Saedor (Chapitre 3)

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Il était debout, dans l'antichambre du palais. Il attendait depuis des heures, mais ne disait pas un mot. Lorsqu'enfin la porte s'ouvrit et qu'on l'obligea d'un signe de tête à entrer, il s'exécuta en silence.

Le salon où il pénétra était grand et lumineux mais ressemblait plus à une salle de trône antique avec un gigantesque fauteuil en son centre surélevé qu'à un bureau. Un homme y était assis, et l'observait avec un sourire goguenard. Il demanda :

— Saedor... Si je congédie mes gardes, me jures-tu de ne rien tenter contre moi ?

L'homme savait qu'il ne pouvait rien faire, et l'idée de parler seul à seul avec Orys avait quelque chose de séduisant. Il inclina la tête pour toute réponse et bientôt, après un geste de l'homme sur le trône, la pièce fut déserte à part eux.

Les deux hommes avaient environ le même âge, c'est à dire dans les quarante-cinq ans. Mais la similitude s'arrêtait là. Saedor était vêtu de vêtements déchirés, sombres, ses cheveux étaient sales, tombaient raides sur ses épaules faute d'avoir été coupés par un coiffeur depuis longtemps, tandis que l'autre était aussi élégant que soigné, tout en conservant un air de force qui rehaussait ses traits.

Orys descendit du fauteuil, tandis que Saedor ne bougeait pas, et il demanda en se dirigeant, mains derrière le dos et l'air rêveur vers la fenêtre :

— Où sont tes neveux ? Parmi les enfants d'Astra ?

L'homme en loque ne répondit rien. Seul le frémissement léger de ses lèvres indiqua qu'il avait entendu la question. Orys revint vers lui, perdant tout à coup son air cordial, et cria en s'arrêtant devant lui :

— Nous avons gagné la guerre voilà un mois ! Astra est une planète détruite, incendiée... Et elle nous appartient. Je compte la coloniser d'ici quelques années, lorsque la nature aura réparés en partie...

Alors s'animant soudain, les yeux en feu, Saedor compléta froidement :

—... les dégâts de tes armes chimiques et déloyales. Jamais je ne me serais servi d'armes pareilles contre une population.

Orys haussa un sourcil, avant de lâcher froidement :

— Raison pour laquelle tu as perdu la guerre. Maintenant dis-moi... pour quelle raison as-tu caché tous les enfants d'Astra dans des souterrains ?

— Pour les protéger. Ils étaient en sûreté pendant que sur ton ordre tes soldats tuaient chaque homme qu'ils croisaient...

— Mmm... Permets-moi d'en douter. Tu ne les as pas juste "protégés". Tu les as entraîné pendant un an à la guerre, n'est-ce pas ?

Saedor ne répondit rien. Il repensa à ses deux neveux. Pourvu, pourvu qu'Orys n'ait pas réussi à les trouver... Mais celui-ci reprenait déjà :

— Tu es trop malin... Je voulais qu'il n'y ait plus jamais personne pour pouvoir revendiquer Astra... et voilà que j'ai tous vos enfants, des millions, sur les bras !

L'homme détourna les yeux face au regard du roi. Il répondit enfin :

— C'est l'AM.Erica qui a choisit de les adopter...

— Choisi ! Choisi ? Tu m'as forcé la main ! C'était si fin de ta part d'envoyer à toute la galaxie des vidéos des enfants prisonniers des souterrains, suppliant de ne pas les tuer lorsqu'ils sortiraient... Personne n'a réagit à la mort de chacun des adultes d'Astra, pas une voix ne s'est élevée, n'étions-nous pas les plus forts ? Mais des enfants ! Même ma propre population s'est révoltée. Ces imbéciles ont absolument tenus à les adopter... Comme si on pouvait adopter des enfants pareils ! Ils doivent nous haïr ! Mais sont-ils aveugles... Ils sont quand même prêts à en faire leur propres enfants... La seule chose que j'ai réussi à obtenir du parlement, c'est que les responsables militaires et politiques n'aient pas droit à l'adoption de ces maudits gamins. J'ai gagné la guerre Saedor ! Je ne vais pas laisser tes gamins nous mettre en danger... Alors maintenant, tu vas me dire ce que signifie tous ces tatouages... N'est-ce pas ?

Son regard brillait d'un éclat menaçant mais son prisonnier ne parut pas réagir. Il se contenta de répondre :

— Jamais.

— Alors je torturerai un ou deux gamins...

— Tu ne peux pas, toute l'opinion publique de ton pays te surveille de très près concernant les enfants d'Astra...

— L'opinion publique !

Il esquissa un geste de pure colère avant de se ressaisir. Il savait que Saedor avait raison... Il était coincé. Les enfants étaient-ils aussi dangereux qu'il se l'imaginait ? Quoi qu'il en soit, tout le monde refusait de l'écouter.

L'AM.Erica avait été enchantée de remporter la guerre contre l'alliance défensive d'Astra. Elle n'avait pas bronché pour les massacres perpétués sur Sagan, l'avant-dernière planète conquise. Mais il avait suffit que Saedor sache manier les écrans vidéos pour que la foule prenne en pitié les enfants... Saedor, le dernier adulte en vie d'Astra, le tuteur du futur empereur et de sa sœur...

Peut-être au fond que la population d'AM.Erica avait honte de son comportement ? Orys l'espérait du fond du cœur. Jamais il n'avait voulu cette guerre, ni la façon dont elle s'était faite, quoique qu'il en dise par ailleurs.

Les armes chimiques ? Les massacres ? Le parlement. Le peuple. Ah, ils avaient gagné ! Et maintenant qu'ils l'avaient obligés à faire toutes ces atrocités, ils refusaient la dernière qui pouvait les sauver.

Ils se croyaient hors de danger ? Orys n'avait jamais eut aussi peur que maintenant pour la foule d'AM.Erica. Il était prêt à tout pour défendre son peuple, comme il l'avait juré le jour pas si lointain que ça de son couronnement... Cela l'avait même amené à mettre en avant ses talents de stratège durant la guerre.

Mais cette fois-ci, il ne pouvait rien faire. Il allait devoir, bras croisés, assister impuissant à l'installation dans de nombreux foyers de sa planètes d'enfants dont ils avaient tués les parents...

Mais si encore ce n'était que ça. Non, il y avait pire. Ce tatouage obsédant qu'ils portaient tous sur la peau...

Plan 439. C'était la seule information que ses espions avaient rapportée. Avec le temps, il ferait bien parler un ou deux enfants. Mais Saedor avait du être prudent... Lesquels d'entre eux étaient les chefs ? Car il y avait des chefs, il n'en doutait pas, et une organisation prévue.

Sa seule chance était d'éliminer les enfants d'Astra. Très vite. Pourtant, rien que l'idée suffisait à lui faire tourner la tête et lui remuer les entrailles. Bon sang, il les avait vu en file aujourd'hui dans les rues !

Le visage blafard, les traits tirés, certains pleurant...

Sa fille s'était serrée contre lui, demandant :

— Oh, papa, pourquoi sont-ils tous si malheureux ?

Il n'avait pas pu lui dire que c'était lui qui avait signé le décret ordonnant l'exécution de tous les habitants d'Astra. Après celui concernant Sagan signé par son père.

Non, il n'avait pas pu. En revanche, il lui avait parlé de celui graciant les enfants...

Et elle avait rit, avant de dire :

— Je le savais papa, vous êtes quelqu'un de tellement gentil !

Ça lui avait brisé le cœur. Orys y repensait encore en renvoyant Saedor à sa prison. Ensuite, il ne pensa plus qu'au plan 439...

Les enfants d'Astra T1 [SOUS CONTRAT D'EDITION] & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant