« Ne vous souciez pas de n'être pas remarqué ; cherchez plutôt à faire quelque chose de remarquable. » — Confucius
Ça va faire maintenant dix-huit ans que maman est morte. Et dix-sept ans que papa est mort. Enfin, cela fera précisément dix-huit et dix-sept ans le douze février exactement. Soit dans trois mois exactement puisque nous sommes le douze novembre. Maman s'est donnée la mort deux jours après notre naissance, et papa le même jour que maman mais un an plus tard. On ne sait pas pourquoi ils se sont tués. À vrai dire, je ne comprends pas : comment des parents peuvent-ils abandonner leurs enfants en bas âge comme ça ?
Cependant, j'ai fait mon deuil. Je sais qu'ils ne reviendront pas, et puis, je ne les ai pas vraiment connus. Je sais aussi que je devrai me débrouiller seul dans la vie, mais cette perspective ne m'effraie pas. Je dis « je » puisque ma sœur ne parvient pas à faire son deuil. Je vis chez ma tante avec elle, et notre tante s'est endettée pour subvenir à nos besoins. C'est pourquoi, dès que j'en ai eu l'âge, j'ai commencé à travailler. Rien de bien méchant, car c'est un petit job tous les vendredis soirs. Ça ne paye pas beaucoup, mais ça nous soulage déjà un peu.
Notre tante nous a inscrit dans le lycée où étaient nos parents. Je ne sais pas si c'est une bonne chose, car les plus vieux professeurs les ont eus en cours, et ils nous reconnaissent. Bien-sûr, ils prennent garde à ne pas nous parler de nos parents devant les autres. Je crois que c'est la seule chose de bien, car je déteste les entendre dire lorsque nous sommes seuls à seuls « Aleksi, tu as les yeux de ta mère et les traits de ton père, et tu as le même tempérament. Tu sais, ton père était un bon élève qui veillait sur ses camarades, etc. ». Je ne veux pas qu'on me parle d'eux. Ils nous ont abandonné, et je ne veux pas en savoir plus. C'est du passé, et il faut avancer.
Flora, elle, adore en savoir plus. Elle questionne sans cesse notre tante et parfois même certains professeurs mais elle n'obtient rien de plus que ce qu'on sait déjà. On ne sait pas pourquoi ils ont mis fin à leurs jours, et c'est bien mieux comme ça. Je ne veux pas rester coincé dans un passé que je n'ai pas vécu et me morfondre sur leur mort. Il y a un moment où il faut accepter les choses telles qu'elles sont et continuer son chemin. Alors oui, nous avons grandi sans père ni mère, oui nous n'avons jamais considéré notre papa comme un super-héros volant à la rescousse de tout le monde, oui nous n'avons jamais vu notre mère comme une princesse, oui nous ne les avons jamais connus, mais nous ne sommes pas malheureux pour autant.
Je me souviens d'un jour à l'école primaire. On parlait, entre copains, de ce que nous allions offrir à notre père pour sa fête. Je devais avoir huit ans tout au plus. Les uns offraient des dessins de super-héros, les autres des cartes faites par leurs soins. Et moi, j'ai dit que j'allais lui offrir des fleurs. Bien-sûr, ils se sont tous moqués de moi, me disant que mon père était efféminé et que je l'étais aussi. Sauf que je n'allais pas lui donner ces fleurs en mains propres, mais les déposer sur sa tombe. Mais ça, je ne l'ai pas dit.
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« Vous allez me faire une anthologie autour des Fleurs du Mal de Baudelaire, déclare M. Carlton, notre professeur de littérature, à l'instant où il rentre dans la salle.
— Tiens donc ! On arrête Milton ? me chuchote Flora
— Du Baudelaire ? s'étonne Daniel, mais il est français ! s'exclame-t-il, avec une mine de dégoût
Le professeur lève les yeux au ciel :
— Était, corrige-t-il, et je te rappelle qu'il est connu internationalement. Il a même inspiré Marilyn Manson.Daniel marmonne qu'il ne sait pas qui est Marilyn Manson et des paroles inintelligibles avant de jeter un regard noir à Astéria. Comme si elle y pouvait quelque chose ! Elle n'y peut rien s'il n'a aucune culture. Tout le monde connaît Marilyn Manson. Je lève les yeux au ciel, exaspéré par son comportement, et je me rends alors compte que ses yeux calculateurs sont fixés sur moi. Il m'observe un petit moment avant de se retourner. Je souffle, me demandant quel sale coup il prépare encore.
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R & J
Teen Fiction« L'Enfer, c'est les autres. » - Jean-Paul Sartre Avez-vous déjà perdu tout espoir ? Vous êtes-vous retrouvé(e) au fond du gouffre ? Avez-vous dû faire semblant ? Vous êtes-vous déjà rendu(e) compte que l'enfer, c'est les autres ? Astéria Redwood...