Chapitre 23

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Tout en prenant son petit déjeuner, Célia fit donc une rapide liste d'hypothèses.

Un, son frère se cachait quelque part, ou il s'était perdu et n'arrivait pas à retrouver son chemin.

Deux, son cadavre gisait dans un coin.

Trois, les Black-Ghosts l'avaient tué, et avaient balancé son corps dans une fosse commune.

Quatre, il s'était fait happé par la rivière et était mort.

Cinq, les Black-Ghosts l'avaient kidnappé.

La fillette savait qu'elle devait impérativement commencer par l'hypothèse numéro trois, et, cette hypothèse, qui rappelons-le, prétendait que son frère, excusez l'erreur, son cadavre, avait été jeté dans une fosse commune, ne l'enchantait, évidemment, pas du tout. Mais elle devait reconnaître cependant que plus elle attendrait, plus il serait difficile de le trouver et de le reconnaître sous une pile de corps gonflés.

Célia avala la fin de son petit déjeuner puis déglutit longuement, les lèvres pincées de dégoût, rechignant à effectuer cette hideuse tâche, à savoir ratisser les très peu glorieuses nécropoles des Saufs-Conduits. Tout d'abord, cette troisième hypothèse laissait supposer et rendait implacable le fait que son frère fût mort, et cela la fit pâlir. Secondement, la deuxième raison qui la faisait frémir était que cette conjecture admettait aussi le fait qu'elle allait devoir fouiller des fosses communes. Infestées de microbes. Truffées d'insectes. Dans une odeur empestée. Au milieu de cadavres. Gonflés. Raidis par la mort. En décomposition. Pourris. Ouv...

Elle se leva brusquement pour interrompre le fil de ses pensées. Elle risquait fort de « dégobiller » sinon, tant cette idée l'écœurait d'avance, mais elle n'avait pas le choix.

La jeune fille partit fouiner dans l'unique coffre de la maison, et dû se battre quelques minutes avec les multiples étoffes et jouets qui y gisaient avant de pouvoir en extraire une pile de vieux vêtements. Il était hors de question de salir ses habits en cuir avec du sang et de la chaire pourrie. Elle se déshabilla et revêtit donc un pantalon de toile rêche et dure, qui devait avoir appartenu à son père. Faire les ourlets pour ne pas marcher sur le tissu à chaque pas lui pris de longues secondes.

Elle prit ensuite un tee-shirt du même textile mais qui était trop court pour elle et qu'elle aurait dû passer à Liam. Cependant, les manches s'arrêtant un demi-pouce au-dessus des poignets ne causaient pas trop de soucis, car elle venait de trouver une paire de gants en plastique rose qui remontaient jusqu'au coude.

Rassemblant ses cheveux blonds en chignon, la petite fille songea qu'il était drôle qu'ils eussent une paire de gants en plastique. A quoi pouvaient-ils bien servir ? Et puis le plastique était rare dans les souterrains, tout de même... Elle se fit aussi la réflexion qu'employer le pronom « ils » n'avait plus aucun sens, et elle sentit son cœur se serrer. Pour éviter de trop y penser, elle réfléchit à la question des chaussures. Elle n'en avait qu'une paire, et c'était ses bottes en cuir. Elle dû donc consentir à sacrifier ses anciennes bottes qui, une fois enfilées, lui comprimèrent les orteils. De toute façon, à présent, ces chaussures ne pouvaient plus guère servir qu'à cela : un sacrifice. A l'aide de deux élastiques, elle finalisa sa tenue en les passant autour de ses bras fins, qui sinon n'étaient pas complètement plaqués contre les gants roses, et les interstices auraient pu laisser filtrer quelques insectes ou autre. Il fallait espérer que cela suffirait contre les maladies, car elle ne pouvait se permettre de tomber malade.

Quelques instants plus tard, la jeune fille sortait de la maison dans son nouvel accoutrement. Poignards à la ceinture, regard vacillant et pas résolus, elle se dirigea vers la fosse commune principale des Saufs-Conduits, qui devait faire, d'après un vieux conte que lui avait raconté sa mère, la taille d'un stade foot. Curieux sport, d'ailleurs, d'après ses souvenirs du conte.

HawkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant