Plus profond que l'océan.

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Les craquements résonnaient de façon lugubre. Des battements d'ailes, des ululements, les plaintes terrifiées d'animaux en fuite. La forêt se mourrait et la jeune dryade ne savait que faire.

« Je ne comprends pas ce que vous me demandez, s'exclama-t-elle paniquée, qu'est-ce que je dois vous donner ? »

De grandes branches noircies vinrent à sa rencontre pour lui transmettre un dernier message.

« Tu dois nous offrir ton nom, sœur dryade. »

De la sueur glissait le long de ses tempes, roulant jusqu'à ses joues avec langueur. La nervosité l'envahissait, chaque seconde un peu plus.

« Qu'entendez-vous par offrir ?

- Tu le perdras de ta mémoire, mais nous vivrons plus forts que nous ne l'avons jamais été par le passé. Ton cœur savait en arrivant qu'il te fallait garder un souvenir précieux à nous offrir. Tes oreilles ne pouvaient nous entendre mais ton sang l'a su, sœur dryade. »

Peut-être l'arbre avait-il raison. Toute paranoïaque qu'elle eut été en pénétrant dans ce monde, il n'y avait aucune raison pour la jeune fille de tant craindre de donner son propre nom. Tout semblait être joué à l'avance, elle n'avait jamais eu le choix.

« Est-ce que je pourrais m'en souvenir un jour ? demanda-t-elle dans un souffle de voix.

- Oui, tentèrent-ils de la rassurer. Si tu nous laisses le temps de guérir, nous te le rendrons dans quelques décennies, sœur dryade. »

Des larmes envahirent ses yeux alors que Marie commençait à comprendre ce que cela impliquait. C'était sans doute ce qu'entendait l'arbre par faire quelque chose pour elle. Absorber ses souvenirs pour briser toute possibilité de revenir dans son monde. Si elle ne se souvenait plus de son nom, comment pouvait-elle espérer rentrer chez elle ? Comment supporter de voir le visage de son père prononçant des syllabes qui ne lui seraient en rien familières ?

« Vite, sœur dryade. Nous mourrons. »

Le visage baigné par des larmes salées, sa paume entra en contact avec l'écorce mourante pour y déverser l'énergie qui la sauverait. Une onde de chaleur douce traversa son bras avant d'y laisser une sensation glacée. Les jambes flasques, Marie, s'effondra sur le sol alors que la lueur spectrale de l'arbre rayonnait de nouveau. Les veines de sève brillaient d'un vert éclatant de santé, dardant des reflets tendres sur les gouttes parsemant les joues de la faelienne. Un bruit ressemblant à un soupir d'aise agita la forêt avant que le silence y retrouve sa place.

« Merci, sœur dryade. Dorénavant nous sommes liés à jamais, toute ma force est tienne. »

Mais la jeune fille n'entendait pas. Son esprit dérivait bien loin de l'endroit où elle se trouvait. Des souvenirs fractionnés se battaient dans sa tête pour retrouver un sens perdu. Son père parlant de façon hachurée. Un chat dont les yeux ne reflétaient rien alors qu'elle était penchée face à lui. Une interrogation écrite où elle voyait clairement son stylo bouger mais dont l'encre restait invisible.

Était-ce seulement son nom qu'elle avait égaré ?

« Tu as été sage, sœur dryade. »

La voix de l'arbre s'insinuait au cœur de ses pensées comme un écho lointain.

« En te choisissant un nouveau nom, tu as sauvé une partie de ce qui était rattaché à l'ancien. Tu devras endurer la perte de ton ancien toi seulement quelques décennies. Nous te promettons de tout te rendre lorsque le moment sera venu. »

Vide.

Elle se sentait désespérément vide.

Le cristal bleu se trouvait toujours dans sa main, il était la seule source de chaleur contre son corps recouvert de chair de poule. Il lui rappelait le cristal de lumière dont elle s'était séparée. Tous ses souvenirs d'Eldarya lui revenaient clairement, contrastant avec sa vie d'avant qui se disloquait de plus en plus. La sensation béante qui s'ouvrait en elle devenait insoutenable, il fallait que quelqu'un l'aide à rester entière avant que tout ce qu'elle était ne s'éparpille au gré du vent.

Quand les choses s'écorçent.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant