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Nous nous allongeâmes dans la chaleur des draps, contre la brûlure de nos peaux. Haletants, transpirants, submergés, un peu sonnés.

La pluie continuait de battre contre les carreaux et emplissait la pièce de ses bruits sourds et réguliers.

Mes fenêtres encore ouvertes laissaient filtrer les lueurs jaunâtres des réverbères. Il y avait quelque chose dans l'air, quelque chose qui m'apaisait, et que je n'aurais pas su décrire. Mais aussi une espèce de tension, sensation indéfinissable.

Dans la semi-obscurité, je l'observais. Sa tête dans le creux de mon épaule, il fixait le plafond de ses pupilles encore dilatées.

Je posai ma main sur son crâne, il sursauta. Et sans prévenir, il s'échappa de mes bras.

- Ne te force pas à être affectueux. Ça n'a pas de sens.

Sa voix rauque me fit frissonner.
J'étais obnubilé par ce timbre si unique, qui ne ressemblait à aucun autre. Et cette façon dont ses lèvres se mouvaient pour former chaque syllabe. Je voulais l'entendre encore, le faire parler, que quelques-uns de ses précieux mots franchissent à nouveau ces lèvres que j'avais malmené.

- Ce que t'as pris au bar, c'était quoi ? Demandai-je, même si je connaissais la réponse.

Il ramena ses mains à son visage, se frotta les yeux de ses mains longilignes. Je me balançai sur le côté, et m'appuyai de mon coude, ma joue reposant sur ma paume.

- Cocaïne. Il répondit, un peu sèchement, entre les dents.

- Et ça te fait quoi ?

- Tu prends ton meilleur orgasme, tu le multiplies par mille, et encore t'es très loin du compte.

Il me fascinait. Il m'effrayait aussi.
Non, il capturait ma conscience, tous mes sens, peu à peu, sournoisement.

- Je vais m'en aller. Souffla-t-il, au beau milieu du mutisme qui s'était installé.

Il se redressa, balançant ses jambes par-dessus le lit. Je paniquai.

- Non ! Hm, enfin... non, s'il te plaît, reste encore un peu.

Et je prenais enfin conscience de ce qu'il se passait.

J'avais oublié le monde.

J'avais oublié cette vie, ces heures, qui continuaient de s'écouler autour de nous. Et je reprenais ma douleur vive en plein visage. J'eus dû être pitoyable, tenant les draps sur mon corps nu, à moitié levé, une main désespérément tendue vers lui.

Je devais vraiment l'être, puisqu'il me toisa quelques secondes, les sourcils froncés, et une incompréhension affichée sur son visage émacié.

- C'est quoi ton délire ? Marmonna-t-il. Je ne reste jamais.

Mon cœur commençait à s'emballer. J'allais me retrouver seul, dans ce taudis, avec pour seule compagnie mes lamentations.
Mais bien au-delà de cela, j'avais l'impression de souhaiter retenir de la fumée entre mes doigts. Et que s'il franchissait le seuil de notre nuit, je le perdrais à tout jamais.

Un papillon de nuit. Éphémère.

Non, c'est vrai, je ne le connaissais pas.
Et justement, je voulais tout connaître.

Et qu'importe la façon dont je tournais et retournais cette stupide idée, la même conclusion s'imposait. Je le voulais, spontanément, candidement.

Il me regarda, la tête légèrement penchée sur le côté. Puis il se mit debout dans un craquement de parquet.

- S'il te plaît ... Le suppliai-je presque.

Il me tourna le dos, et se dirigea vers la porte, prenant au passage les vêtements qui gisaient au sol.

Je me souviens de cette sensation, inoubliable, que quelque chose tombe au fond de moi. La lourdeur du cœur, le pincement, le vide.

Je le suivi de mes yeux embués, quand j'aperçus sa silhouette dévêtue chanceler.
L'instant suivant, il tomba à genoux dans un bruit mat.

Je lâchai les draps et me précipitai. Sa tête était baissée sur ses mains qui griffait le parquet.

- Tu ne peux pas partir, tu n'en es pas capable... Reste.

Je soufflai ces mots contre sa nuque, autant pour lui que pour moi-même. Et ça me rassurai.

Il ne répondit rien quand je le soulevai par la taille pour le ramener vers le couchage.

Il ne pipa mot non plus quand je l'allongeai sous les draps et laissai reposer son fragile visage contre mon torse tiède.

Et le silence perdura, jusqu'à ce que la nuit nous enveloppe de sa quiétude.

~

Il avait fallu d'une nuit.

"Blanchit devant
ce grand ciel noir
Tout devient vite dés-illusoire
Affalé, j'oublie."


t r a n s c e n d  •  Kth  ◦  JjkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant