Chapitre 21

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Il pleuvait beaucoup à l'extérieur. Le vent et la pluie qui tombait en averse faisaient bruisser les feuilles des arbres alentours et dégager une bonne odeur d'humus habituelle. J'avais toujours aimer cette odeur, elle était rarement présente dans mon désert natale. Elle était toujours synonyme de bonne moisson pour mon peuple et ça les rendait moins enclins à être mauvais à l'égard de ma mère et du mien. 
Pendant longtemps, lors des périodes de fortes sécheresses ou quand les plants étaient malades certaines années après ma naissance, les prêtres nous accusaient souvent d'en être la cause, scandant avec engouement que nous avions attiré la colère des dieux, de Freyr, sur eux parce que nous n'étions pas mort ou je ne sais quoi. Ma mère me disait de ne pas les écouter, que ce n'étaient que des racontars qui cherchaient toujours des prétextes pour rejeter la faute sur les épaules des autres. Mais pour un jeune enfant de cinq ou six printemps, c'était assez difficile d'ignorer les regards hautains et méchants des adultes, de voir ses amis s'éloigner parce que leurs parents leur ordonnaient de rester loin de moi parce que j'étais " maudit ".

— Concentres-toi !

J'ai sursauté et levai les yeux vers le Maître Töriel.
Après ma piètre défaite face à Dague et son équipe pour ne récupérer qu'un simple foulard, elle m'avait sanctionné. J'étais alors obligé de ranger par ordres alphabétiques et par thèmes les livres d'une grande bibliothèque perdue dans les tréfonds des nœuds et des racines du gigantesque arbre qu'était l'Institut.

— Bon sang, je n'arrive pas à savoir comment tu as pu intégrer cette école. 

Ça devait faire au moins la centième fois qu'elle répétait cette même phrase, et ce depuis maintenant trois longues, très longues, heures.
Mais après tout, elle faisait honneur aux caractères des matriarches Elfes. Je ne savais pas comment la décrire. C'était une belle femme, sans aucun doute, surtout si on aimait les femmes au regard vert aiguisé de tueuses nées qui possédaient des épaules aussi larges qu'un arbre de quelques dizaines d'années. Sa peau avait la couleur d'un beige sale, bronzée mais pas comme pour les Hommes. C'était une couleur étrange mais habituelle chez les Elfes Sylvestre. On aurait dit qu'elle était faite d'une sorte de cuivre mate. Ses traits étaient sévères, même si je pense qu'il y a une époque lointaines, ils avaient pu être doux et chaleureux. Mais le plus choquant étaient ses cheveux blonds cendrés affreusement courts, à la garçonne, un grand sacrilège chez les Elfes où il était légion de porter les cheveux longs, voire mi-longs à la rigueur, comme pour les miens. Elle était très grande, au moins deux bonnes têtes de plus que moi (et pourtant je n'étais pas trop à plaindre à ce niveau-là par rapport à mes origines d'Homme), tout en longueur et muscles secs. Pour finir, une grande balafre traversait en diagonale son visage, de la tempe gauche, passant par ses deux sourcils taillés, escaladant l'arrête de son nez et redescendant abruptement vers le coin droit de sa lèvre inférieure.

— Je t'ai dit de te concentrer ! Faut-il que je te l'enseigne par la manière forte ? argua-t-elle d'un ton dur, levant déjà un poing.
— Non, merci.
— Je ne t'ai pas demandé de répondre !

Je serrai des dents et continuai de classer tranquillement les livres qui étaient posaient sur un grand chariot, zieutant de temps à autres dehors, admirant la pluie tombait avec finesse et légèreté. Ça me donnait envie de tout envoyer balayer et de sortir courir sous l'eau pour me rafraîchir les idées. Après tout, je dormais mal depuis plusieurs jours semaines, depuis le meurtre que j'avais commis à Menheim et la vision du dieu Loki qui m'avait promis de revenir me voir quand je serais prêt.
Une claque à l'arrière de ma tête me détourna une nouvelle fois de mes pensée.
Je soupirai.

Une heure plus tard, j'étais de retour dans ma chambre. Maître Töriel m'avait chassé de la bibliothèque avant qu'elle ne dépasse ses propres limites et ne m'assassine par rage. Elle devait avoir quelques problèmes de sang-froid à mon avis.
Malheureusement, Lux n'était pas là, sûrement en entraînement avec les autres qui avaient tous réussis leur épreuve du foulard. Le fait d'être encore à la traîne me mit un nouveau coup au cœur. Je n'avais jamais été une lumière, je n'étais jamais allé à l'école et j'étais pas non plus foutu de réussir un truc qui ne demandait même pas beaucoup de réflexion. Le truc était que j'étais aussi vraiment très nul au combat au corps-à-corps, je me faisais tout le temps tabasser par Dante et ses amis quand j'étais petit.
En fait, me dis-je en apercevant mon arc posait près de mon lit, j'étais à peu près doué pour deux trucs : m'attirer des ennuis et chasser.
Résolu à me défouler et me sortir les idées noires de la tête, j'ai empoigné le bois poli et sculpté à la main – un artisan chevronné aurait qualifié la gravure d'hideuse et le bois de mauvaise qualité mais j'avais tout fait de mes propres mains, ça m'avait pris des mois et j'en restais malgré tout très fier – et je sortis précipitamment hors de l'Institut. J'ai traversé la petite clairière et suis rentré dans les bois aux alentours, me mettant par la même occasion à l'abri de la pluie devenue trop drue pour qu'elle puisse être agréable.
Je respirais lentement, me mettant dans un mode de concentration auquel je m'étais habitué quand je partais en chasse, un état d'esprit où j'étais en paix et en harmonie avec la nature tout autour de moi. Je me concentrais sur les bruits des animaux, les bruissement des feuilles, les odeurs de fleur, de sève, d'humus et d'autres bien plus diverses apportées par les courants d'air. 
J'avançai lentement au sol, en premier lieu, cherchant des traces de pattes, des baies mangées ici et là, des crottes ou peut-être même des terriers mal cachés de lapins, de blaireaux ou de renards. Le vent environnement ne cessait de tourner-virer dans tous les sens, changeant également la direction quand laquelle mon odeur partait. Les animaux devaient me sentir à des kilomètres !
Je décidai alors d'escalader un arbre, pas trop grand ni trop petit histoire de voir mais de ne pas être vu. Assis dos contre le tronc, les jambes de part et d'autres d'une grosse branche épaisse et pas bancale, je bandai les muscles de mes bras et de mon dos, près à décocher une flèche au moindre petit animal qui passait par là.
J'attendis un long moment. Tellement longtemps que j'en avais des crampes au bas des reins et les bras, ainsi que les cuisses ankylosés. Mais je tenais bon ! Tout était dans le mental.
La nuit était couchée depuis un petit moment, les autres devaient être rentrés et entrain de manger tranquillement. Mon ventre gargouilla à cette pensée et je grimaçai.
Au même moment, comme une offrande offerte des dieux, un tout petit lapin blanc et maigrichon pointa le bout de sa truffe entre deux touffes d'herbes hautement broussailleuses. Euphorique, je pris à peine le temps de viser et de tirer. Heureusement, la flèche fit mouche !
Avec un petit cri de joie ridicule probablement dû à la fatigue, je descendis en quatrième vitesse mon arbre et saisis ma prise qui avait la peau sur les os. C'était presque ridicule comme prise mais j'étais quand même content d'avoir pu attraper quelque chose, au moins pour le moral et l'égo.
D'un pas guilleret, je sortis clopin-clopant (les courbatures, les courbatures !) des bois, me dirigeant d'un pas limite conquérant jusqu'à l'entrée de l'Institut.
Malheureusement, je n'avais pas prévu que, à peine un pied dans la clairière, je me ferais saisir par une poigne solide appartenant au Maître Töriel avec les mots qui suivirent :

— Il faut qu'on parle.

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