Le Trépas

10 1 0
                                    

"Elle est tombée pour ce en quoi elle croyait : la liberté de tous et la fin des oppressions."

J'avais passé toute la journée à me demander si j'aurais la force de me rendre aux obsèques, et à mon arrivée le père de Madeleine en était déjà à la moitié de son éloge funèbre.

"Le tyran, lui, est tombé pour avoir asservi ceux qu'il devait servir : ce n'est que justice"

Le vieil homme était effondré, il voulait rester digne mais comment espérer battre le chagrin lorsqu'on a perdu son unique enfant, sa fierté ?

En plus d'être troublé par ses propres sanglots il butait sur presque chaque mot, bredouillait, hésitait, car en fait il récitait de tête ce discours qui n'était pas totalement de lui : le prêtre de cette paroisse nous avait aidé à l'écrire pour se faire pardonner de n'avoir pu lui-même officier aux obsèques.

"Alors gardons tous cet exemple dans notre mémoire et agissons en conséquences afin que ma fille ne se soit pas sacrifiée en vain."

La cérémonie avait lieu à l'écart de la terre bénite du cimetière et consistait en un rassemblement laïque de proches et de curieux désirant faire leurs adieux à Madeleine.

La petite foule formait un cercle autour du cercueil, qui ne contenait que des fleurs puisqu'aucun corps n'avait été retrouvé en aval du fleuve.

"C'est une douleur de savoir que la Marche a irrémédiablement emporté mon enfant... mais notre liberté chèrement acquise sera son véritable lieu de repos."

La veuve d'Audard était là, tenant la main de sa jeune sœur Maxence.

 On pouvait difficilement manquer cette dernière, qui ce jour-là revêtait un élégant costume noir qui démontrait que Madeleine occupait une très grande place dans son cœur.

Tout comme le vieil aubergiste, Maxence semblait vouloir cacher ses larmes et montrer de la retenue, mais ses yeux débordaient de détresse et de désespoir.

Cependant tout le monde ne pleurait pas : c'est d'ailleurs ainsi qu'on pouvait reconnaître les proches, qui s'émouvaient, des simples curieux, qui écoutaient attentivement le discours ou bien le commentaient à mi-voix.

Moi je me tenais contre un mur de la chapelle, de l'autre côté de la grande haie... du côté de la religion.

Était-ce vraiment là le côté du Ciel ? Pourtant c'était le cercueil vide que bénissait lumière du soleil printanier, et non la chapelle.

Oui, il allait falloir nuancer mes opinions sur ce monde.

J'avais été tout aussi révolté que le père de Madeleine lorsque j'eus appris que ma pauvre amie allait être privée d'obsèques décentes.

"Ils font ça pour qu'on ne se souvienne pas d'elle... et de ce qu'elle a fait. Pour qu'elle ne soit pas un exemple" avait-il dit.

Pauvre petite : elle n'aurait pas de messe à sa mémoire ; pas même une petite stèle dans le cimetière ou dormaient tous ses ancêtres... rien de tout ça pour elle, quelle injustice !

À quelques pas de moi le prêtre observait attentivement cette cérémonie à laquelle il n'avait pu participer, à cause de directives injustes venues d'en-haut.

L'homme regrettait-il ? Se questionnait-il ? Commençait-il à douter ?

Lui et moi nous mêlions aux chimères qui hantaient la bâtisse : pétrifiés, tournés vers l'extérieur, grimaçants.

Il rentra dans sa chapelle dès que le discours prit fin, fuyant les regards... il ne voulait certainement pas voir dans nos yeux le reflet d'un homme qui s'est soumis à l'injustice, un tiède qui a privé une innocente d'un adieu digne.

Madeleine RepentanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant