Chapitre 1

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Marcher le plus discrètement possible, garder la tête baissée et se cacher autant que possible étaient trois actions qui faisaient parties de mon quotidien depuis le plus loin dont je puisse me souvenir.

Se sentir différent des autres est une chose normale à un certain moment de sa vie, mais se le faire rappeler sans cesse par ce que vous considériez comme votre propre peuple, votre famille, n'est pas ce qu'il a de plus réjouissant. Et pourtant, c'est ce que je vis chaque jours de mon existence.

Ne croyez pas que je me pose en victime, je vous explique juste la situation pour la suite.
Mon nom est Machiavel, fils de Meneldil, le seul demi-elfe noir de tout Alfheim ! Je vous passe toutes les insultes dont ma mère – considérée comme une traîtresse, voire une impure pour avoir couchée avec un Nordique pendant la guerre - et moi faisions les éloges.

Voilà pourquoi je me retrouve à rester plaqué contre les parois irrégulières et striées d'eau d'un tunnel annexe de la caverne principale de mon village, évitant de me faire repérer par Dante – mon meilleur ennemi, aussi intelligent que méchant – et sa bande, qui passaient leur temps à me persécuter pour des excuses plus bidons les unes que les autres.

Je soupire après avoir entendu leurs bruits de pas s'éloigner et je m'élance le plus rapidement possible jusqu'à la porte de ma maison, une petite partie de caverne assez éloignée de la place principale sous-terraine.

Je rentre en trombe dans l'entrée et referme brusquement la porte derrière moi pour m'y adosser en soufflant de soulagement.

— Je suis rentré, je m'exclame en avançant dans la pièce, tout en retirant la capuche sombre qui cachait en grande partie le haut de mon visage.

Personne ne me répond. Ma mère devait être encore au travail, en tant que tailleuse de pierres précieuses, un travail physique et minutieux mais qui rapportait suffisamment pour vivre tranquillement, même en tant que reclus.

Je rejoins la petite pièce qui me servait de chambre et m'assois sur mon lit en pierre taillé à même la roche de la grotte, recouvert d'un fin matelas en tissus rêche fourré de paille.

La pièce, peu grande de base, était en partie remplie de livres aux couvertures abîmées disposés un peu partout où il pouvait y avoir de la place, de bouts de parchemins qui coûtaient affreusement chers et d'un petit miroir en verre polie. Je me suis observé dedans : mes yeux, d'un noir charbonneux à l'air de chien battu, passèrent de mes cheveux mi-long corbeaux à mes joues émaciées ; de mon teint plus blanc pâle que gris voire noiraud, jusqu'à mes oreilles aux extrémités pointues, qui rappelaient mes origines elfiques, percées de plusieurs anneaux – une tradition chez les elfes noirs, ils pouvaient servir à montrer la hiérarchie sociale, les distinctions ou tout simplement à représenter l'âge ; j'en avais trois à l'oreille gauche (un tous les cinq ans) de couleurs sombre et un plus gros noir à la droite pour représenter mon statut de paria.

Je soupire à ce constat. J'avais vraiment l'air d'une personne persécutée, même si je ne me dérangeais pas pour rendre les coups et les insultes en double, malgré les lois qui me restreignaient.

Et oui, qui aurait cru que les parias auraient des restrictions sur certaines choses telles que les métiers, certaines sections du village auxquelles nous ne pouvions pas accéder, ou encore même acheter certains produits de première nécessité comme la viande ? J'avais heureusement réussi à apprendre à plutôt bien me démerder avec un arc et Alfheim possédait un dôme forestier pas très loin de notre village, juste derrière un ancien petit volcan aujourd'hui éteint, où vivaient les elfes sylvestres, le peuple le plus pacifique d'Yggdrasil.

Une porte claque au loin, me coupant dans mes pensées, et je me lève pour accueillir ma mère.
  
Contrairement à moi, elle était plus petite – une caractéristique chez les elfes noirs, les plus petits de tous les elfes à force de vivre dans les sous-terrains ou de travailler dans les mines près des volcans –, avait une peau d'un gris sombre tendue entre un menton pointu et fin et des pommettes qui ressortaient, surmontées par deux grand yeux onyx. Ses longs et épais cheveux aussi noirs que les miens étaient attachés en une tresse simple.

Elle me sourit doucement en me voyant et s'assoit sur la chaise en pierre la plus proche, posant le bout de tissu contenant le repas de ce soir sur la table.

Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, moi le premier, ma mère ne m'avais jamais détesté alors que j'étais la cause de ses " soucis relationnels ". J'étais la preuve-même qu'elle avait eu une liaison avec un barbare, un ennemi, plus ou moins consentante d'après elle – mais ce détail, tout le monde n'en avait cure. Et ça se voyait plus que bien que je n'avais rien avoir avec les autres. Je n'étais pas le seul bâtard issu d'un viol et né après la guerre, mais j'étais le seul à ne pas avoir était tué par ma mère ou par sa famille, ses voisins ou les chefs de clans. Et tout ça parce qu'elle m'avait défendu bec et ongles contre les diktats, qu'elle trouvait ridicules, qui étaient de tuer un bébé innocent qui n'avait fait que l'erreur d'être né !
  
Une main caressant la joue avec amour me fait baisser les yeux vers ma mère qui passait ses doigts longs et maigres sur un hématome vieux de trois jours sur le bas de ma mâchoire.

— Je suis heureuse de constater que tu as réussi à éviter tout ennui aujourd'hui, fait-elle pensivement.

Je m'assois à ses côtés en prenant sa main dans la mienne.

— Je te ferai remarquer que ce n'est pas moins qui cherche la bagarre, maman. Je me défends juste quand Dante va trop loin, c'est lui qui a le sang trop chaud.
— Et dire qu'il est issu d'une famille plus que respectable et que c'était un gentil garçon avant, soupire-t-elle. Je suis sûre que ce sont ses parents qui lui ont mis des bêtises sur toi dans la tête, il t'appréciait beaucoup quand vous étiez encore tous petits.
— C'est de l'histoire ancienne, il a changé. Je m'adapte.

Elle opine, le visage mélancolique. Dire qu'elle avait connue une époque heureuse et épanouie avant la guerre... Si je n'étais pas né, se serait-elle mariée avec un elfe de bonne famille, elle aussi, comme toutes ses (anciennes) amies ? Elle aurait été heureuse et non mise à l'écart, limite en marge et...

— Je ne sais pas à quoi tu penses, mais arrête tout de suite. Tu te fais du mal pour rien.
  
Je la regarde droit dans les yeux et eu l'impression que son regard sondait mon âme – peut-être était-ce le cas, nul ne connaissait la réelle étendue des pouvoirs d'une mère sur son enfant.

— Je t'aime de tout mon cœur, mon petit, saches-le. Et quoique tu puisses croire, je n'aurais jamais pu être plus heureuse que je ne le suis aujourd'hui. J'ai un fils bon, honnête et intelligent malgré son caractère têtu, un travail qui me plaît et qui peut nous faire vivre correctement, et une bonne entente avec certains membres du villages, même après avoir critiquée haut et fort nos lois. Alors, par Freyja, arrête de t'en vouloir pour je ne sais quoi ! finit-elle par s'exclamer en se levant pour me prendre dans ses bras.

Je lui rend son étreinte, laissant brièvement couler des larmes que je m'étais obstiné à garder pour moi depuis déjà des années, devant être fort pour ma mère.

Pour nous deux.

MachiavelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant