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Le soir suivant, comme toutes les fois où j'avais dû sortir pour nous ravitailler, j'avais attendu qu'il tombe dans un sommeil inévitable. À bout, éreinté, il sommeillait alors durant quelques heures, et m'offrait donc le répit nécessaire.

La nuit tombée, je m'étais donc rendu dans les environs de ce bar pittoresque.

La soirée battait son plein, les rues étaient noires de monde, noires de cette jeunesse en perdition. Il y avait ces filles qui n'avaient pas froid aux yeux, leur tenue indécente, et ces gars ivres qui leur tournaient autours tels des satellites. Il y avait ces odeurs nauséabondes de fumée âcre, de transpiration, et d'autres plus douteuses. Il y avait ces basses lourdes qui frappaient les tympans, et cette euphorie ambiante qui ne m'atteignait pas.

Et bien que j'eus ce tableau sous les yeux, je ne savais par où commencer. Aurais-je dû aborder le premier venu, au risque qu'il se méprenne s'il n'avait pas ce que je cherchais ? Ou bien y-avait-il un code pour se faire reconnaître des dealers ? Des heures spéciales ? Une tenue particulière ?

Je décidais de rester en retrait, à l'ombre d'une ruelle attenante, observant minutieusement la foule d'individus.

Un homme, d'une trentaine d'année, finit par attirer mon attention.
En effet, il était seul, et jetait des regards furtifs autours de lui de temps à autre. Pensant qu'il attendait peut-être des amis, je continuais de l'observer. C'est une vingtaine de minutes plus tard que mes soupçons furent confirmés. Un jeune garçon vint le voir, et subrepticement, ils échangèrent quelque chose de visiblement très petit. J'eus juste le temps de voir furtivement la couleur d'un billet, puis le jeune homme reparti aussi rapidement qu'il était venu. L'homme s'appuya à nouveau contre le mur de brique, les mains dans les poches, regardant autour de lui de façon circulaire.

J'avais trouvé. Et désormais, il me fallait agir.

D'une démarche la plus naturelle possible, j'avançai à travers la foule. Enfin, j'arrivai devant l'homme qui se devait de m'aider.

Il me toisa, mi curieux, mi soupçonneux, puis s'adressa à moi à voix basse. Le bruit ambiant était tel, que je dû presque lire sur ses lèvres.

- C'est pour quoi ?

- Héroïne. Répondis-je, tentant de masquer mon hésitation.

Il plissa les yeux, perplexe.

- C'est pour une première fois ?

- Non.

- Tu ne sembles pas être héroïnomane.

- C'est pour un ami.

Je retenais mon souffle. Allait-il refuser ? Étais-je, par malchance, tombé sur un "dealer honnête" ?

- S'il t'envoie à sa place, c'est qu'il ne doit pas être beau à voir. Je me trompe ?

Je restais silencieux, ne voulant pas me trahir. A ce moment-là, il avait sûrement lu cette détresse dans mon regard, puisqu'il soupira en faisant claquer sa langue contre son palais.

- Tu sais, des cas comme toi j'en vois tous les jours. Alors tu ne vas pas me la faire.

- Aidez-moi... Soufflai-je, le cœur tambourinant contre mes côtes.

Il me scruta quelques secondes, puis acquiesça doucement.

- Le premier jour, tu lui donne la dose maximale. Le jour suivant tu diminues légèrement. Ainsi de suite, jusqu'à finir à l'eau. Compris ?

J'hochai fébrilement la tête.

- Pour les seringues, je t'en donne un sachet d'avance, mais t'en trouveras facilement sous-vide en pharmacie.

Il me glissa deux sachets opaques entre les doigts, que je me dépêchais de fourrer à l'intérieur de ma veste.

Il me tapota l'avant-bras pour que je le regarde, puis formula silencieusement le montant de mon achat. C'était aussi cher que je l'avais redouté. Je lui tendis les billets que j'avais préalablement préparé en plusieurs rouleaux distincts, il les fourra dans la poche de son jean à la hâte.

- Bon, alors bonne chance !

- Merci... Marmonnais-je.

- Salut ! Lança-t-il tandis que je faisais demi-tour.

Je m'éloignai.

Les sons s'étaient estompés, le bruit des discussions se fit lointain, le vent s'était levé.

Je marchais à pas rapide sur les pavés mouillés, le cœur battant si fort contre mes côtes qu'il semblait vouloir s'échapper. Je me sentais coupable, blâmable, honteux.

J'allais, moi-même, lui faire consommer cette chose infâme. Lui administrer la cause de ses douleurs.

Tout ce contre quoi je me battais, j'allais finalement et docilement le lui donner de mon plein gré.

~

C'était peut-être

notre dernière

chance.

t r a n s c e n d  •  Kth  ◦  JjkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant