Aileen (Chapitre 21)

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Aileen regarda la porte de la salle de classe d'un air indifférent avant de passer son bras sous le détecteur.

Elle venait de sécher toute la matinée de cours mais cela lui était bien égal... Non, ce qu'elle avait en tête, c'était l'angoissante image de Rodolphe dans la réalité virtuelle et les durs mots de son père...

Lorsque le battant coulissa sur le côté, la jeune fille s'avança pourtant d'une démarche assurée dans la classe et le professeur cessa son cours en la voyant se diriger vers lui.

-Miss d'Erica ! Tu nous fais donc l'honneur de nous rejoindre ?

Elle jeta un coup d'œil à son bracelet-écran et le maudis sincèrement. Le petit appareil -toujours connecté à celui du professeur- indiquait en haut à gauche comme chaque matin : "bonne santé, pas de problème majeur familiaux ou d'ordre médical". Aileen releva alors les yeux vers le professeur et grimaça avant de lâcher :

-Oui j'ai séché, et alors ? Ça ne m'était jamais arrivé depuis mes cinq ans, pardonnez moi donc cette petite fraude !

Et elle tourna les talons sans attendre un mot de plus.

-Aileen ! Excuse-toi... Tout de suite.

Elle se retourna lentement, devinant que tous les élèves retenaient leur souffle, et dévisagea longuement le professeur. Qu'est-ce qui s'agitait au fond d'elle-même ? Une envie de bravade ? Mais une phrase de son père lui revint alors à l'esprit et elle se mordit violemment les lèvres. "Ne te croie jamais supérieure aux autres... car c'est le meilleur moyen pour devenir la dernière de ceux qui méritent le respect, comprends-tu cela ?" Elle avait acquiescé gravement, et Aileen pouvait presque revoir son regard confiant d'enfant alors, et entendre sa réponse "oui papa, promis"... et puis il l'avait serrée contre lui.

Ça paraissait si loin ! Mais la princesse revint alors à la réalité et ce fut après un dur effort qu'elle s'arracha enfin ces mots :

-Désolée. Excusez-moi monsieur...

-Bien, tu peux gagner ta place.

Le professeur lui adressa une grimace qui pouvait passer pour un sourire mais n'insista pas tandis que la jeune fille se dirigeait vers un espace libre près de l'un de ses meilleurs amis et le garçon lui adressa un grand sourire.

-Je me demandais si tu viendrais un jour !

-Bah, tu me connais Joan, je suis une bonne élève.

Il grimaça en jetant instinctivement un coup d'œil à son compteur de points tandis qu'elle s'asseyait. Lui ne dépassait généralement pas les trois-cents crédits par an... Il faut dire qu'il était aussi mauvais qu'indiscipliné. Aileen le connaissait depuis qu'ils avaient quatre ans et elle s'était toujours formidablement entendu avec lui. Ainsi qu'avec Soralie, une jeune fille aux cheveux bruns qui se pencha avec un sourire, assise à la gauche de Joan, pour lancer avec un clin d'œil à la princesse :

-Ttt... ne me dis pas que c'est le beau nouveau qui te met dans cet état ?

Aileen fit mine de lui lancer son sac à la tête -ce qui aurait été plutôt embêtant : il contenait les maquettes à réaliser pour le cours d'aérodynamique- mais ne put s'empêcher d'échanger avec ses deux amis un sourire amusé.

Jusqu'à ce qu'elle entende un rire derrière elle et qu'elle se retourne vivement pour croiser le regard moqueur de Rodolphe.

Il lâcha dans un murmure pour ne pas attirer l'attention du professeur :

-J'espère que je ne suis pas trop déstabilisant.

Aileen oublia ses doutes et son envie de gagner son amitié pour répliquer d'un ton acerbe :

-Un peu trop en effet. Mais pas dans le sens où tu l'entends, tu es juste... insupportable.

Et elle se retourna furieuse vers sa table tandis que Joan et Soralie ne pouvaient s'empêcher de sourire de nouveau, sans montrer le moindre regret.

Mais visiblement les ennuis ne faisaient que commencer. Le professeur la tira en effet de ses pensées pleines de colère en prenant de nouveau la parole :

-Pour le cours de stratégie militaire... Nous allons procéder à des travaux de groupe. Constituez-en moi plusieurs de cinq élèves chacun, d'accord ? Je veux les noms des groupes dans deux minutes.

Aileen, Joan et Soralie, cela faisait trois adolescents. Plus Rodolphe et son amie, Laurie, cinq. La jeune princesse n'était vraiment pas sûre d'aimer l'idée en même temps qu'elle regrettait son emportement des minutes précédentes. Mais comment gagner l'amitié d'un garçon aussi insupportable ?

Elle aurait pu choisir quelqu'un d'autre dans la classe... Elle trouva l'idée séduisante un instant avant de se raviser. Les autres élèves ne parlaient pas sa langue... Pour mener une conversation et obtenir des informations, ce n'était pas vraiment l'idéal.

Ah, s'il n'y avait pas eu tant de pénuries de guerre ! Elle aurait eu des traducteurs alors... Aileen soupira tandis que Joan énonçait à voix haute le nom des élèves du groupe après avoir négocié avec Laurie, Rodolphe gardant le silence à côté.

Pourtant, lorsque ce dernier se pencha vers la jeune princesse, il avait perdu son air agacé et il se contenta de dire avec un sourire :

-S'il faut qu'on se réunisse... Tu as la plus grande "maison" non ?

Rodolphe voyait là son unique chance d'approcher le palais, d'entrer en contact avec l'aînée des princesses, de tenter de réaliser sa mission. Il devait gagner leur confiance, il devait... Gagner l'accès de la flotte de vaisseaux de l'armée.

Une tâche écrasante qui le rongeait comme un lourd fardeau en même temps qu'il se maudissait de n'être pas capable de se maîtriser face à l'insolence d'Aileen.

Ignorant tout de ses pensées, la jeune fille en question ne vit dans sa question qu'une simple curiosité qui l'amusa un instant avant qu'elle ne se rappelle de nouveau les paroles de son père. Redevenant alors sérieuse, elle accepta d'un hochement de tête :

-D'accord, vous viendrez tous au palais...

Soralie éclata d'un joli rire, cristallin, tandis qu'elle disait en croisant ses mains élégamment manucurées sur la table :

-Pfff, je connais par cœur. J'aurais préféré découvrir l'endroit où habite les deux gamins d'Astra...

Rodolphe ne releva même pas, trop préoccupé par la pensée d'avoir à gagner l'amitié d'une des princesses, ou celle d'un de leur frère. Mais il savait que l'idéal serait l'aînée... Comment faire ? Il lui manquait un guide pratique sur la manière de se rendre agréable...

Mais Laurie de son côté ne put résister et elle corrigea d'un ton agacé :

-Nous pas... gameeens...

Qu'elle prononçait mal ces quelques mots ! Un miracle qu'elle eut compris la phrase... Aileen fut soudain prise de pitié pour la fille de son âge et comprit mieux son air renfermé, son mutisme et ses yeux tristes.

Elle n'avait jamais remarqué Laurie mais maintenant il lui sautait aux yeux que l'amie de Rodolphe n'était pas heureuse. Et, en repensant au décors fumant des ruines d'Astra, Aileen eut la gorge trop serrée pour dire le moindre mot. Où était la justice ? Où était-elle vraiment ?

Les enfants d'Astra T1 [SOUS CONTRAT D'EDITION] & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant