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J'étais en colère.

Contre lui, contre moi, contre eux, contre le monde entier.

Ils l'emmenèrent hors de ma vue. J'en devins presque fou.

Son corps inerte stagnait dans mon esprit, comme le flash d'un appareil photo qui s'imprégnerait trop longtemps sur nos pupilles.

Un homme vêtu de blanc me posa quelques questions dont je ne comprenais qu'à demi le sens. Et même si j'avais pu parvenir à m'exprimer, je n'aurais su y répondre.

Je ne connaissais rien de lui.
Ni son âge, ni son nom, ni sa situation.
Et j'en avais honte.

L'homme me proposa de l'accompagner, j'acceptai sans hésiter.

L'ambulance roula à toute vitesse sur l'asphalte, sur le fil de cette nuit qui avait viré au drame.

Je me tenais à ses côtés, mes doigts dans ses cheveux, à défaut de ne pouvoir saisir ses mains prisonnières d'une fine couverture argentée.

Nous finîmes par atteindre les urgences, bruyantes, grouillant de monde.

J'observai ce ballet tragique, ces allées et venues de tous côtés et en tous sens. Les pleurs, les cris, la souffrance palpable au sein de ces murs immaculés.

Ils poussèrent le brancard au milieu du tumulte, je tentai de suivre le mouvement. Nous arrivâmes enfin devant une porte battante, et m'intimèrent de rester en retrait.

Je voulu forcer le passage, on me repoussa sèchement, je me résignais.

Et là fut la pire des attentes. Dans l'ignorance de ce qu'il pouvait se passer par-delà cette porte froide.

Je ne saurais dire combien de temps j'étais resté ainsi. Mais j'avais eu le temps de ressasser encore et encore ma stupidité, de faire revivre les images vives dans mon esprit des dizaines de fois. Je revoyais son visage, ses yeux révulsés, son corps tremblant, aussi nettement que s'il se trouvait encore sous mes yeux.

C'était un cauchemar.
Aussi net que le précédent l'eût été. Celui auquel j'avais tant cherché à échapper au travers de ce regard sombre dans le coin d'un bar insalubre.

Mais je ne pensais plus à mes anciennes souffrances, seule l'actuelle me tourmentait.

Et j'avais beau chercher l'explication de ce soudain engouement, rien ne m'éclairait.

Pourquoi lui, précisément ? Pourquoi seules quelques heures en sa présence m'avaient rendu tant dépendant ?

Pourquoi ?

Parce que le monde ne tourne pas rond, et moi non plus.

J'étais candide, sortant tout juste d'une jeunesse peu flamboyante. Et peut-être qu'il y avait ce vide en moi que rien ne pouvait combler. Fils indigne d'une mère qui s'était ôté la vie, parce que je n'avais su l'éviter. Passager d'un monde où je n'avais rien fait d'autre qu'observer à distance.

Il était apparu inopinément, ce jeune homme à la peau hâlée, avec ses faiblesses, ses blessures, son regard désenchanté.

Et ce jour-là, dans le brouhaha des urgences, vacillant sur le fil de la vie, il avait eu besoin de moi.

Et j'avais été là.

Affalé contre un mur, je gardai le visage couvert de mes mains encore tremblantes. Puis quelqu'un m'appela, je me relevai.

- Monsieur, nous n'avons pas pu joindre sa famille. Souhaitez-vous vous porter garant du patient ?

J'acquiesçai, puis il me regarda avec gravité.

- Nous avons un problème... Ce jeune homme n'est couvert par aucune assurance... À son réveil, malheureusement, nous ne pourrons le garder dans l'établissement.

Cette nouvelle changea tout.

C'était là, juste à ce moment précis, que ma vie avait basculé. Irrémédiablement.

- Je m'en occuperais.

~

Et souhaiter,
par-dessus tout,
le préserver du mal.

t r a n s c e n d  •  Kth  ◦  JjkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant