Chapitre 9

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Célia papillonna des yeux et aperçut Liam bailler de sommeil du coin de l'œil. La fatigue envahissait peu à peu la fillette, tandis qu'elle écoutait le doux son de la voix de sa mère qui contait une histoire :

« ...qu'il découvrit le Meiræv, littéralement « bibliothèque aux mille savoirs » dans une langue oubliée... Notre petit héros s'avançait dans les couloirs de roche de la bibliothèque, et très vite, se perdit. Ce monument extraordinaire du livre était un véritable labyrinthe...

» Aussi merveilleuse qu'elle est, cette bibliothèque mystérieuse qui selon la légende se cacherait au plus profond des Saufs-Conduits, est aussi un terrible piège, une horrible malédiction. Cependant, le petit garçon ne s'en doutait guère, tout insouciant qu'il était. Il avança dans un couloir principal, puis bifurqua dans un autre rayon. A intervalles réguliers, brûlaient quelques torches mourantes, dont la lueur faiblarde révélait à peine quelques mètres à Sam. Il croisa la route d'un bon nombre de cadavres réduits à l'état de squelettes qui avaient dû, comme lui, pénétrer en ce lieu ; et cette vision l'horrifia. Il crût tout d'abord que la soif qui grandissait en lui tel un monstre impitoyable, avait fait miroiter devant ses yeux un mirage, mais il se détourna vite de cette hypothèse. Après deux jours passés à errer dans les rayonnages infinis, Sam comprit qu'il ne pourrait ressortir. La vérité venait d'éclater à ses yeux. Toute personne qui rentrait dans le labyrinthe, submergée par tant de savoir, de connaissance et plus que tout, par la magnificence du lieu, s'y perdait indéfiniment, et finissait par s'égrener en poussière, à cause de la faim, de la soif, du froid et de la fatigue. Seul restait les os, qui, étalés au milieu des corridors de livres, rappelaient le sort funeste qui régnait en ces lieux.

» Cette partie de la légende est commune à toutes les versions que l'on a faite d'elle, mais il en existe une suite qui... »

Au fur et à mesure que Lucia racontait ladite légende, sa voix se faisait distante, lointaine, faible. La tête de Célia était lourde, et elle s'enfonça dans son oreiller. Ses paupières se fermèrent d'elles-mêmes, épuisées par une rude journée, et les ténèbres du sommeil l'accueillirent sans peine, la plongeant dans un univers flou de rêves incertains.

Célia fendait l'obscurité en silence, sa cape flottant sur ses épaules. Comme à l'ordinaire, les ténèbres étaient quasi-totales et les personnes qui circulaient dans les galeries étaient aussi inaudibles et qu'invisibles.

Elle se dirigeait d'un bon pas vers les chutes, où, après son entraînement quotidien, elle avait l'habitude d'aller méditer.
Elle prit une galerie bien dissimulée dans la roche qu'elle remonta d'un pas vif, avant de tourner à droite. Elle enchaîna deux autres virages, toujours en silence.
Soudain, quelque chose la dérangea dans ce silence. Il avait quelque chose de trop... Silencieux.
Très contradictoire, n'est-ce pas ?
Un frisson glacé descendit le long de sa colonne vertébrale, et elle hâta le pas. Elle avait un mauvais pressentiment, et décidément, quelque chose n'allait pas.
Elle évita une flaque d'eau, tous ses sens en éveils. L'eau ruisselait le long des parois. Au loin, une cape bruissait et elle percevait à peine le faible crépitement d'une torche. Un discret courant d'air passait dans la galerie en sifflant contre la roche.
Célia faillit piler net. Un courant d'air ?!
Elle plongea au sol juste à temps : un trait fila à toute vitesse au-dessus d'elle. Elle bondit sur ses pieds et se plaqua contre le mur de gauche en silence, esquivant un autre carreau d'arbalète.
Pourquoi cherchait-on à la tuer, bon sang ?!
Le trouble et la panique s'empèrent d'elle, mais elle eut l'heureux réflexe de ne pas bouger et de retenir sa respiration.
Un silence de mort planait à présent sur le tunnel. Dans l'obscurité totale, son assassin aussi avait perdu sa trace, Célia et lui ne pouvant que se repérer à l'ouïe.
Le cœur de la fillette tambourinait dans sa poitrine et elle craignit que le tireur à l'arbalète tapit dans l'ombre ne puisse l'entendre. Cela faisait beau quatre années qu'elle s'entrainait au combat un peu moins de six heures sur les quatorze qu'elle passait éveillée - sa mère était intransigeante au sujet de ses heures de sommeil - elle se rendait compte qu'en situation réelle, elle était à deux doigts de perdre tous ses moyens.

Clic.

Célia tourna vivement la tête, et silencieuse comme un oiseau qui plane au dessus de sa proie, elle bondit dans les airs, droit sur son adversaire. Qu'est-ce qui lui avait pris de le provoquer ? S'il l'entendait, elle était fichue. Ce « clic » était en réalité le bruit d'une arbalète qui s'arme, et un seul carreau pourrait la transpercer de part en part, en répandant tous ses boyaux sur le sol.

Son pied s'abattit violemment sur la face de l'homme et celui-ci s'effondra. Célia roula au sol et voulut se relever, mais un violent coup de point vint la cueillir à l'estomac. Elle fut projetée contre la paroi de la galerie et son cri se bloqua dans sa gorge. Elle s'effondra au sol en suffoquant et s'éloigna de quelques mètres en rampant.

Mais qu'est-ce qui lui avait prit d'attaquer cet homme ! Avait-elle jamais eut une chance contre lui, si minime soit-elle ? Elle se releva malgré la douleur qui étourdissait ses sens et se mit à courir. Vu la violence et la rapidité du coup de poing de son attaquant, malgré la douleur qu'avait dû infliger le coup de pied qu'elle lui avait porté, son agresseur l'avait envoyé s'écraser contre le mur telle une poupée de chiffon, son dos en témoignait encore. Sa force semblait être considérable, et elle ne pourrait gagner un combat contre lui.

Même armée, elle n'aurait que peu de chances. Il avait une arbalète et il lui suffisait que d'un trait pour la tuer.

Elle redoubla l'allure lorsqu'un carreau frôla son oreille traçant un sillon de sang dans sa chair. Elle plaqua une main sur sa bouche pour retenir un gémissement et bifurqua dans un tunnel adjacent. Hélas, son assaillant avant anticipé son mouvement et un autre trait lui entailla la jambe, délogeant un morceau de chair.

Célia ne put retenir un hurlement et s'écroula au sol. Sa tête lui tournait. Elle rampa dans une flaque tandis que son souffle se fit désordonné et haletant. La douleur lui vrillait le crâne. Se cacher, elle devait absolument se cacher !

Elle se plaqua contre la roche et se força à ralentir sa respiration. Elle sentait le sang couler de sa plaie et se répandre sur le sol, embrasant au passage sa jambe de douleur. Elle s'enfonça dans un renfoncement, et écouta les bruits alentours, de nouveau silencieuse, des larmes de douleur ruisselant sur son visage.

Des bruits de pas lents et réguliers résonnaient dans la galerie. Son meurtrier ne se cachait plus, il savait que sa victime n'avait plus aucune chance de lui échapper.

Célia réprima un sanglot. Il n'y avait personne pour la sauver. Elle allait mourir, sans jamais avoir eu le temps de venger son père.

Les pas continuèrent un bref instant puis s'arrêtèrent, tout proche. Célia frissonna. Qu'attendait-il pour lui ôter la vie ?

Soudain, un chuintement métallique suivit du gargouillis caractéristique d'une dague perforant une jugulaire s'éleva dans l'air comme un cri d'agonie et de douleur profonde.

HawkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant