la réalité sans même que je m'en rendisse compte : c'est pourquoi mon récit prend à ce moment une tournure fort étrange. Les merveilles dont je ferai là le récit seront certes impossibles à concevoir comme vraies, mais c'est précisément ce que j'ai vécu, ou du moins profondément cru vivre.
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Madeleine Repentante
Siêu nhiênAbel nous conte l'histoire de sa rencontre avec Madeleine. Une légende médiévale tragique, romantique et mystique.