Chapitre 6

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- J'accepte.

Ma voix était ferme et assurée. Garr'uh se redresse de toute sa hauteur alors qu'il était assis et me regarde avec ce qui semblait être une lueur de contentement ou de fierté. Un rictus fait ressortir ses défenses proéminentes et gravées de runes. Puis son regard turquoise darde en direction de Dante, qui se tenait non loin de moi. Nous avions décidé sans réellement nous concerter de faire le chemin ensemble, m'évitant par la même occasion d'avoir quelconques ennuies grâce à sa présence ô combien respectée.

- Bien sûr que j'accepte, lâche-t-il sur un ton dédaigneux. Si un minable comme Machiavel peut intégrer cette école, alors je le peux aussi.

Garr'uh fronce ses sourcils broussailleux face à la réponse peu élogieuse envers ma personne - bah ! j'avais l'habitude - mais se contente d'hausser les épaules.

Le principal était là : il allait avoir deux nouveaux élèves.

Il sortit d'une sacoche en cuir solide et noire - je ne l'avais jamais remarqué jusqu'à là, il était allé la chercher ou quoi ? - un morceau de parchemin abîmé sur les bords et tâché à certains endroits. Il le déroule sur le sol et se penche pour nous montrer d'un de ses gros doigts à l'ongle noir et acéré un emplacement sur la carte nouvellement dévoilée.

Et bien croyez-le ou non, mais c'était la première fois que j'en voyais une. Pour la première fois de ma vie, je pouvais voir à quoi ressembler le pays dans lequel j'étais né et vivais, ainsi que les nombreux autres aux alentours.

- Arrête de tirer cet air ahuri, ducon, t'as l'air plus stupide que d'habitude.

La voix sirupeuse de mon meilleur ennemi claque dans l'air et je me sens réellement idiot de m'être extasié sur un bout de papier couvert d'encre que tout le monde connaissait. J'ai sentis la chaleur caractéristique de la honte couvrir mes joues tandis qu'un goût âcre et amer se faisait connaître sur ma langue, comme si j'avais croqué à pleines dents dans une de ses baies dangereuses dont les buissons étaient nombreux dans la forêt d'Alfheim.

- Par Thor, mais faîtes taire ce gosse, grogne Garr'uh. Il va y avoir du boulot pour te discipliner, mon garçon !

Dante se contente de garder un port altier digne de son rang et de son sang noble, défiant d'emblée l'autorité de l'Orc. Ce dernier émet de nouveau un grognement avant de reporter son attention sur les traits d'encre des pays grossièrement dessinés.

- Comme tu n'as pas l'air très accoutumé à voir une carte, Machiavel, je vais te faire un rapide topo. Au Sud, tu reconnaîtras ou non les régions d'Alfheim, avec la chaîne de volcan qui sépare son désert et ses forêts. À l'Est, au niveau de la jungle, c'est Orcillium, la zone tropicale où vit mon peuple. Au Nord d'Alfheim, près de la toundra, ce sont les plaines enneigées des Hommes, Menheim, qui jouxtent Nidavellir, les montagnes naines. Plus au Nord encore, c'est Jötunheim, un petit pays qui est celui des géants. Tu suis ?

J'opine, estomaqué de découvrir tant de diversité sur un même îlot, certes grand, de terre et qui formait vaguement la forme d'un arbre. Les livres que j'avais lu - venant tout droit de la bibliothèque poussiéreuse et humide dont personne ne prenait soin, au fond d'un tunnel éloigné de la caverne principale - parlaient de l'Histoire des Elfes, en particulier des noirs, ainsi que de leurs croyances envers les dieux du Nord, tout droit apportés par nos chers voisins les Hommes. Ils parlaient aussi des différents conflits qui avaient eu lieu entre nos deux peuples, avec son lot d'atrocités envers le mien. Mais évidemment, chacun écrivait sa propre version des faits et certains livres devaient contenir des informations erronées, exagérées ou mises tout simplement sous silence.

Mais qu'est-ce que j'en savais, moi, jeune bâtard ignorant, de la vérité alors que je vivais moi-même dans le mensonge et dans la honte ?

- Eh, p'tit gars, je comprends bien que tu sois choqué de découvrir des choses, mais faut pas que ça te tétanise à chaque fois.

Il pose sa grosse paluche sur mon épaule pour la secouer et je suis de nouveau concentrer sur la carte, essayant de la mettre en lien avec ce que j'avais appris précédemment. Dante fait un bruit de langue et marmonne quelque chose que je n'entendis pas.

Et tant mieux.

Garr'uh a reprit la parole :

- Pour votre première épreuve, qui déterminera si vous êtes dignes d'intégrer l'Institut, vous devrez trouver vous-même où elle se situe. Et franchement, vous êtes avantagés car vous n'êtes pas si loin d'elle. Et dire que vous ignoriez son existence jusqu'à là, ah !
- Vous voulez dire qu'elle se trouve en Alfheim ? C'est impossible, mon peuple l'aurait su ! s'exclame Dante.

J'avais bien saisie le mon qui m'écartait volontairement du sentiment d'appartenance dans le peuple elfique, une race qui n'était pas tout à fait la mienne. Et quand bien même j'avais l'habitude, c'était irritant à longue. Ceci expliquait donc mon envie de frapper de manière continue et violente Dante. Mais je me suis seulement contenté de prendre une grande inspiration par le nez et de continuer d'observer la scène de mon air blasé habituel.

- J'ai pas dit que c'était dans votre foutu désert trop chaud. Les grottes ne sont pas adéquates pour les exercices pratiques et les entraînements divers. Pas assez de hauteurs, d'obstacles, de vision surtout.
- C'est dans un arbre, ai-je marmonné en fixant le vide. Un arbre assez grand et assez large pour contenir une flopée de personne et des salles. Un arbre assez proche, ai-je continué en zieutant la fameuse sacoche mystérieusement apparue.

Gar'ruh a sourit en croisant ses bras épais comme deux fois ma cuisse.

- Malin, le p'tiot !
- Juste observateur, ai-je murmuré en baissant la tête.

Je me suis mis à gigoter, mal à l'aise de l'attention que l'on me portait. J'avais l'habitude qu'on m'ignore, qu'on fasse semblant que je n'existais pas.

Dante a tenté de m'assassiner du regard. Je n'avais pas hâte de sortir de la grotte, j'allais encore me prendre des coups que je rendrais du mieux que je pourrais.

- Tu devrais être avantagé pour le trouver alors, ce fameux arbre. Tu dois bien connaître la forêt si tu passes ton temps à y chasser.

Oh, la boulette !

Il ne devait pas savoir que les Elfes noirs avaient un accord avec les sylvestres qui stipulait clairement que toute chasse dans leur partie du pays était strictement interdite, sauf en cas extrême de guerre ou de pénurie.

Une minute... Il le savait le couard, rien qu'à voir ses yeux rieurs !

MachiavelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant