Sibylle (Chapitre 94)

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Sortir de l'appartement était une folie mais Sibylle n'avait pas laissé le choix aux enfants d'Astra chargés de leur surveillance.

Rodolphe n'avait pas pu obtenir de l'accompagner mais elle, qui n'était que la sœur de l'empereur, avait eu la joie de pouvoir sortir dans la rue goutter l'air frais qui avait soufflé sur son visage, la détendant légèrement des derniers jours.

Par mesure de précaution elle portait un vieux chapeau informe enfoncé sur la tête, une grosse écharpe qui cachait ses cheveux courts caractéristiques et une paire de lunettes sombres derrière laquelle elle pouvait cacher ses yeux gris reconnaissables.

Un vieil imper achevait de la camoufler de même qu'un pantalon passe-partout qui ne ressemblait en rien à ses tenues soignées habituelles.

Deux jeunes gens de son âge l'encadraient, un garçon et une fille dont elle ne connaissait même pas les noms.

— Où nous entraînez vous majesté ? Nous ne devons pas trop nous éloigner...

— Je le sais. Je vais juste deux rues plus loin... Vous savez, au centre du parc Rell ?

Il y eut un grand moment de silence mais Sibylle n'en tint pas compte, enfonçant ses mains dans ses poches malgré la douleur qui ne la lâchait jamais et accélérant le pas.

La fille aux cheveux auburn la suivit plus vite que le garçon tandis qu'ils traversaient la grande rue exclusivement piétonne avec la pénurie toujours présente des aéronefs.

— Vous allez voir la tombe d'Heather Quarant !...

Un léger tic agita la joue gauche de Sibylle. Elle s'était juré il y avait déjà au moins dix jours que plus personne ne la surprendrait jamais à pleurer...

Comment imaginer que c'était bien sa meilleure amie d'hier, la jolie blonde qui riait aux éclats avec elle et Carlys qui était morte ? Lorsque la jeune princesse l'avait appris à la télévision, elle s'était dit qu'il n'y avait aucune justice.

Heather... Si douce, enjouée et généreuse ! Dont la seule complication était ce secret qui la remplissait de honte et de colère, celui d'avoir été dans les prisons d'Astra et de n'avoir aucun rôle dans le plan 439...

Ne pas pleurer. C'était une promesse.

Le parc s'ouvrait deux rues plus loin mais Sibylle fit un léger détour pour prendre à gauche, sachant qu'il y avait par là une autre entrée.

Le garçon, Pierrick, lui cria :

— Pourquoi ce détour ?

Elle lui lança un coup d'œil qui devait refléter sa tristesse inférieure car il ajouta de lui-même :

— Non, ne vous inquiétez pas, laissez tomber ma question.

Il y avait peu de passants à l'heure matinale qu'ils avaient choisis d'un commun accord pour la sortie de Sibylle et ils pouvaient parler sans crainte à priori même s'ils restaient tous trois extrêmement méfiants.

La fille ne lâchait pas son sac à dos qui contenait, la princesse le savait, plusieurs armes très dangereuse au cas où.

Mais elle se décida soudain sans savoir pourquoi à répondre au garçon.

— J'ai fais une recherche sur les écrans. Pas le mien bien sûr puisque j'ai dû le déconnecter pour ne plus être géo-localisable, mais sur celui de Ralph. Il y a un petit stand où l'on peut acheter des fleurs par là...

Ni l'un ni l'autre ne dire plus rien lorsqu'elle détourna la tête, s'efforçant d'évacuer sa douleur aussi bien physique que morale sans y parvenir pour gagner le bout de la large rue.

Un petit étal semblait les attendre en effet. Il était tenu par une vieille femme au sourire jovial mais édenté. Elle n'avait a priori pas les moyens de faire les soins d'esthétique minimaux.

— Bonjour mes mignons ! Que puis-je pour vous ?

Sibylle s'avança pour regarder les différentes bottes de fleur et répondre :

— Je désire vous prendre un bouquet. Des plantes originaires d'Astra s'il vous plaît...

— Oh, c'est pour la jolie statue du parc ma p'tite dame ? Tous les gamins de ton pays m'ont demandé la même chose... Tiens, il y a cette fleur là, mais je n'en ai plus qu'une petite branche.

Sibylle hocha la tête sans répondre et se pencha pour saisir dans ses mains fine la petite branche encore verte, comme à peine cueillie, sur laquelle s'épanouissait quelques fleurs fragiles caractéristiques d'Astra en effet.

Quel déluge d'images et de tristesse la traversa tandis qu'elle retournait la plante entre ses mains sans pouvoir trouver la force de seulement articuler une syllabe ?... Une multitude, toutes sombres et pleine de désolation.

— Pierrick ?

— Oui, je peux t'aider ?

— Paye la fleur s'il te plaît.

Il acquiesça, sachant que son écran n'était plus connecté au réseau bancaire du pays, mais quand il fit mine de s'avancer la vieille secoua la tête négativement.

— Non. Garde ta fleur petite. Tu la connaissais la fille de la statue pas vrai ? Tu as beau ne pas pleurer, tes yeux parlent tu sais... Va, et que le temps t'aide à te consoler...

Il y avait une douceur inexprimable dans la voix de la marchande et les doigts de Sibylle se resserrèrent sur la fine branche de fleurs comme pour que la douleur physique efface celle mentale.

Elle lâcha la gorge serrée en posant son regard sur celui de la femme ridée :

— Merci. Merci du fond du cœur.

Un coup de vent plus fort que les autres souleva alors son écharpe et dénuda un instant sa gorge. La fille qui avait les armes dans son sac, Yonne son prénom était revenu à l'esprit de Sibylle, se précipita pour la remettre en place mais c'était trop tard : la vieille avait vu l'éclat métallique et affichait maintenant des yeux ronds.

— Ils ont dit sur les panneaux que la sœur de l'empereur avait un appareil de métal comme celui-ci...

En deux bonds Yonne fut juste à côté de la vieille et braqua un pistolet menaçant sur sa gorge. Elle demanda en direction de la jeune femme qu'elle devait protéger :

— On fait quoi d'elle avant de se tirer ?

La princesse secoua la tête, d'abord indécise, puis jeta un coup d'œil aux fleurs qu'elle tenait toujours à la main avant de lâcher d'un ton décidé :

— On la laisse tranquille. Elle ne dira rien.

Ses yeux se faisaient en même temps questionneurs et suppliants. Yonne lâcha la vieille avec brusquerie et grimaça tout en obéissant et reculant :

— Mauvaise idée...

Mais la marchande eut alors un simple sourire pour la princesse et murmura :

— Allez déposer vos fleurs. Ce ne sera pas moi qui trahirait une femme qui pleure une amie... Trop de sang a coulé par notre faute à tous, nous autres eriquiens. Allez-y, pour ce jour je fermerai les yeux.

Et Sibylle fut absolument certaine que l'on pouvait lui faire confiance. Elle hocha simplement la tête, devinant que son interlocutrice détesterait toute forme de remerciements et tourna les talons sans tenir compte des regards incertains et débordant d'inquiétude qu'échangèrent Yonne et Pierrick.

De toute façon son évacuation de la ville était prévue pour cette après midi. Mais avant, Sibylle ne pouvait renoncer à sa visite d'adieu à celle qui avait été sa meilleure amie pendant plusieurs mois, la faisant rire, la rendant heureuse avec Carlys et lui faisant découvrir le goût de la joie de ne plus être tout le temps si seule...

Les enfants d'Astra T1 [SOUS CONTRAT D'EDITION] & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant