La petite cour du Baron m'avait ramené jusqu'à mon point de départ : l'auberge.
Mon esprit était revenu sur Terre, mais je me sentais encore flotter autour de mon corps, ni mort ni vraiment en vie.
J'entendis le Baron expliquer à l'assemblée stupéfaite et tremblante des hôtes et pensionnaires de l'établissement qu'il venait de me trouver à errer sur la colline qui surplombe la Marche à quelques pas d'ici...
Heureusement il ne connaissait ni mon nom, ni ma précédente escale à cette même auberge, ni la raison de mon départ précipité.
Une lumière me perça les yeux et je pus les entrouvrir, alors je vis mon ennemi. Il se dirigeait vers un couple de gueux attablés devant un potage au navet...
Il leur rit au nez avec mépris, puis sembla les ignorer : il trempa son index dans le bol de soupe et leur tourna le dos ; ne prenant pas la peine de s'attarder auprès de l'époux indigné. Il goûta la taxe qu'il venait de leur prélever puis dit en haussant les épaules « Froid ».
J'aperçus Madeleine qui jetait des coups d'œil désespérés vers mon corps, inerte entre les mains des serviteurs du vil hobereau. Je vis qu'elle ne gardait plus aucune rancœur envers moi ; son visage ne pouvait cacher la panique et la tristesse qu'elle ressentait.
Il marcha lentement vers elle et l'aubergiste, puis regarda ce dernier droit dans les yeux et une véritable bataille de regards eut lieu au milieu du salon, au centre de l'arène formée par le cercle des clients effrayés et des compères du tyran.
« Aubergiste, tu te souviens de ce que je t'ai demandé la dernière fois que je suis passé dans cette... » il balaya la salle du regard avec un air dégoûté, puis poursuivit « dans cette masure infecte... ».
À ces mots le propriétaire injurié serra le poing et fit un pas vers cet affreux insolent, mais Madeleine le retint.
« Vous n'avez donc aucune honte à insulter un vieil homme honnête, un sujet qui verse l'impôt dont vus vivez depuis votre naissance ! » Se fâcha-t-elle contre le méchant homme.
« Je parle comme bon me semble à mes sujets. Mais d'ailleurs, vous tombez bien ma mignonne... » Répondit-il en tendant la main pour caresser la joue de la pauvre demoiselle. Celle-ci repoussa sa main avec beaucoup de brutalité et fit un pas vers l'infâme, le visage transformé par l'indignation et même... la haine.
Oui, elle était absolument révoltée contre ce rustre : la tension était à son comble.Maxence, inquiète pour son amie, fit instinctivement un pas en avant mais Madeleine lui signala de se tenir à l'écart.
Tout cela allait trop loin... Il fallait que j'intervienne ! Je devais revenir...
Je pris une grande inspiration, peut-être était-ce la première depuis que j'étais tombé sous le coup du valet dans la lande.
De nouveau le monde tourna autour de moi, c'était comme si j'aspirais mon esprit, que je retombais dans mon corps...
La chaleur que j'avais éprouvée précédemment devint alors plus réelle encore que dans mon cauchemar mystique : elle fut si puissante que le valet qui tenait mon corps dut le lâcher, comme si un feu venait de s'allumer dans ses bras.
Il hurla de douleur mais ce n'était rien comparé à mon cri. Personne dans la pièce ne comprenait, Madeleine était terrorisée : je ressuscitais, transfiguré et brûlant.L'une des brutes tenta de m'agripper le bras, mais sa main siffla et fuma au simple contact de ma peau. Celui qui m'avait porté dégaina son épée, cependant son maître lui ordonna de se tenir à l'écart.
Je m'approchai alors du petit Baron, sans trop savoir ma propre intention. Me voyant avancer droit vers lui, essoufflé mais déterminé à défendre Madeleine, il voulut m'imposer le respect. Il commença une menace, mais un coup de poing en pleine mâchoire le fit décoller et il atterrit sur une table. Celle-ci se cassa, la cruche qui était dessus se renversa sur le pauvre diable alors étendu, presque inconscient.
La rage se dissipa et ma douleur s'évanouit, alors Madeleine courut se réfugier dans mes bras. Tout le monde paniqua lorsque nous vîmes que le Baron se relevait déjà, frottant son épaule blessée au sang. Il essuya sa bouche qui saignait aussi, tout en s'avançant vers nous, les yeux remplis de fureur.
À présent plus personne ne cherchait à dissimuler la haine que moi-même j'affichais contre ce fou, les visages le montraient : tout le monde ici détestait l'horrible noblaillon et même s'ils étaient ses sujets, ma présence – celle d'un étranger qui lui tenait tête – avait une vertu libératrice.
C'était maintenant une rébellion franche et dure : les hostilités avaient commencé.
Madeleine cria "Maxence !" alors son amie saisit un couteau sur une table et le lui lança. Elle le pointa vers notre assaillant, qui cessa sa course.« Laissez-nous, ou je charcute et je fais de vous une dame bien comme il faut ! » dit-elle, enragée comme jamais.
Après cela tout devint confus... les événements se produisirent si vite que même sur le moment il m'était difficile de ressentir autre chose que le pur instinct qui crie « fuis ».
Et je sais bien de quoi je parle.
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Madeleine Repentante
ParanormalAbel nous conte l'histoire de sa rencontre avec Madeleine. Une légende médiévale tragique, romantique et mystique.