Sybille (Chapitre 32)

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Dans la rue, des milliers d'enfants de tout âge se dirigeaient vers un même point au sud de la plus vieille capitale de la planète Astra où ils habitaient.

Ivy. Dont il ne restait déjà plus tant de choses... La plupart des tours étaient au moins à moitié détruites et les arbres gigantesques calcinés, pour certains encore fumants.

Lorsqu'une nouvelle bombe incendiaire parvenait à traverser le bouclier magnétique, tout un quartier de la ville s'embrasait soudain sans que les habitants aient seulement le temps de fuir.

Sibylle se retourna vers les deux gardes en même temps que Rodolphe, la main toujours serrée sur celle de Cyndie.

-Au revoir...

L'homme et la femme répondirent d'une même voix :

-Adieu. Prenez soin de nos enfants.

Et ils se détournèrent. Sibylle et Rodolphe échangèrent un coup d'œil, la gorge un peu plus serrée tout à coup. C'était maintenant que le plan débutait, maintenant qu'ils allaient commencer à se cacher, à s'organiser...

Alors ils commencèrent à s'avancer dans l'avenue principale de la ville envahie de milliers d'enfants, certains pleurant, d'autres criant aussi...

Des adultes, indénombrables, s'étaient postés sur les côtés de la rue immense et regardaient partir sans rien dire leurs enfants.

Le plan 439. Tout le monde ne savait pas en quoi il consistait exactement, une grande partie en était restée secrète le plus longtemps possible avant d'être confiée à certains enfants, mais tous connaissaient la signification de ce départ : Astra n'avait plus aucune chance.

Sibylle marchait depuis déjà dix minutes, les yeux troubles et la gorge brûlante à cause des larmes qu'elle ravalait sans cesse lorsqu'une femme l'arrêta : elle tenait dans ses bras un bébé de quelques mois. Tatoué comme les autres dès sa naissance...

La mère le tendait à l'adolescente sans rien dire, se contentant d'attendre que celle-ci le prenne sans manifester la violente émotion qui l'étreignait.

Mais lorsque les bras de Sibylle se refermèrent par réflexe sur le bébé, alors la mère murmura :

-Prenez-en soin.

Puis elle se sauva dans la foule en faisant précipitamment demi-tour, ne supportant pas de voir son enfant la quitter pour toujours...

Personne n'était obligé de descendre dans les souterrains. Mais c'était la dernière chance pour tous ceux qui aimaient leurs fils et filles... Et très peu d'adultes tentaient de s'infiltrer. Tout le monde sentait confusément que pour les sauver eux, il fallait se sacrifier...

Et les joues de Sibylle étaient rouges tandis qu'elle se remettait à marcher dans l'immense colonne et le bébé dans les bras, hantée par tous les regards posés sur elle de tous ceux qui acceptaient la mort pour eux.

Rodolphe attrapa la main de Cyndie qu'elle ne pouvait plus tenir et ils marchèrent ainsi quelques minutes qui parurent durer des siècles en silence.

Puis le jeune homme murmura :

-Les souterrains... Oncle Saedor prévoyait de nous y envoyer un an en avance pour que l'on se prépare bien, que l'on s'entraîne... Peut-être que d'ici là ils trouveront une solution ?

Sibylle lut dans le regard de son frère le même terrible espoir que celui qui étreignait son cœur. Elle hocha la tête et murmura sans y croire pourtant :

-Peut-être bien... C'est... C'est toujours possible.

L'adolescente resserra ses bras sur le bébé qu'elle portait tout en baissant les yeux vers le sol. Ils étaient maintenant au milieu de l'immense foule des enfants d'Ivy et elle sentait au plus profond d'elle-même sa peur, sa tristesse et sa colère.

Elle releva cependant rapidement les yeux pour ne pas perdre de vue son frère. Elle avait toujours apprécié de pouvoir s'appuyer sur lui, le suivre... L'adolescente se demandait souvent comment il portait la lourde charge qui pesait sur lui : celle d'empereur, quoi qu'il veuille par ailleurs.

Jamais la jeune fille n'aurait pu le supporter pour sa part et elle savait que Rodolphe parfois baissait les bras, gagné par une peur de ne pas être à la hauteur qui le rongeait sans qu'il voulut cependant la partager avec elle...

Le pire c'était probablement lorsqu'il ne parvenait pas à garder le contrôle des mutations... Il s'en voulait tellement après ! Tant de choses dépendaient aujourd'hui de ce qu'ils seraient capables de faire tous les deux...

Un léger vent soufflait dans l'avenue, effleurant ses cheveux longs et elle songea tout à coup que la première chose qu'elle ferait une fois dans les souterrains serait de les couper courts en carré. Elle voulait oublier tout ce qu'elle abandonnait derrière elle...

Aucun des enfants ne parlait plus maintenant, pas plus que les adultes sur les côtés de l'immense rue.

Le silence avait quelque chose de curieusement assourdissant et était chargé de tant d'émotions violentes que Sibylle était certaine que jamais les enfants en âge de se souvenir ne pourraient oublier ce qui s'était passé ce jour-là...

La jeune princesse vit alors apparaître devant eux l'entrée du souterrain. Elle barrait la rue dans toute sa largeur et tout un pan de la route avait disparu, soulevé par des machines de guerre, et des milliers d'adolescents s'engouffraient sans se retourner dans l'ouverture...

Rodolphe marqua un léger ralentissement mais suivit ensuite Sibylle qui n'avait pas changé d'allure. Elle serrait toujours contre elle le bébé confié par une inconnue tandis que le jeune homme entraînait avec lui Cyndie apeurée.

L'adolescente sentit bientôt sous ses pas la première marche et commença à descendre en suivant les autres, s'enfonçant dans l'endroit bétonné, en risquant un dernier regard vers le ciel gris avant longtemps.

Rodolphe et elle descendirent ainsi des centaines de marches avec les deux enfants sans s'arrêter, se laissant guider par la foule. Chacun des jeunes présents connaissait par cœur l'étage où ils devaient s'arrêter... les trop petits seraient repartis ensuite entre les étages.

Pas grand-chose n'était électrifié ici (en tout cas pas les moyens de locomotion) de peur d'une panne, et Sibylle comme Rodolphe mirent bien deux heures à atteindre leur étage en suivant les marches de pierre régulières.

La jeune fille ferma les yeux en arrivant à l'endroit qui, pour au moins plus d'un an à priori, allait devenir sa maison.

À la fin de cette journée les immenses portes bétonnées du souterrains seraient refermées et plus personne ne pourrait entrer ni sortir.

Un vrai piège à rat... Seuls des personnes de l'extérieur pourraient rouvrir les souterrains. Une idée qui terrorisait autant Sibylle que Rodolphe. Qui verraient-ils arriver dans plus d'un an lorsqu'Astra tomberait ?

Des assassins ? Ou comme l'espérait Saedor, oh si faible espoir !, la vie ?

***

Lorsque Sibylle se réveilla le lendemain matin dans son dortoir, elle ne se souvenait pas de ses rêves de la nuit.

Les seules choses que remarqua la jeune fille en s'habillant furent que ses blessures allaient mieux, et qu'elle était inexplicablement horriblement triste.

Heureusement au petit déjeuner avant de partir rejoindre la cabine de transport, Heather et Zarine la firent rire aux éclats et ne risquèrent aucune autre question sur ses blessures après avoir essuyé un "non, désolé"... Que Carlys connaisse tous ses secrets était largement suffisant. Le plan 439 passait avant tout...

Les enfants d'Astra T1 [SOUS CONTRAT D'EDITION] & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant