La dispute

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Il était deux heures au cadran solaire de la cour que j'observais pensivement depuis la fenêtre de ma chambre vide.

Sous les poutres grossières, entre les quatre murs gris, derrière le carreau où deux mouches se tournaient autour, je regardais au dehors en pensant au temps qui s'écoule, pour moi plus que quiconque : j'avais perdu mon honneur de soldat, j'avais peu de répit avant que mon nom circulât dans toutes les provinces voisines de mon village. J'avais peu de temps avant que Candela et notre cher et tendre fils Théodore ne devinssent eux aussi des déshonorés aux yeux du peuple.

Pour sûr si un miracle n'arrivait pas mon petit allait grandir en fuyard, voire pire : en orphelin.

Candela elle, me suivrait partout, encore eût-il fallu que je revins avant mes anciens compagnons.

Je songeais que l'Ange de la Mort avait attiré mon œil vers ce cadran solaire pour me narguer.

« Memento Mori » dit une voix au dessus de mon épaule, qui me fit sursauter.

C'était Madeleine, entrée en poussant la porte que j'avais omis de fermer :
« Souviens toi de mourir, c'est ce qui est écrit au cadran, là. On nous la rabâche suffisamment en ce moment, cette phrase ! Les religieux sont en guerre, contre le monde entier. Alors ils nous oppriment nous car ils ne peuvent plus gronder que nous ».

Je me tournai vers elle, un peu fâché par son entrée et son irrespect envers les choses de la religion.

Même moi qui avait laissé derrière moi la guerre sainte, je n'aurais jamais eu à l'esprit de manquer de révérence au Ciel : plus encore, je Le craignais davantage depuis mon geste.

« En voilà une façon de parler du ministère sacré ! » dis-je.

« En voilà une façon de parler avec mille manières pour défendre de simples humains » me fit-elle remarquer.

Elle alla chercher les draps pour mon lit. En même temps, elle commença à converser avec moi :

- Vous devez savoir, Abel, qu'ici il y a eu la guerre.

- C'est un fléau qui vient d'abord des Hommes : prenez que même les peuples mécréants se font la guerre !

- Là n'est pas mon propos. Des soldats, disais-je, qui s'étaient perdus, dans tous les sens du terme, ont demandé le repos ici à l'auberge. J'avais sept ans, ils m'ont... voulue pour eux, alors ma mère s'opposa et ils la voulurent également. Bien-sûr, c'est comme cela que mon père est devenu veuf.

Elle me jeta quelques regards pour ponctuer ces phrases, mais ne parut nullement pathétique. Comme je l'ai dis précédemment, Madeleine était d'une grande sagesse et derrière chaque sentiment qu'elle exprimait, quel qu'il fût, se dissimulait la même gravité.

Je voulus nuancer ses conclusions, tout en tentant de ne point la blesser : « Mademoiselle, tous les gens de religion ne sont pas ainsi, bien heureusement... Et tous les hommes qui prennent les armes ne sont pas mus par la folie. Certains même fuient devant les horreurs des guerres lointaines ! »

J'avais lâché cette phrase, qui était presque un aveu. C'était comme jouer avec le feu, mais mon interlocutrice me froissa trop pour que je me fusse contenu.

« En connaissez vous ?... Vous même, peut-être. Mais tous ne sont pas comme vous. Les hommes sont souvent comme je le dis. »

Elle disait cela en tapant mon oreiller, sans même avoir de reproche dans la voix ! En fait, elle se fâchait de ce que je défendais, et non point du secret qu'elle exhumait... Elle parlait comme si cela n'avait jamais été caché pour elle, bien qu'elle n'avait fait ma connaissance que huit heures auparavant.

Madeleine RepentanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant